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AU COEUR DU METIER

"Ce soir-là, je me suis sentie nulle, indigne et incapable..."

Publié le 11/06/2018

Récit d'une chute, d'un cataclysme professionnel, d'une descente aux enfers jusqu'aux prémisses d'une remontée en surface... Cette infirmière aimerait, par ces quelques lignes, apporter un peu de réconfort à ceux qui, comme moi, un jour se sont sentis complètement nuls. Elle espère également que son récit sensibilisera les professionnels amenés à encadrer et former de nouveaux collègues ou étudiants en stage. Le métier infirmier est trop beau pour saccager la motivation de celui ou celle qui l'exerce...

"Non sans mal, j’ai osé affronter mes peurs et j’ai intégré une nouvelle équipe. Retrouver la blouse et les soins a été une grosse épreuve, mais si je voulais me laisser une chance de rebondir, il le fallait".

Notre plus grand mérite n'est pas de ne jamais tomber, mais de nous relever à chaque fois, écrit Ralph Waldo Emerson.  Il y a un an, je prenais une grosse claque, ma grosse claque, jusqu’à totalement perdre pieds. Burn out, injustice, maltraitance… et j’en passe. Autant de mots un peu violents certes, mais qui ont été les premiers à faire écho aux récits de ma mésaventure de jeune soignant. Alors que j’essayais tant bien que mal de comprendre ce qui m’arrivait, l’écriture est devenue une thérapie afin de remonter cette grosse pente qui se présentait à moi. Mettre des mots sur mes maux m’a permis de remettre un peu d’ordre dans ce chamboulement d’idées et de mauvaises pensées qui me hantaient. La plume est ainsi devenue un lien par lequel je réussissais à exprimer mon ressenti à ceux qui souhaitaient tant m’aider. Si j’ai préféré ne pas publier ces écrits comme je l’avais imaginé initialement, j’ai tout de même décidé d’en partager un résumé. La soignante un peu écorchée que je suis devenue, souhaite que, de cette malheureuse expérience ressorte quelque chose de positif. J’aimerais, par ces quelques lignes, apporter un peu de réconfort à ceux qui, comme moi, un jour se sont sentis complètement nuls. J’espère également, que mon récit sensibilisera les professionnels amenés à encadrer et former de nouveaux collègues ou étudiants en stage.

Un jour, j’ai été Major de promo ; mais ça, c’était avant…

Le calme avant la tempête...

Diplômée infirmière depuis quelques années, j’ai fait mes premiers pas de soignante à l’hôpital. J’ai rapidement été intégrée et j’ai su trouver ma place au sein d’une petite équipe, déjà bien soudée. Chaque collègue avait conscience que je n’en étais qu’à mes débuts, puisque je n’avais pas d’expérience, et a su m’encadrer et valoriser mes atouts. Au fil des mois, des années, je me suis dessinée un profil professionnel avec l'envie de mettre en place des projets de service, de m'investir pour mon équipe et d’enrichir mes connaissances en participant à des formations. Dans une période où les conditions de travail du personnel soignant sont fortement décriées, je n’ai pas hésité à interpeller mes supérieurs hiérarchiques, à écrire au gouvernement, et à défendre les idées de mon équipe devant les représentants de la direction. Autant dire que, malgré un certain manque d’assurance, je savais quelle soignante je souhaitais être et j’étais capable de défendre mes idées dans l’intérêt du patient.

Après une première expérience professionnelle en service de soins hospitaliers, j’ai choisi d’élargir mes compétences et j’ai accepté un poste en service de soins intensifs. Je voyais ce changement comme un gros challenge. J’étais consciente que mon bagage théorique et pratique était bien maigre dans ce domaine de ma profession. Outre quelques stages lors de ma formation il y a plusieurs années, le milieu des soins intensifs ne m’était guère familier et m’effrayait presque. J’en restais néanmoins très motivée à l’idée que ce challenge représentait une opportunité d’approfondir mes connaissances. C’est dans cet état d’esprit que j’intégrais ma nouvelle équipe, équipe qui allait m’encadrer quelques mois dans ce nouvel univers jusqu’à ce que j’y devienne autonome…

Je ne suis finalement jamais réellement devenue autonome dans mes nouvelles fonctions… et j’allais bientôt faire face à mon premier échec professionnel. Je n’ai pas réussi à trouver ma place au sein de cette nouvelle équipe. Consciente de mes lacunes afin d’être au niveau au sein d’un service intensif, je me suis focalisée sur toutes ces choses que j’avais encore à découvrir et à apprendre. J’appréhendais chaque nouveau jour de travail où, sans cesse, je devais faire mes preuves et affronter le regard méfiant et les remarques parfois maladroitement blessantes de mes collègues. J’avais constamment l’impression d’être à l’épreuve et je ne reconnaissais plus cette soignante que je devenais. Ma confiance en moi s’est éteinte à petit feu devant la montagne de choses que je ne maîtrisais pas, et je finissais par douter de tout, même de ce que je pensais savoir ou avais acquis auparavant.

