Il y a seulement quelques jours, les média martelaient tous le même discours : les maisons de retraite sont en crise et les soignants exangues ! Une semaine après, qu'en reste-t-il ? On allume la radio, on l’éteint mais les problèmes persistent, la situation s’aggrave. Et après ? Mlle Peggy, une blogueuse, se le demande. Le gouvernement va-t-il enfin faire quelque chose pour stopper l’hémorragie…
Branle-bas de combat depuis plusieurs jours partout dans les médias : les Ehpad sont à la dérive ! Le personnel travaillant dans les maisons de retraite est au bord du « burn out » général, car ces conditions de travail sont insupportables ce qui induirait des prises en charge contestables des résidents… Je suis sans voix.
Chaque matin depuis trois jours, à peine réveillée, j’allume mécaniquement la radio, et j’entends les journalistes annoncer les dangers qui guettent nos aînés placés en Ehpad, le nouveau terme plus séduisant, désignant désormais les maisons de retraite. Et oui tout le monde semble découvrir que les conditions de vie y seraient terribles : défaut de soins, négligences voire maltraitances, récits de fin de vie indignes au fond de couloirs sombres, sales aux odeurs nauséabondes.
Ils ont voté des décennies durant, en imaginant un avenir meilleur, pour finalement finir leurs vies dans des mouroirs du 21ème siècle
Le virus des soignants : le trop c’est trop !
La France se réveille au son d’histoires qui évoquent des soignants infectés par un virus redoutable qui les empêchent de prendre soin humainement de leurs vieillards qui ont pourtant eu des vies de labeurs intenses, qui ont connu des joies, des peines, qui ont vécu des guerres, des génocides, qui ont subi des exodes, fêté des armistices.
Ils ont voté des décennies durant, en imaginant un avenir meilleur, pour finalement finir leurs vies dans des mouroirs du 21ème siècle qui n’ont rien à envier à ceux du 20ème siècle.
Et oui, depuis trois jours, la radio annonce que les soignants des Ehpad sont malades, il s’agirait d’un mal sérieux, dangereux et contagieux. Un mal dont certains ne se remettent pas, une maladie mortelle pour d'autres qui lorsqu’ils sont en phase terminale, finissent par se suicider . Des mises à mort un peu partout dans le pays, depuis plusieurs années déjà, depuis bien trop longtemps.
Au début, les directions d’hôpitaux ont évoqué des causes diverses et variées : problèmes familiaux entrainant souvent des soucis d’alcoolisme, voire d’addictions aux anxiolytiques et aux antidépresseurs. Evidemment, la dépression est en tête de liste en lien avec des problèmes personnels mais, jamais au grand jamais, les pouvoirs publics n’ont pensé aux difficultés des conditions de travail. Non jamais vraiment ! Le temps passant, de nombreux suicides de soignants ont lieu dans les services hospitaliers et dans les maisons de retraite. Là encore, pas de liens établis entre les conditions de travail et les lieux des « crimes ». Non, qu’allez-vous imaginer !
N’oublions pas que les soignants sont des super-héros du quotidien, ils préfèrent donc préserver leur entourage des effets traumatisants de la découverte du cadavre d’une mère, d’un père, d’un frère ou d’une sœur, d’un mari ou d’une épouse. Ils leur épargnent donc la douleur de la perte à domicile et choisissent de se supprimer sur leurs lieux de travail par empathie pour leurs proches, des gens biens vraiment ! Et oui les soignants sont endurants jusqu’au bout du bout, bien élevés avec une conscience professionnelle proche de la servitude .
Mais quel est alors ce virus qui conduit des gens si consciencieux à abandonner leurs fonctions et qui poussent les pouvoirs publics à en parler sérieusement, gravement, au journal télévisé, à la radio, à l’assemblée nationale, y compris sur BFM TV ? Mystère !
Un nouveau gouvernement, de nouveaux espoirs…
Pourtant, les soignants y ont cru lors des dernières élections présidentielles , un horizon plus clair s’annonçait avec un nouveau ministre de la Santé issu du monde de la santé, qui de toute façon ne pouvait pas être pire que le dernier. Ni plus condescendant, ni plus méprisant, ni plus insultant à l’égard de l’ensemble des corporations de santé. Le ciel s’éclaircissait avec un nouveau gouvernement, rajeuni, prêt à reconstruire un monde meilleur .
Aujourd’hui, huit mois après la nomination de ce gouvernement tou nouveau, tout beau, avec des ambitions de renouveau, nos aînés vivent toujours dans des conditions indignes et meurent souvent seuls. Et cette étrange maladie qui touche les soignants est à l’état pandémique.
