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"C’est un cri, un SOS, une bouteille à la mer lancée par la maternité de Lariboisière"

Publié le 30/09/2019

A l'hôpital Lariboisière, à Paris, la maternité et le personnel soignant sont sous la menace d’un craquage complet selon une tribune publiée par le Collectif Inter-Urgences cosignée par un quarantaine de soignants. En effet, des jeunes mamans en situation précaire et leurs bébés seraient "parqués" dans une salle qui leur servirait de lieu d’hébergement.

"Nous avons peur pour la sécurité des patientes, la sécurité des bébés. Si les conditions restent telles quelles une catastrophe va arriver comme il a pu se passer aux urgences générales".

Le service est à bout de souffle, n’a plus d’énergie, et rien n’est fait…. Nous sommes des infirmières puéricultrices, des infirmières, des auxiliaires de puériculture, des aides-soignantes, des sages- femmes…. A tous les niveaux c’est la menace d’un craquage complet de l’ensemble de l’équipe ! Sous-effectifs chroniques, locaux vétustes, difficultés de prises en charge, la lettre ouverte publiée sur le site d’Inter-Urgences et signée par les personnels de la maternité de Lariboisière (AP-HP) font état d’une situation désastreuse. Nous avons peur pour la sécurité des patientes, la sécurité des bébés. Si les conditions restent telles quelles une catastrophe va arriver comme il a pu se passer aux urgences générales , alertent les professionnels de santé, soucieux pour eux-mêmes et surtout pour leurs patientes.

Je couche au sol. On n'arrête pas de chercher des associations, de chercher de l'aide pour que les gens viennent à notre secours - une patiente à BFMTV

Des patientes entassées dans une salle avec leur enfant

Les caméras de BFMTV sont allées voir de plus près la petite salle qui tient lieu d’hébergement des jeunes parturientes en situation précaire et de leurs nouveaux nés à Lariboisière. Celle-ci sont entassées dans un espace exigu de quelques mètres carrés. Les berceaux des nourrissons sont posés au sol. Sans-papiers, les mamans disent n'avoir pas d'autres solutions que de demeurer dans cette salle d'attente de l'hôpital où elles ont accouché. J'ai accouché dans une chambre et on m'a fait descendre ici trois jours plus tard. Mon enfant a un mois, depuis le 24 août je suis là. On ne nous nourrit pas, on ne nous donne rien, même pas du lait pour bébé. On nous chasse, raconte cette femme, toujours à BFMTV . 

Dans ce service situé à proximité de la gare du Nord, près de 40% des femmes suivies sont en situation de précarité. Déjà en septembre 2018, les personnels avaient tiré la sonnette d’alarme pensant ne plus être en capacité d’accueillir comme il se doit les patientes. Nous avons réussi à obtenir un audit de la part de l’administration de l’hôpital sous la menace de notre chef de service d’arrêter toutes nouvelles inscriptions à la maternité, rapporte les soignants dans leur tribune. En effet, dans un courrier adressé à la direction le chef de service Jean-Louis Benifla et plusieurs membres de l’équipe encadrante faisaient remonter les souffrances du personnel. Ils avaient d’ailleurs signifié que les effectifs médicaux comme paramédicaux s’avéraient plus faibles par rapport aux autres maternités de l’AP-HP.

Un audit externe avait alors été commandé. Cependant s’il a bien eu lieu, il a surtout permis à la direction de l’hôpital de nous appuyer la tête encore plus sous l’eau. La réponse de cet audit est la suppression de 16 postes d’infirmiers, de 2 postes d’infirmiers puériculteurs sans pour autant baisser l’activité. Comment voulez-vous que l’on travaille dans ces conditions ?, s’agace les professionnels signataires. Ces suppressions de poste ne sont pas du tout anticipées, ni réfléchies à la hauteur de notre travail, car à compter du mois de novembre les infirmiers puériculteurs par exemple ne pourront plus poser ni congés annuels ni de repos récupérateurs car en sous-effectifs. Trouvez-vous cela normal ? Interrogés également par Le Monde tous les soignants évoquent leur mal-être au travail. On nous demande des heures sup à gogo, on n’a plus de vie personnelle ; on ne veut plus venir travailler la boule au ventre, il y a des filles qui pleurent tout le week-end, témoigne anonymement une infirmière signataire.

Autre point souligné par la tribune : la vétusté des locaux et le manque crucial de moyens. Prises électriques non protégées, moisissures aux plafonds, canalisations qui se bouchent régulièrement, matelas de lit lacérés, fauteuils peu présents également lacérés, matériel de soins qui tombe régulièrement en panne et qui n’est remplacé que 3 semaines plus tard…, la liste parait sans fin. Il nous manque des fauteuils roulants, des tensiomètres, des thermomètres… On passe notre temps à courir après d’un étage à l’autre, explique au Monde un infirmier, en poste dans le service depuis quatre ans.

