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DOCUMENTATION

Botanique, anesthésie et... magie noire !

Publié le 04/12/2014
Ambroise Paré

Ambroise Paré

Dioscoride

Dioscoride

Extrait du Papyrus d

Extrait du Papyrus d

Extrait du livre des morts

Extrait du livre des morts

Illustration de la cueillette de Mandragore

Illustration de la cueillette de Mandragore

Harry Potter et la Chambre des secrets

Harry Potter et la Chambre des secrets

Illustration forme humaine Mandragore

Illustration forme humaine Mandragore

Dioscoride

Dioscoride

Article publié par le Gazier

Article publié par le Gazier

Mandragore

Mandragore

Harry Potter et la Chambre des secrets

Harry Potter et la Chambre des secrets

Statue de Théosphraste

Statue de Théosphraste

Affiche du spectacle Mandragola de Machiavel

Affiche du spectacle Mandragola de Machiavel

Repéré sur la toile, Edvard, blogueur actuellement en 5e année de formation d’anesthésiste-réanimateur, sévit sous le pseudo Le Gazier avec sa base line personnelle "L'anesthésie et la réanimation sans prise de tête". Il partage avec nous, et ce en toute bienveillance, cet article fort intéressant sur les aspects "mystérieux" de sa spécialité... Merci à lui !

Mandragora autumnalis

L’anesthésie-réanimation est parfois vue par certaines personnes, parfois des patients et parfois aussi par les chirurgiens comme une spécialité mystérieuse. Nous endormons des gens avec des produits bizarres, « le ptit lait » de couleur bizarre, qui parfois ont des effets étonnants (fasciculations avec la succinylcholine, dissociation avec la kétamine). Maintenant avec l’utilisation de l’hypnose en anesthésie, c’est encore plus vrai. C’est un versant de notre spécialité que j’aime beaucoup, ce côté un peu alchimiste, magicien, sorcier, guérisseur… Je trouve dommage qu’on ait de plus en plus tendance à oublier cet aspect de l’anesthésie, car il est noyé au milieu de toutes ces études scientifiques, basées sur des preuves, sur des statistiques.

Lorsqu’on regarde les manuels d’anesthésie ou les thèses de médecine d’il y a plus d’un siècle, on remarque comment la médecine a changé. La vision des choses n’est absolument plus la même. A l’époque les pratiques étaient basées sur l’observation, la confrontation des idées de chacun lors de congrès public, la rédaction d’essai et de manuscrits par celui qui fit une découverte surprenante. C’était l’époque du « trial and error », on essayait toutes sortes de choses et on observait les résultats. C’était l’inconnu, les thérapeutiques de l’époque étaient parfois basées sur des croyances obscures, des suppositions. On ne savait pas pourquoi, mais ça marchait.

Je vais donc vous faire découvrir, par cette série d’article, un peu l’histoire de notre spécialité, à travers des récits de l’époque, des images et photographies et même de légendes…

Un peu de botanique….

Mandragora Officinalis ou Atropa Mandagora est une plante de la famille des solanacées (dont fait partie la belladone) du genre solanum (même espèce que les tomates, les pommes de terre et le tabac). La plante n’a pas de tige, uniquement de grandes feuilles molles qui poussent près du sol, comme la laitue. Linné, un naturaliste suédois, nommait les plantes de cette famille « les blêmes » ou « les tristes » car les feuilles ont un aspect tombant avec des couleurs ternes. A l’automne les fleurs, blanches ou mauves, donnent naissance à des baies jaunes ou rouges qui réémettent la lumière blanche. La partie la plus importante de la plante est la racine qui est impressionnante. Elle peut atteindre 60 à 80 cm et peser plusieurs kilos. Elle a une forme fourchue, ce qui a suscité l’imagination des hommes, du fait de sa forme humanoïde avec un tronc et des jambes. Parmi les autres solanacées, c’est la seule qui était vraiment considérée comme « magique ».

Elle est initialement originaire de Syrie et pousse dans le pourtour méditerranéen (Italie, Sardaigne et Grèce) sous la forme de Mandagora autumnalis et mandragora vernalis, mais elle se rencontre également dans certaines régions de l’Himalaya sous la forme de  mandragora hausknetchii et mandragora caulescens. Pour pousser elle aime les expositions ensoleillées, les clairières, les plaines et les collines. Suite à sa récolte intensive, du fait du prix de sa racine, cette plante est devenue très rare, même dans son aire d’origine.