Malgré un certain manque d’assurance, je savais quelle soignante je souhaitais être et j’étais capable de défendre mes idées dans l’intérêt du patient.

A l'heure de la dégringolade...

Après quelques mois à batailler avec moi-même pour vaincre mon stress, à étudier après mes heures de travail, à faire semblant de me sentir un brin confortable auprès de mes patients et de leur famille, j’ai fini par complètement craquer. Ce soir là, j’ai quitté l’hôpital en pleurant. J’ai pleuré pendant des heures sans réussir à parler. J’avais un mal de tête oppressant et l’impression d’avoir atteint un point de non retour sans savoir comment m’en sortir. Un entretien avec mes cadres plus tôt dans la journée avait déclenché mon lâcher prise, entretien pendant lequel j’apprenais lâchement une liste de reproches que faisaient mes collègues sur mon travail, sans jamais m’en avoir parlé directement au préalable. Mes compétences de soignant étaient ainsi remises en cause, ainsi que ma place au sein de l’hôpital. L’infirmière souriante, dynamique et motivée que j’étais a fini par totalement perdre pieds… Ce soir-là, je me suis sentie nulle, indigne et incapable. Incapable d’exercer ce métier qui quelques mois auparavant encore me passionnait. Je faisais face à un mur qui me semblait alors infranchissable. J’avais atteint un point de non retour et je ne voyais aucune solution à ce problème. Je n’étais plus en mesure d’entendre l’incompréhension et la révolte de mon entourage que j’accusais de ne pas être objectif. Je donnais tort à ceux qui me croyaient encore capable et souhaitaient que je rebondisse suite à cet échec. Le stress, accumulé ces quatre derniers mois et que je refusais d’accepter jusqu’alors, ressortait d’un seul coup. Désormais, l’idée d’être soignante m’effrayait et je souhaitais rendre définitivement ma blouse. Face à mon désarroi, mes proches, bien qu’eux-mêmes démunis, ont eu les bons réflexes et m’ont orientée et accompagnée afin de me raisonner tant bien que mal. Cette mésaventure m’aura coûté quelques jours d’hospitalisation, de nombreux entretiens avec les médecins, un traitement anxiolytique, une psychothérapie et plusieurs semaines de repos… Et oui, rien que ça. Non, le « burn out » comme on en entend parler de plus en plus, ce n’était pas que pour les autres, et malgré mon jeune âge, je n’avais pas été épargnée par cette nouvelle maladie professionnelle.

Le chemin a été long et la route un peu cabossée par moments. Aujourd’hui, je suis fière de dire que j’ai remonté une bonne partie de cette grosse pente qui s’était dressée devant moi il y a un an. Grâce à un entourage familial et amical bienveillant, j’ai su mettre les freins au bon moment afin d’espérer rebondir avant qu’il ne soit trop tard. J’ai eu la chance de bénéficier d’une ressource aussi inattendue que nécessaire : mon ancienne formatrice de l’institut de formation en soins infirmiers est intervenue. De mon lit d’hôpital jusqu’à mon retour fragile derrière la blouse, elle s’est investie pour que je reprenne confiance en moi. Grâce à elle, j’ai retrouvé petit à petit le courage d’imaginer un jour reprendre ces fonctions, qui pourtant m’effrayaient tant.

Ce soir-là, je me suis sentie nulle, indigne et incapable. Incapable d’exercer ce métier qui quelques mois auparavant encore me passionnait

Admettre que l'on n'est pas fautif...

Après la grosse phase « remise en question » et afin de relever la tête suite à cette expérience malheureuse, j’ai appris à oublier les « pourquoi ? pourquoi moi ? et si ? ». L’histoire était désormais ainsi faite. J’ai essayé d’oublier un instant la professionnelle que j’étais, afin de me recentrer sur la personne que j’étais dans mon cadre privé (et que j’avais un peu délaissée les mois précédents). J’ai appris à me définir différemment que par mon rôle de soignante : celui d’amie, d’épouse, de soeur… Puis, petit à petit, j’ai été capable de considérer l’appréciation de mes proches et anciens collègues qui me savaient compétente. J’ai doucement admis que ce qui m’arrivait n’était peut-être pas entièrement de ma faute. J’ai misé sur les choses que je savais bien faire et sur ce que j’avais fait de bien jusqu’à présent. J’ai fini par réaliser que, si tant de personnes s’investissaient à mes côtés pour que je reprenne mon avenir en mains, c’était peut-être que je n’étais pas si nulle que ça. Alors, pour avancer enfin, dans un premier temps, je l’ai fait pour ceux qui me sont chers et qui tentaient de m’aider. Grâce à toute cette bienveillance, j’ai réussi à retrouver le courage d’affronter cette épreuve et de refaire des projets afin de sortir la tête de l’eau.

