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Cancer : sauver des hommes et des femmes, oui, mais après ?

Publié le 13/02/2013


Le 4 février dernier rimait avec « Journée de lutte contre le cancer ». A cette occasion, et parce que de temps à autres il faut mettre du concret dans les sujets très médiatisés, je partage avec vous cet éditorial à la fois fort et juste de Céline Lis-Raoux, Directrice de la rédaction du magazine pas comme les autres « Rose », semestriel féminin « haut de gamme » dédié aux femmes atteintes d'un cancer Faites passer !

Il y a bien la fête des pères et celle des mères, celle des grands-mères aussi, la fête des secrétaires et celle des amoureux, pourquoi pas une fête pour nous qui luttons contre le cancer ? Une fête bloquée entre la Chandeleur et la Saint-Valentin. Je préfère, finalement, cette date du 4 février qui évoque la lutte, la guerre, le corps à corps que les nœuds-nœuds rose d’octobre qui voudraient nous faire croire que, finalement, « le cancer ce n’est pas si grave ». Une mauvaise grippe. A peine plus.

Une lutte. Oui. Les bien portants ne savent pas grand chose de ce combat pied à pied, de cette inlassable guerre de tranchée contre les métastases, blitzkrieg contre la tumeur, radiations pour bruler jusqu’au cœur des cellules comme on jette du sel pour stériliser la terre… Chaque jour gagné sur le mal est un combat à recommencer le lendemain. Puis, le jour d’après. Et puis, pour les plus chanceuses d’entre nous, vient l’annonce de la rémission. Et on se dit : « C’est fini ». Mais non, ce n’est que le début.

Le cancer dégrade. Au sens étymologique. En ôtant d’abord nos « galons » de femmes : cheveux, cils, ongles, beauté - pour ce qui se voit ou s’estime. Sein, utérus, ovaires, règles, souvent capacité d’enfanter - pour ce qui se tait et se souffre. Mais ce n’est pas assez, encore. Dans une lente dégringolade sociale, vous découvrez que de « malade » - état acceptable car passager - vous devenez « intouchable » : sur le marché de l’humain, où l’on vous jauge à la fraîcheur de votre teint, l’état de votre carnet de santé comme jadis, aux dents, les esclaves, le cancer vous rend à jamais « inbankable ». Il devient socialement votre essence. Intouchable : pas mort, certes, mais plus tout à fait dans le cours de la vie.

Aujourd’hui on dépiste, chimiothérapie massivement, on soigne et de plus en plus, on sauve. Grâce au travail formidable de médecins, grâce aux millions d’euros investis par l’état, la maladie recule un peu chaque jour. Le cancer est en passe de devenir un mal chronique. Notre société se bat pour garder des hommes et des femmes, jadis voués à une mort certaine, en vie. C’est un effort immense et remarquable de toute la nation. Mais après ? Pourquoi sauver des hommes et des femmes à qui on va, ensuite, claquer la porte au nez ?

On nous explique, à longueur de reportages compassionnels, que les malades de cancer doivent se « reconstruire » après la maladie. Se reconstruire ? Nous voyons tous les jours à Rose Magazine des hommes et des femmes que des mois de traitements d’une violence inouïe, de souffrances, d’amputations multiples, n’ont pas réussi à détruire. Ils sont toujours debout, pleins d’espoir et d’amour de la vie. Ce n’est pas la maladie qui « déconstruit » les patients, c’est l’existence qui les attend « après ». La solitude, le « placard » dans l’entreprise, quand ce n’est pas purement et simplement la porte. Un DRH qui détourne, gêné, les yeux d’un CV lorsqu’il comprend que le « trou » de quatorze mois dans une carrière brillante porte le sceau infamant du cancer. Une promotion qui ne vient pas – et qui ne viendra jamais. Un banquier qui, vingt ans après une guérison, refuse le prêt qu’un jeune papa - par ailleurs ingénieur en CDI dans une grosse entreprise – veut contracter pour acheter un appartement et accueillir son futur bébé.

Est ce injuste ? Oui c’est injuste. Ce n’est pas bien grave. Nous cancéreux, sommes bien placés pour savoir que la vie est injuste. Mais, pire, c’est stupide.
Nous demandons le droit de redevenir des citoyens ordinaires. Nous demandons le droit de « rendre ». Rendre à une société qui nous a guéris - là où, dans d’autres pays moins généreux, nous aurions péri - l’enthousiasme, la volonté, la foi dans l’avenir que nous portons. Car ne nous y trompons pas : un cancéreux qui a la chance de survivre, vainc la bête grâce à ses traitements, c’est vrai, mais aussi grâce à une formidable, une farouche détermination. « Tenir » des mois, parfois des années, en tête à tête avec la mort développe des capacités de résistance, une fringale de vie, qui étonneraient le plus « résilient » des bien portants. Nous ne voulons pas la charité. Nous ne voulons pas de compassion. Nous voulons la confiance.

Je suis là pour écrire, vous êtes là pour lire. Nous sommes encore vivantes.
A Rose nous luttons contre le cancer chaque jour, chaque seconde. Avec nos peurs, peur de rechuter, de mourir, d’entraîner nos enfants, nos amours, nos proches dans ce combat qui ne laisse personne indemne. Mais nous ne sommes pas seules. Il y a vous, les lectrices devenues des amies, promptes à témoigner, donner votre avis, réagir, parfois râler – vous avez raison, c’est comme cela que nous avançons ! – Et puis il y a toutes les frangines qui nous ont quittés, Maryse, Delphine, Bénédicte, Anne-Laurence, Maryse Vaillant, il y a quelques jours. Nous ne marchons pas seules. Leur souvenir vivace, douloureusement vivace, nous accompagne chaque seconde.
Nous sommes tout un peuple. Et nous sommes aujourd’hui debout.

Il est temps de faire entendre nos millions de voix.

Bernadette FABREGAS
Rédactrice en chef Infirmiers.com
bernadette.fabregas@infirmiers.com


Source : infirmiers.com