Comment assurer la sécurité des patientes, des bébés quand nous sommes en sous effectifs, à flux tendu, que nous vivons au-dessus de nos moyens d’accueil puisque tous les hôpitaux parisiens persistent et signent à nous envoyer les personnes en précarité ?

La honte face à la maltraitance

Les professionnels de santé mettent l’accent à travers le texte la honte qui les habite notamment lorsqu’il faut demander à une jeune maman de sortir de sa chambre avec son bébé et de descendre "pour une mise à l’abri aux urgences. Une situation difficile à supporter et qui pose question. Questions auxquelles on ne leur donne aucune réponse. Lorsque que nous tentons d’avoir des explications, on nous demande de nous taire car c’est "comme ça" . Il faut accueillir les nouvelles venues donc faire de la place au dépens des autres. Pourtant, d’après les soignants, des locaux pourraient être employés pour héberger ces jeunes mères en attendant un lieu plus adapté. Mais rien n’est fait ! Et qui est en première ligne pour mettre ces personnes dehors ? Nous les soignants ! Pas les administrateurs de l’hôpital ! C’est bien notre regard qui croise celui de ces mamans paniquées à l’idée de se retrouver dans un milieu hostile sans ressource

Honteux donc, honteux, désabusés et surtout épuisés, voire au bord du burn out, voilà l’état dans lequel se trouve les membres du personnel de cette maternité. Ils se sentent surtout seuls, faute d’écoute et de considération face à ce tourbillon infernal où nous soignant nous continuons à nous enfoncer pour mieux nous noyer… Si le service va être réorganisé, les informations manquent : nous ne sommes pas en mesure de planifier quoi que ce soit. Aucune clarté sur les nouvelles missions, les nouveaux horaires. La direction de l’hôpital nous a indiqué lors d’une réunion qu’à partir de novembre nous travaillerons en 12h avec la même densité de travail et moins de personnels. Nous demandons depuis plusieurs mois l’annonce et la présentation de nos planning et nous n’avons toujours pas de réponse.

Nous sommes fatigués, nous sommes usés, nous revenons sur nos jours de repos, nous faisons des heures supplémentaires qui ne seront jamais redonnés, arrêts de travail au quart de tour, … nous ne sommes que des pions, des lignes sur un tableau 

La « mise au point » de l’AP-HP

Suite à la publication de tous ces témoignages et de ce cri de détresse, l’AP-HP a réagi en publiant un communiqué le 25 septembre afin de faire le point sur la situation dans l’établissement. Le texte annonce qu’effectivement des dysfonctionnements ont été constatés et qu’un travail de diagnostic avait déjà été mené pour y pallier fin 2018. Ainsi, des solutions concrètes ont été présentées au CHSCT en juin 2019. Cependant, celui-ci ayant demandé une expertise, les décisions prises ne peuvent pas être mises en application pour le moment, et ce, même si les équipes sont dans l’attente d’une mise en œuvre rapide.

Le CHU souhaite notamment la mise en place des 12 heures généralisées pour les sages-femmes, les aides-soignantes et les auxiliaires de puériculture par souci d’homogénéisation. En parallèle, il annonce vouloir créer 5 postes en ciblant en particulier le secteur de consultation et la salle de naissance. Il entend bien réorganiser les unités d’hospitalisation notamment en remplaçant en partie les infirmiers par des sages-femmes comme c’est le cas dans la plupart des maternités". Le texte ajoute que : "à ce jour, toutes les infirmières concernées par cette réorganisation ont bénéficié d’un accompagnement et pourront toutes être repositionnées sur un autre projet professionnel correspondant à leurs souhaits. Seules deux infirmières sont en attente de finalisation de leur projet professionnel.

D’autre part, l’AP-HP souligne avoir investis plus de 120 000 euros dans les équipements de maternité depuis début janvier et que d’autres commandes sont en cours. De même, d’ici 2023, dans le cadre du projet du Nouveau Lariboisière, la maternité sera dans un nouveau bâtiment. Enfin, quant à la prise en charge des femmes en situation de précarité, le CHU tient à rappeler que les hôpitaux assurent la mise à l’abri temporaire pour la nuit de ces femmes et elles sont orientées, autant que possible, dans la journée vers des accueils de jour hors de l’hôpital. Toutefois, l’établissement francilien admet qu’ il peut arriver que des mères prises en charge dans les maternités de l’AP-HP restent dans cette situation quelques jours voire plusieurs semaines, le temps de trouver une solution d’hébergement . Mais il estime faire le nécessaire : l’AP-HP effectue un recensement journalier de ces mères et s’efforce de trouver des solutions individualisées et adaptées à chacune d’entre elles.

Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com  @roxane0706


Source : infirmiers.com