Propriétés pharmacologiques

Les solanacées contiennent, entre autres, des alcaloïdes dérivés du tropanol et de la scopoline. L’atropine et la daturine sont des esters tropiques du tropanol, alors que la scopolamine ou hyoscine est un ester tropique de la scopoline. La daturine ou hyoscyamine est une base lévogyre qui se transforme facilement en DL-hyoscamine, qui n’est d’autre que l’atropine. Ces alcaloïdes donnent aussi d’autres composés, qui sont des formes modifiées de l’atropine. En effet ces alcaloïdes possèdent la propriété de se transformer facilement les uns dans les autres.

La plante est sédative, antispasmodique, anti-inflammatoire (en cataplasme), hypnotique et hallucinogène. Elle aurait également des propriétés aphrodisiaques : dans la Genèse, la fécondité de Rachel et Jacob, à l’origine des douze tribus d’Israël, serait à attribuer à la mandragore ou dudhaim, également appelé « pomme d’amour » dans d’autres récits. Et Ruben s’en alla au temps de la moisson des blés, et trouva des mandragores dans les champs, et les apporta à Léa, sa mère. Et Rachel dit à Léa: Donne-moi, je te prie, des mandragores de ton fils. Et lorsque Jacob revint des champs le soir, Léa alla au-devant de lui, et dit: Tu viendras vers moi; car je t’ai loué pour les mandragores de mon fils; et il coucha avec elle cette nuit-là. Genèse 30 :14

La légende de la mandragore et son utilisation en médecine

Utilisation dans l’antiquité

En 1550 av. J.C., la mandragore est mentionnée sur le papyrus d’Ebers de l’Egypte pharaonique, où elle voisine avec l’opium, le chanvre et la jusquiame. La légende d’Hathor lui attribue des propriétés somnifères, le dieu-soleil Amon Râ endormant à l’aide de jus de mandragore sa fille Hathor, qui s’apprêtait à massacrer l’humanité.

Extrait du Papyrus d'Ebers

Les chaldéens (Chaldée = ancienne région entre l’Euphrate et le Tigre) la désignait sous le nom de « Yabinhin » et l’utilisait pour provoquer l’extase chez les adeptes lors des cérémonies d’initiation.

Extrait du livre des morts avec utilisation de la mandragore pour des rites initiatiques

Hippocrate (460-370 av. J.-C.) préconisait l’usage de la mandragore par voie interne en alcoolat comme antidépresseur, antispasmodique et sédatif, ainsi que par voie externe pour les injections vaginales ou le traitement des hémorroïdes. Il l’utilisait aussi pour soigner le tétanos et la fièvre quarte.

Statue de Theophraste

Théophraste (372-287 av. J.-C.), père de la botanique et élève d’Aristote, traite de la mandragore dans son traité « Recherche sur les Plantes » en rapportant que sa racine permet de traiter les maladies de la peau et la goutte et que les feuilles sont utiles pour soigner les blessures. Il connaissait aussi ses propriétés sédatives et aphrodisiaques. Il affirmait qu’il fallait prendre des précautions afin de cueillir cette plante. Qu’ils se gardent, d’avoir le vent en face et, préliminairement, qu’ils décrivent trois cercles autour de la plante avec une épée, puis qu’ils l’arrachent en se tournant vers le couchant. Il faut, en outre, qu’il y ait quelqu’un qui aille dansant à l’entour en chantant des refrains grivois.

Au Ier siècle après J.-C. Pedanius Dioscoride (40-90 après JC.), médecin de Neron et botaniste grec et Pline l’Ancien, définissaient pour la première fois la notion d’anesthésie, par l’absence de la capacité de sentir. C’est en observant les deux plantes les plus répandues dans cette région, le pavot et la mandragore, qu’ils mettent en évidence ces propriétés. Ils la définissaient de manière assez précise. Il y a une espèce femelle, noire qui est appelée tridakias, qui a des feuilles plus étroites et plus petites que la laitue, d’une odeur puante et forte, étendues sur le sol, ainsi que des « pommes » semblables à celles du sorbier, jaune pâle, d’une bonne odeur, dans lesquelles il y a une graine semblable à celle de la poire… Les feuilles de l’espèce mâle et blanche, que certains appellent morion, sont claires, grandes, larges et lisses comme celles de la bette. Ses pommes sont deux fois plus grosses, de couleur safran, dégagent une odeur agréable relativement forte. Les bergers en mangent et s’endorment pour un certain temps. Sa racine est semblable à la précédente, mais plus grande et plus blanche. Elle n’a pas de tige non plus…

Dioscoride dans son Histoire Naturelle, raconte qu’il fît cette découverte en extrayant 0,45 litres de vin de mandragore afin d’entraîner une action soporifique et de supprimer la douleur. Ce vin était donné aux condamnés avant qu’ils ne soient pendus ; le paradoxe entre torture des condamnés et administration d’un produit analgésiant.

