L’une des stars du congrès annuel de la Société Française d’Etude et de Traitement de la Douleur (SFETD) qui s’est tenu à Strasbourg du 27 au 29 novembre 2019 fut sans conteste le cannabis thérapeutique. Si apparemment beaucoup de patients en parlent à leur médecin pour apaiser leurs douleurs récalcitrantes, beaucoup de choses restent à faire dans ce domaine. Les recherches n’en sont qu’à leurs prémices, et les études de grande ampleur avec des données solides manquent. Or, une expérimentation devrait démarrer mi-2020.
Si l’emploi du cannabis à visée thérapeutique remonte à plusieurs milliers d’années, cette plante est loin d’avoir livré tous ses secrets. En effet, son usage pour soigner divers maux ne date pas d’hier. Au court de l’histoire, il a été employé dans le traitement de la douleur mais aussi dans une très grande variété de pathologies incluant les nausées, l’anorexie, l’épilepsie, la constipation ou la malaria. Cependant, son utilité pour un but « récréatif » et les effets addictifs associés l’ont fait interdire au début du XXème siècle. Aujourd’hui néanmoins, en partie via la crise des opioïdes, les composés cannabinoïdes reviennent en force sur le devant de la scène. Une session plénière y était consacrée lors du congrès de la SFETD à Strasbourg afin de savoir où en est-on et aussi de démêler le vrai du faux.
Pour les scientifiques, à ce jour, il est important de se défaire du « fantasme ». Si les composés les plus abondants comme le tétrahydrocannabinol ou THC (qui est responsable de l’effet euphorisant mais aussi de la dépendance), le cannabidiol (CBD) et le cannabinol (CBN) sont assez connus, il existe environ 400 autres molécules dérivées de la plante Cannabis Sativa et 60 d’entre elles ont un impact sur l’organisme via les mêmes mécanismes endogènes (ce que l’on nomme le « système endocannabinoïde »). Dernièrement, une nouvelle famille suscite l’intérêt des scientifiques pour ses propriétés pharmacologiques : les Terpènes. Ils ont des effets anti-inflammatoires et anti-cataboliques notamment
, précise le Pr Nicolas Authier, psychiatre et pharmacologue au CHU de Clermont Ferrand. Celui-ci a d’ailleurs fait partie du comité technique de l’ANSM (l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament) qui avait donné la marche à suivre en juin 2019 concernant la mise en place de l’expérimentation du cannabis thérapeutique en France. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les mécanismes d’actions des composés du cannabis sur notre organisme s’avèrent extrêmement complexes.
On sait que des patients répondeurs existent puisqu’on en voit dans le cadre de notre exercice, mais on n’a aucun moyen, pour l’instant, pour les identifier
Le cannabis à usage médical et les douleurs musculosquelettiques
Les études dans le domaine du cannabis dans un grand nombre de pathologies sont basées sur des preuves très minces et donc c’est tout un ensemble de recherches à mettre en place
, souligne le Pr Serge Perrot, rhumatologue à l’hôpital Cochin (Paris) qui a également fait partie du comité d’expert mandaté par l’ANSM. En effet, des études sur les animaux dans des modèles inflammatoires, notamment de polyarthrite, ont suggéré que les cannabinoïdes pouvaient jouer un rôle dans les douleurs musculosquelettiques.
Or, d’autres travaux précliniques ont tenté de démontrer l’intérêt antalgique du THC. Le but était d’injecter de la capsaïcine dans l’avant-bras de volontaires sains et de leur donner différentes doses de THC. Les résultats sont intéressants : à 45 minutes on constate des effets différenciés selon la dose. Pour une dose moyenne de THC (à 4%) on observe un effet antalgique. En revanche, avec un produit dilué à 8% de THC on note une augmentation de la douleur
, explique de Dr Perrot.
En parallèle, la première méta-analyse réalisée pour ce type de douleur en 2001 montrait un effet antalgique pas plus important que la codéine
. Une autre méta-analyse a eu lieu en 2018 sur les douleurs non cancéreuses. Les données indiquaient de faibles effets sur les douleurs ostéoarticulaires. Mais en réalité, il n’y avait aucune notion des taux de CBD ou de THC pris par les patients dans les travaux publiés. Donc si les bénéfices ne sont pas prouvés, cela ne veut pas dire qu’ils n’existent pas
. Selon l’expert, les études sont de faible qualité méthodologique on mélange beaucoup les composés et les pathologies. Il faut aller plus loin avec des populations spécifiques et avec des dosages plus précis
.