Après quelques semaines de coupure, et grâce à « un petit coup de pouce du destin » (appelons ça comme ça), j’ai finalement décidé de remettre cette fameuse blouse. J’ai d’abord souhaité rencontrer ma cadre afin d’aller au bout des choses et m’exprimer enfin sur mon ressenti. Elle a su m’écouter, sans me juger, et être compréhensive face à ma situation. Puis, non sans mal, j’ai osé affronter mes peurs et j’ai intégré une nouvelle équipe. Retrouver la blouse et les soins a été une grosse épreuve, mais si je voulais me laisser une chance de rebondir, il le fallait. Je n’étais désormais plus la même soignante. Très peu sûre de moi, c’est très incertaine que j’ai remis les pieds à l’hôpital. J’étais devenue très méfiante, presque parano par instants, vis-à-vis de mon entourage de travail après la déception que j’avais connu au sein du service de soins intensifs. Je n’étais plus certaine de mes motivations et je ne savais plus si ce métier me plaisait encore après m’avoir presque détruite quelques semaines auparavant.

Affronter mes peurs en retournant travailler a finalement été une thérapie efficace. Evidemment, tout n’a pas été facile et certains moments ont refait surgir de gros doutes, mais à l’heure du bilan, je peux dire que je me suis presque réconciliée avec ma profession. J’ai retrouvé des valeurs auxquelles je m’étais attachée lors de ma première expérience professionnelle et, petit à petit, je m’intègre à ma nouvelle équipe de travail. Je réapprends à faire confiance et je ne vais plus travailler la boule au ventre. J’ai retrouvé mon ambition et cette motivation à me former davantage. Je ne vous cacherai pas que j’ai attendu un entretien avec la cadre du service, me confirmant ma bonne intégration au sein de l’équipe et les bonnes appréciations de mes nouveaux collègues, pour souffler un peu et envisager mon avenir de manière un peu plus optimiste. Au final, la meilleure reconnaissance reste celle des patients quand on vous lance un merci, vous êtes géniale !

Grâce à toute cette bienveillance, j’ai réussi à retrouver le courage d’affronter cette épreuve et de refaire des projets afin de sortir la tête de l’eau.

A toi soignant qui a lu mes lignes, n’oublie jamais d’où tu viens...

Un an plus tard, regarder en arrière me fait encore très mal et j’ai la gorge nouée lorsque je relis les premières lignes de mon passage à vide. Parfois, je me prends à dire que ça y est, la page est tournée ! Cependant, une telle expérience laisse forcément quelques séquelles et les vieux démons te rattrapent parfois très vite. Je le vis encore comme un échec dont j’ai honte. Ces quelques brèches ont un peu modifié mon identité professionnelle. Ma confiance en moi en reste encore fragilisée. Cependant, je souhaite en faire plus de positif que de négatif. J’aime à penser que mon encadrement en service de soins intensifs n’a pas été optimal mais de façon involontaire. Les remarques et attitudes de mes collègues étaient peut-être des maladresses dont on ne soupçonne parfois pas l’impact sur une personnalité un peu plus fragile.

A toi soignant qui a lu mes lignes, n’oublie jamais d’où tu viens, et surtout n’oublie pas que toi aussi tu as commencé un jour. Aie conscience que chacun avance à un rythme différent, et que ce qui te parait évident ne l’est pas forcément pour la personne que tu encadres. Fais attention aux mots que tu emploies ainsi qu’à ton attitude. Après tout, on a choisi le même métier, celui de travailler avec de l’humain. Et enfin, à toi, le soignant déstabilisé ou l’étudiant un peu malmené en stage, relève la tête, n’oublie jamais tes valeurs et pourquoi tu as choisi ce métier, et surtout, dis-toi que tu es là avant tout dans l’intérêt du patient que tu soignes, et non pour prouver quoi que ce soit à qui que ce soit (si ce n’est à toi-même que tu aimes le métier que tu as choisi !).

Une infirmière qui relève la tête et qui souhaite garder l'anonymat


Source : infirmiers.com