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PSYCHIATRIE

Ceux qui s’occupent de nos fous...

Publié le 12/02/2014
patient en psychiatrie

patient en psychiatrie

personnel en service psychiatrie

personnel en service psychiatrie

personnel en service psychiatrie

personnel en service psychiatrie

Le photographe Tien Tran entame une série de portraits sur le personnel hospitalier psychiatrique. Autour de la thématique de l'isolement, comment, en France et en 2014, s'occupe-t-on de nos malades en psychiatrie ? Entre fantasme et réalité, peur et fascination, il offre la parole à ceux qui sont, comme ils le disent parfois eux-mêmes, « en première ligne ». A travers une série de portraits et d'entretiens, état des lieux de nos asiles à l'aube du nouveau millénaire.  Merci à Tien Tran de partager avec la communauté d'Infirmiers.com ce sujet publié sur son blog et qui saura, sans nul doute, vous toucher tant sur la forme que sur le fond.

J'ai rencontré Thomas au détour d'un marché, un dimanche matin. Au départ simple rencontre, une vive discussion sur son métier s'en est suivie. Son boulot m'intéressait. Aussi, je lui ai proposé de faire un portrait. Rendez-vous a été donné dans un petit café du centre-ville. Yann, un collègue à lui s'est joint à notre entretien

On juge du degré de civilisation d'une société à la façon dont elle traite ses fous. » Lucien Bonnafé

Pour Thomas les manques de moyens sont criants...

Portraits d'infirmiers psy vus par un photographe

« Notre secteur, c'est les quartiers, c'est les cités. A l'époque1 c'était découpé pour 120 000 personnes. Aujourd'hui, on a des quartiers qui ont complètement évolué, qui ont poussé, avec des concentrations d'habitants qui ont augmenté2. Pourtant, le découpage est toujours le même.

Depuis 40 ans, les moyens qu'on peut mettre à la disposition de la population n'ont pas évolué avec l'augmentation démographique : le nombre de soignants, le nombre de lits, la capacité d'accueil. Tout ça, on en a moins. On a perdu 80 lits depuis 20013.

On accueille des patients qui se retrouvent en chambre d'isolement alors qu'ils n'en ont pas besoin, par manque de place. Une chambre d'isolement, c'est une pièce de 10m² complètement sécurisée avec un lit fixé au sol, des chiottes fixées au sol, un rouleau de PQ et une bouteille d'eau. Il n'y a rien de saillant, il y a rien du tout, rien d'amovible.

Depuis 40 ans, les moyens qu'on peut mettre à la disposition de la population n'ont pas évolué avec l'augmentation démographique

Inversement, on ne peut pas utiliser cet outil de soin (car ça reste un outil de soin pour des gens qui en ont vraiment besoin) parce qu'il est déjà pris par des gens qui n'en ont pas besoin. Et on se retrouve avec des situations critiques, extrêmes, tendues.

L'extra hospitalier [NDLR : ce qui a lieu en dehors de l'hôpital] est aussi mal pourvu que nous. Quand tu constates qu'ils ont des bassins de populations de 200 000 habitants et qu'ils sont 4 pauvres infirmiers, ça fait léger quand même. Pour une première consultation, si tu te présentes dans un CMP4 le rendez-vous médical, tu l'auras dans six mois. Tu arrives et tu reconnais "J'ai besoin d'aide, j'ai besoin d'assistance" et on te répond "Attends six mois".

Six mois, c'est très long, surtout dans des problèmes psychiatriques : du jour au lendemain, ça peut vriller totalement. »

Pour Yan : « L'humain disparaît au profit du gestionnaire et du sécuritaire »...

« Le but d'une prise en charge, c'est d'arriver à une alliance thérapeutique où une confiance se crée entre l'équipe soignante et le patient tant au moment de la prise du traitement que du suivi.