Il faut trouver le bon cannabinoïde à prescrire au bon patient au bon moment et par le biais adéquat
Les douleurs neuropathiques : la méta-analyse Cochrane
En ce qui concerne les douleurs neuropathiques chroniques chez l’adulte, les études, là aussi, sont relativement faibles. Le Dr Emilie Piquet du Département d’Evaluation et du Traitement de la Douleur du CHU de Nice a notamment cité la revue Cochrane parue en 2018 qui a relevé tous les essais cliniques jusqu’à novembre 2017. Ils ont donc retenu 16 études qui divergeaient autant sur les composés que sur les modes d’administration utilisés. Seules quatre études ont un nombre suffisant de patients (plus de cent personnes), les autres vont jusqu’à 15 patients. La revue a seulement classé deux études comme de haute qualité
, précise-t-elle. Ainsi, la méta analyse conclut qu’il n’y a aucune preuve de « haute qualité » de l’efficacité d’un traitement à base de cannabis. On n’a pas les caractéristiques des douleurs neuropathiques qui répondent ou pas dans telles ou telles conditions. On n’a pas d’indications sur les effets à longs termes non plus, ce qui explique pourquoi nous sommes si craintifs
.
Pourtant, la revue de l’EFIC (la fondation européenne de la douleur) a elle aussi émis des recommandations sur le sujet. Selon elle, le cannabis thérapeutique peut être envisagé dans les douleurs neuropathiques réfractaires après un échec des traitements de 1ère et 2ème intention. Cela devra être étroitement surveillé et arrêté en cas d’effets indésirables ou d’abus.
En outre, au niveau des effets secondaires, même si certains effets sont surtout connus lors d’un usage récréatif il faut y faire attention. A long terme, le risque de développer un syndrome amotivationnel existe. On peut se demander si, chez des patients qui vont prendre du THC, ce syndrome (s’il est observé), ne pourra pas limiter la prise en charge
, s’interroge le Dr Perrot.
Beaucoup de recherches sont à réaliser notamment afin d’établir une classification des profils de patients répondeurs. On sait qu’ils existent puisqu’on en voit dans le cadre de notre exercice, mais on n’a aucun moyen, pour l’instant, pour les identifier
, argumente le Pr Authier. Un point de vue partagé par le Dr Didier Bouhassira, neurologue et chercheur à l’Inserm : Il existe de très bons répondeurs et de très mauvais, donc quand on calcule les effets produits en moyenne sur les patients on ne voit pas grand-chose, ou du moins on ne note pas de bénéfices importants
. De même, il existe différents modes d’administration possibles : par vaporisation, par voie transmuqueuse ou par voie orale. On va éviter de le fumer…
, précise le Pr Authier Il faut trouver le bon cannabinoïde à prescrire au bon patient au bon moment et par le biais adéquat
.
Ainsi, l’expérimentation qui devrait débuter en juillet 2020 prend tout son sens
. D’ailleurs le Pr Authier le précise, un profil de patient très clair va être établi
. Cela va se passer dans des centres de la douleur. On va recueillir énormément de données des patients, il faudra qu’ils soient motivés. Ce sera une vraie étude clinique, non pas d’efficacité mais de faisabilité. On devra répondre aux questions d’utilisations pratiques comme celles concernant le parcours de soin du patient utilisateur, réfléchir à comment mettre en place une chaîne de prescription adaptée… Il faut reconnaitre que les autres antalgiques ne sont pas forcément très efficaces non plus, donc on ne peut pas rejeter ces substances là, mais il faut favoriser la recherche sur les douleurs les plus indiquées et tester différents ratios entre les cannabinoïdes (THC, CBD et autres)
, précise le Dr Perrot.
On n’a pas de substrat spécifique pour savoir où l’on va. On nous reproche de ne pas aller assez vite mais il est bon de prendre son temps
, conclut-il. On peut imaginer que beaucoup d’études devraient être menées dans l’avenir, il est vrai que le but est de soulager, non d’enfumer le patient…
On nous reproche de ne pas aller assez vite, mais il est bon de prendre son temps
Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com @roxane0706
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