Alors huit mois après ces fameuses élections présidentielles, l’heure est venue de rendre des comptes, et soudain les politiques de tous bords réalisent qu’il y a un potentiel électoral qui est présent, qui souffre, qui a soif de reconnaissance, qui réclame à cor et à cris des moyens parce qu’il a un mal fou à survivre. Et chacun sait que celui qui souffre est prêt à donner sa voix à quiconque propose de lui venir en aide. Un vivier de voix inexploitées… De l’or en barre pour tout politique réfléchissant un peu ! Mais quelque chose m’interpelle.... cette situation n’est pas nouvelle.
Nous étions de la main d’oeuvre supplémentaire corvéable à merci, à qui les taches les plus pénibles étaient attribuées
L’enfer de travailler en gériatrie
Il y a vingt ans, alors que j’étais étudiante nous redoutions tous certains services notamment le stage de gériatrie. Nous savions tous que nous allions vivre l’enfer durant quelques semaines. Le calvaire des toilettes à la chaine , sans respect de la pudeur du patient ni même des règles d‘hygiène élémentaires. Oui difficile d’être humain et professionnel avec 20 toilettes à réaliser le matin, et 20 le soir pour une infirmière et une aide-soignante avec comme seul mot d’ordre: « Tout le monde doit être au petit-déjeuner avant 10h ! »
Parlons des repas où tous les aliments étaient mixés ensemble de l’entrée au dessert donnés aux patients à toute hâte sans considération, sans douceur, sans empathie, avec impatience et parfois avec brusquerie voire violences. J’ai vu des patients admis en gériatrie et devenir incontinents en quelques jours parce que l’équipe imposait des protections la nuit avec barrières des lits relevées pour éviter les chutes nocturnes. Tous les étudiants y sont passés et ont subi ce que les « nécessités du service » infligeaient aux patients, au personnel et par ricochet aux élèves.
Et dans ces conditions, nous arrivions sur le terrain non pas comme étudiants, non pas pour être formés, encadrés et instruits mais au grand soulagement des équipes, nous étions de la main d’oeuvre supplémentaire corvéable à merci, à qui les taches les plus pénibles étaient attribuées souvent sans surveillance, sans l’encadrement requis par la loi et surtout sans le compagnonnage nécessaire qui est une des valeurs fortes de nos professions. L’enfer. C’était il y a vingt ans.
Les étudiants en soins infirmiers sont atteints du même virus que leurs consoeurs et confrères diplômés. Que se passe-t-il donc ? Le système de santé français s’effondre, se craquelle de parts et d’autres, les Ehpad sont des lanceurs d’alerte depuis plusieurs dizaines d’années .
Les usagers sont doublement victimes de cet état de fait, non seulement ils sont touchés par la maladie mais ils doivent subir un système qui n’est plus en mesure de leur assurer des soins de qualité en toute sécurité.
Je crois que c’est l’espoir de jours meilleurs qui me protège.
Un système aussi grabataire que les résidents d’Ehpad
Mais qu’en est-il des soignants ? Ils sont la colonne vertébrale du système, la moelle épinière, organe indispensable au bon fonctionnement de l’institution. Sans eux le corps même du système devient grabataire et meurt. Malheureusement ils sont atteints d’un virus qui se propage insidieusement mais sûrement. A la radio, les journalistes ont même déclaré que le niveau de contagion des soignants avait atteint le seuil pandémique. La situation est grave.
Comment les pouvoirs publics vont-ils faire pour les prendre en charge et soigner tous ces gens qui ont décidé de consacrer leur vie professionnelle aux autres et qui sont épuisés de lutter et de crier à l’aide ? Au mieux ils fuient et quittent le navire pour sauver leur peau, au pire ils meurent sur leur lieu de travail. Comment le gouvernement va-t-il pouvoir honorer ces « super-héros » du quotidien et leur accorder la reconnaissance qu’ils méritent et les moyens dont ils ont besoin pour exercer leurs professions dignement ? Quels arguments va-t-on pouvoir proposer aux futurs étudiants pour qu’ils choisissent d’intégrer des filières de santé ? Et enfin, va-t-on pouvoir proposer des solutions viables et pérennes aux Ehpad pour permettre à nos aïeux de vivre leurs dernières années dignement et sereinement comme chacun d’entre nous le souhaite pour ses proches et pour lui-même.
Il est temps pour moi d’éteindre la radio et de partir soigner mes patients, pour le moment j’ai la chance d’être immunisée, ce terrible virus est pourtant partout autour de moi. Je crois que c’est l’espoir de jours meilleurs qui me protège .
Allez, je termine par la célèbre formule des journalistes en direct sur le terrain rendant l’antenne au plateau de télévision dans les années 70, et qui rappellera de jolis souvenirs aux plus anciens qui me lisent : « Peggy en direct du terrain, à vous Cognacq-Jay ! »
Cet article a été publié sur le blog Mlle Peggy, infirmière libérale que nous remercions chaleureusement de ce partage.
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