La chirurgie bariatrique connaît un essor important en France. Quelles sont précisément ses indications et les différentes techniques chirurgicales possibles ? Quel rôle les IDEL peuvent-ils jouer dans le parcours de soin de cette chirurgie, notamment dans le suivi post-opératoire si essentiel ? Retour sur cette prise en charge multidisciplinaire et éducative à l'occasion de la 13e journée régionale des URFNI d'Occitanie organisée sur ce sujet le 11 octobre dernier dans le Tarn et qui a réuni quelque 70 infirmiers libéraux.
Depuis les années 2000, les interventions de chirurgie bariatrique sont en augmentation soutenue en France. Dans un rapport1 publié en début d'année, l’Inspection générale des Affaires sociales (Igas) indique qu’elles ont triplé en dix ans pour s’établir à plus de 50 000 par an
, cela notamment en lien avec l’augmentation des besoins
(effet volume/voir encadré) et la large accessibilité de l’offre
(un grand nombre d’établissements et de chirurgiens la pratiquant). Il faut dire que l’efficacité de ces interventions est établie en termes de perte de poids et de réduction de morbi-mortalité associées ; la supériorité du traitement chirurgical de l’obésité par rapport au traitement médical est aujourd’hui démontrée. Bien qu’elle soit considérée comme lourde, la chirurgie bariatrique améliore en effet non seulement l’espérance de vie (baisse de 30 à 40% de la mortalité globale à long terme), mais aussi – voire résout – certaines comorbidités associées de l’obésité (HTA, diabète de type 2, dyslipidémie, stéatose hépatique). Elle réduit également de 46% le risque d'infarctus du myocarde, de 54% celui d'AVC, et enfin, améliore la qualité de vie.
Une chirurgie sous conditions
Pour autant, toutes les personnes souffrant d’obésité ne peuvent prétendre à cette chirurgie. Comme le rappelle l’Igas, cette intervention, qui consiste le plus souvent en une résection d’une partie de l’estomac, voire de l’intestin
, doit être considérée comme de dernier recours pour des personnes souffrant d’obésité sévère ou morbide qui s’inscrit dans la prise en charge plus générale de l’obésité
, et ce compte tenu des risques liés à l’acte opératoire (complications de la chirurgie) et à ses conséquences sur le psychisme et la fonction digestive des personnes opérées
.
Dans des recommandations de bonne pratique2, la Haute Autorité de santé (HAS) mentionne ainsi un ensemble de conditions à réunir pour que cette chirurgie de l'obésité puisse être envisagée chez des patients adultes, à savoir : un indice de masse corporelle (IMC) ≥ 40 kg/m2 ou IMC ≥ 35 kg/m2 avec ou moins une comorbidité susceptible d'être améliorée après (DT2, HTA, syndrome d'apnée du sommeil – SAS, maladie ostéo-articulaire invalidante, NASH, syndrome métabolique, infertilité, attente de FIV pour les femmes…), l'échec d'un traitement médical, nutritionnel, diététique et psychothérapeutique bien conduit pendant 6 à 12 mois, un patient bien informé au préalable, une évaluation et une prise en charge préopératoires pluridisciplinaires pendant plusieurs mois, la nécessité comprise et acceptée par le patient d'un suivi chirurgical et médical à vie, enfin, un risque opératoire acceptable.
Techniques opératoires
Différentes techniques chirurgicales coexistent3, entre autres, l’anneau gastrique ajustable (principe de la restriction), une technique en perte de vitesse, le Bypass gastrique (principe de la restriction et de la malabsorption), et la sleeve gastrectomie ou gastrectomie longitudinale (restriction)
a indiqué le Dr David, Reverdy, chirurgien digestif à Albi. Aujourd’hui la plus pratiquée en France, cette dernière technique permet une perte pondérale durable et une amélioration des comorbidités, en particulier du diabète de type 2
. Pour autant, a-t-il ajouté, compte tenu de son caractère irréversible
(partie de gauche de l’estomac enlevée), la sélection des patients est beaucoup plus rigoureuse
.
Dans le cadre du suivi de cette intervention et en lien avec l'équipe hospitalière, les infirmiers libéraux sont susceptibles d'intervenir sur plusieurs actions
Bilan pluridisciplinaire préalable et complications
Un bilan pluridisciplinaire préalable à l’intervention chirurgicale est indispensable. En pratique, il consiste en une consultation chirurgicale, un suivi diététique de 6 mois minimum et la réalisation d’un bilan préopératoire4
a précisé de son côté le Dr Hugues Legendre, chirurgien à Castres. Dans certains centres, une consultation dentaire et stomato tout comme un bilan pneumo font aussi parfois partie du parcours de soins. La décision finale sera prise lors d’une réunion de concertation pluridisciplinaire avec un accord ou non5 pour une intervention chirurgicale, voire un accord sous condition(s)6, sachant que c’est le médecin-conseil de l’Assurance maladie qui donne son aval en dernier recours (intervention soumise à entente préalable). Si accord il y a, l'intervention est alors pratiquée. La réalimentation s’effectue en postopératoire immédiat à J1 (vérification test d’étanchéité pour voir s’il n’y pas de fistule). Selon les centres, le retour à domicile s’effectue à J2/J3.
À noter les deux grandes complications possibles : les hémorragies postopératoires, 5 à 10%, en général dans les 24 heures suivant l’intervention
, ainsi que les fistules, de l’ordre de 2% à 4% dans la littérature
et qui apparaissent une semaine voire 15 jours après
a indiqué le chirurgien castrais.