Quand on arrive à ce que le patient comprenne que l'hôpital est un asile, au sens noble du terme, un refuge, un endroit où il est à l'abri pour être soigné, c'est gagné. Parce que la personne, même si elle est à moitié stabilisée ou qu'elle ne va pas bien, elle sait à quelle porte taper, elle sait à qui s'adresser si ça ne va pas. Aujourd'hui, on ne prend plus le temps d'essayer de créer ce lien avec le patient, de lui dire "Je suis pas là pour t'enfermer, on est là pour avancer ensemble".

Si tu ne te plies pas au programme de soins, il y a ce qu'on appelle une réintégration d'office. C'est nous, le personnel soignant qui les faisons et c'est d'une violence extraordinaire. C'est l'ambulancier de l'hôpital qui part avec deux ou trois infirmiers. On se pointe chez les gens, dans leur vie privée, dans leur domicile pour les embarquer manu militari jusqu'à l'hôpital. Tu les récupères chez eux en calbute et en chaussettes en train de boire le café ? Rien à foutre : tu les embarques dans l'ambulance comme si tu venais les chercher pour les foutre en taule.

On est ni matons ni gendarmes : on est infirmiers

Comment tu veux créer une alliance thérapeutique quand tu pars de là ? Le début du soin, il est déjà là. Le moment le plus important en psychiatrie, c'est l'accueil. Quand tu as réussi ça, tu as gagné 90% du truc. Là, c'est foutu d'entrée de jeu. Tu m'étonnes que les gens ne veuillent pas venir nous voir. La dernière fois qu'il t'a vu, c'est quand tu es venu le chercher chez lui pour l'embarquer de force.

L'humain disparaît au profit du gestionnaire et du sécuritaire. Et le malade, le fou, sa parole est peu écoutée. On est souvent perçu, les infirmiers psys, comme des mauvais objets, comme des gendarmes, des matons, plus que comme des gens aidants, du fait de cette déviance dans les soins.

Ce qui me frustre le plus, me gêne le plus, c'est la dérive sécuritaire en psychiatrie. Ça reste des patients, ça reste des gens malades,  ça reste des gens qui ont besoin de soins et là, on devient surveillants. 

Ça nous est imposé par la société. La loi qui a évolué ces dernières années met de plus en plus l'accent  sur le versant sécuritaire et de moins en moins sur le versant sanitaire.

C'est un choix de société qu'on a fait. On protège la société. Mais ça n'est pas notre rôle. On est ni matons ni gendarmes : on est infirmiers.

Si tu veux aller fumer une clope avec un patient en chambre d'isolement dans le parc qui a des murs de 3 mètres de haut et des capteurs de mouvements, parce que ça lui fait du bien et que ça rentre dans le processus thérapeutique, tu ne peux plus.  Tu attends que le médecin revienne le voir pour lui demander l'autorisation, s'il en a envie, s'il est pas en vacances, si on est pas le week-end. On est dans le protectionnisme, dans le gestionnaire et le sécuritaire.

Tout part de consignes médicales extrêmement strictes. Tout est sous consigne, même le fait [pour le patient] d'avoir un crayon à papier et une feuille. Je vais caricaturer le truc mais que tu passes voir ton patient ou pas en chambre d'isolement, tout le monde en a rien à foutre ; que tu t'occupes de ton patient en chambre d'isolement, tout le monde en a rien à foutre. Par contre, ce qui est important, c'est de cocher qu'à minuit, à deux heures et à six heures, il était bien là et qu'il n'avait pas de crayon à papier. Que tout était bien sécurisé. Par contre que tu t'en sois occupé ou pas, tout le monde s'en branle.

L'essence même du travail, tu l'as perdue. »

Notes

  1. Le découpage par secteur a eu lieu dans les années 70.
  2. Aujourd'hui, chaque secteur couvre une population de 200 000 personnes.
  3. Sur environ 300 lits.
  4. Centre Médical et Psychologique.

Tien TRAN Photographe contact@tien-tran.com www.flickr.com www.facebook.com tien-tran.com


Source : infirmiers.com