L'obésité en France - données épidémiologiques
- 15 à 17% de la population adulte est obèse, soit près de 7,6 millions de personnes.
- 5,6 millions sont en obésité modérée, 1,3 million en obésité sévère et 700 000 personnes en obésité morbide.
- L’obésité est la 2e maladie chronique derrière l'hypertension artérielle.
- L’obésité touche deux fois plus les personnes avec un niveau scolaire inférieur à Bac +2 et s’observe davantage dans le Nord de la France et dans les DOM.
- Le poids durant l'enfance est un élément prédictif : 20-50% puberté.
- Après une forte période de forte hausse (2007), la prévalence de l’obésité s’est stabilisée à 17% chez l’adulte et à 4% chez l’enfant.
- Le coût social de l'obésité est estimé à 12,8 milliards d'euros (0,6% du PIB) en 2012.
*Source : Dr Yohan Garres, médecin généraliste à Oubers
Suivi postopératoire et implication des IDEL
Le suivi post-opératoire – sur le plan médical, éducatif, psychologique et/ou psychiatrique et chirurgical – du patient après l'intervention est essentiel la vie durant ont rappelé de concert les chirurgiens tarnais et autres professionnels de santé intervenants lors de cette journée.
Dans le cadre de ce suivi et en lien avec l'équipe hospitalière, les infirmiers libéraux sont susceptibles d'intervenir sur plusieurs actions : la réalisation des injections d’anticoagulants pendant 15 jours/3 semaines une à deux fois par jour, de soins liés aux pansements... Ils ont aussi un rôle à jouer au niveau de la surveillance de la formation de potentielles fistules – les IDEL doivent ainsi faire preuve de vigilance devant un patient qui ne va pas bien et qui présente des signes de tachycardie, d’hypertension, souffrant notamment de douleurs dans l’épaule – ou de carences nutritionnelles (fatigue, irritabilité, dépression, crampes, fourmillements, sensation de déséquilibre, perte de poids rapide, anémie, palpitations sont autant de signes qui doivent les alerter). Ils peuvent encore être impliqués au niveau du suivi de la prise des vitamines et suppléments (d’après le rapport de l’Igas, seuls 6% des patients prennent la supplémentation nécessaire sur une base régulière), du respect des consignes diététiques (importance de manger lentement et de bien mâcher, arrêter de manger dès la première impression de satiété, boire à distance des repas…), de l'accompagnement et du réconfort des patients, ou encore lors des soins liés aux pansements après le recours, pour certains patients, à la chirurgie réparatrice7 (chirurgie du tablier abdominal par exemple).
De façon générale, le champ d’intervention des IDEL se situe plutôt dans la réhabilitation améliorée après chirurgie (RAC)
a souligné Philippe Tisserand, le président de la Fédération nationale des infirmiers libéraux (FNI) lors de la table ronde de l’après-midi, un sujet du reste abordé dans le cadre des négociations conventionnelles en cours avec l’Assurance maladie via des visites infirmières calibrées
. C'est le cas d’ailleurs aux Pays-Bas où les IDEL réalisent une consultation à 10 jours de l’intervention et où 96% des patients sont encore suivis à deux ans
a souligné le Dr Yohan Garres, médecin généraliste (81). Ce qui n’est hélas pas le cas en France puisque plus de 50% des patients obèses opérés sont "perdus de vue" après ce même laps de temps, ce qui en fait le tendon d’Achille de cette chirurgie.
Les médecins généralistes et les IDEL ont un rôle à jouer dans le soutien de ces patients non suivis
, a observé le Dr Legendre. Et d’ajouter : Dans le cadre du futur dispositif Prado "obésité", les IDEL peuvent être le lien de coordination
. Des IDEL à impliquer dans la coordination, mais aussi dans le cadre de la délégation de tâches, de la télémédecine, via les outils connectés…, autant de moyens existants d’améliorer le suivi régulier et à long terme des patients obèses opérés.
Notes
- Emmanuelli J, Maymil V, Naves P. "Situation de la chirurgie de l’obésité", rapport Igas, janvier 2018
- "Obésité : prise en charge chirurgicale chez l'adulte", Recos HAS, janvier 2009
- D'autres techniques hors recommandation HAS existent, telles que la N sleeve, le bypass oméga.
- Consultation endocrinologie + bilan sanguin, consultation psy =/- prise en charge, consultation gastro + endoscopie, échographie FVP, polygraphie, consultation anesthésiologie, consultation cardiologie
- Les contre-indications à cette chirurgie sont les troubles psychiatriques, l’alcoolisme, la toxicomanie, les maladies évolutives (néoplasie, maladies inflammatoires du tube digestif…), les patient souffrant de troubles du comportement alimentaire.
- Sorte de "zone grise". Le patient n'est pas prêt aujourd'hui mais probablement à 2, 3 ou 6 mois ; il sera considéré apte lors d'une autre RCP.
- Possible après une stabilisation de la perte de poids, 12 à 18 mois après chirurgie bariatrique, en l'absence de dénutrition.
Valérie HEDEFvalerie.hedef@orange.fr
Cet article a été publié dans la revue de la Fédération nationale des Infirmiers (FNI) "avenir & santé", n°468, novembre 2018. Merci pour ce partage.
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