  • Dioscoride qui tend une mandragore à Eurésis, la déésse de l’invention avec chien mort

  • Extrait de « Histoire Naturelle » de Dioscoride

Polyaenus de Bithynia, connu de ses huit livres de Strategemata (sur les stratagèmes), écrivain militaire grec du 2ème siècle, mentionne le stratagème utilisé par le général carthaginois Himilcon pour venir à bout des troupes de Denis de Syracuse qui l’assiégeaient : Himilcon se retira avec ses soldats à l’abri des remparts après avoir abandonné des outres remplies de vin généreux, dans lequel avaient macéré des Mandragores. Ses ennemis, imprudents, burent ce breuvage et s’endormirent profondément. Ils furent tous exterminés par les Carthaginois.

Galien (131-201 après J.-C.) médecin grec, déclare que l’écorce des racines de mandragore, associée à la myrrhe, la casse, le cèdre, le poivre, le safran et les semences de jusquiame, calme les douleurs de n’importe quelle partie du corps et qu’elle qu’en soit l’origine.

Apulée au 4è siècle, rédige «De virtutibus herbarum» dans lequel il précise si l’on doit couper ou cautériser quelque membre, ou y porter le fer, que le patient boive une demi once de mandragore dans du vin, et il dormira jusqu’à ce que le membre soit coupé, sans éprouver aucune douleur.

Moyen-Age : L’apparition de la légende

Les légendes sur la mandragore remonteraient à la Genèse avant le déluge. La mandragore serait le fruit de la solitude d’Adam : Le premier homme, avant la création de sa compagne, étendu sous l’Arbre de la Science du Bien et du Mal, mollement caressé par les vents chargés de effluves d’une nature en plein essor génésique, sentait sourdre dans son sommeil un trouble causé par l’attente et le désir de la femme. Et au cours de ses songes, il perdait sa semence qui fertilisait le sol. D’où les formes humaines des racines de mandragore.

Illustration de la forme humaine de la mandragore

C’est au Moyen-Age que la mandragore acquiert sa réputation de plante magique ou maléfique. Chez les Goths le mot « alruna » désignait à la fois la mandragore et la sorcière. En effet, il paraîtrait qu’elles s’enduisaient les aisselles et les muqueuses, dont le sexe, avec un bâton court appelé « dagon », afin de rentrer en transe et d’avoir la sensation de voler. C’est ce bâton, qui devint plus tard le fameux « balai des sorcières ». Cette plante était également utilisée par les guérisseuses pour faciliter les accouchements. Ces guérisseuses étaient des sages-femmes, « sagax » en latin qui désignait les sorcières chez les Romains.

A cette époque, la mandragore était considérée comme la plante des sorcières. Selon la légende, la plante poussait un cri effroyable quand on voulait l’arracher et ceux qui voulaient s’en emparer étaient foudroyés. Cette plante rentrait dans la composition des philtres magiques et était connu pour naître de la terre fécondée par « le sperme des pendus innocents ». Les Mandragores ne s’obtiennent pas par la voie de transplantation ou de graine, mais du sperme des hommes pendus aux gibets ou écrasés sur les roues qui, se liquéfiants et coulant avec la graisse et tombant goutte à goutte dans la terre déjà grasse et onctueuse par la fréquence des corps pendus, produit ainsi cette plante, le sperme de l’homme faisant effet et office de graine.

Elle était réputée pour avoir des propriétés surnaturelles effrayantes, comme en témoigne ce formulaire magique : On récole les mandragores, la nuit du vendredi, lorsqu’elles sont lumineuses après l’orage. Il convient en premier lieu, de tracer trois cercles concentriques autour de la plante, avec un poignard magique, puis ensuite de dégager délicatement la racine. Un chien noir affamé, animal condamné, est attaché au pied de la plante et, excité par le son du cor, est appelé au loin, devant franchir les trois cercles concentriques inscrits à terre. La plante émet lors de l’arrachage, un cri agonique insoutenable, tuant l’animal et l’homme non éloigné aux oreilles non bouchées de cire. La racine devient magique après lavage, macération et maturation en linceul ; elle représente l’ébauche de l’homme, « petit homme planté » ou « homonculus ». Ainsi choyée elle reste éternellement fidèle à son maître et procure à son possesseur, prospérité prodigieuse, abondance de biens et fécondité. De ce fait elle est vendue très chère en raison du risque à la cueillette, de préférence sexuée par la présence de touffes judicieusement disposées. Une autre tradition concernant les alunes nous dit que la mandragore de forme humaine peut être considérée comme un esprit servant. Elle est indéfectiblement liée à celui qui l’a créé et ne peut être transmise qu’à sa famille qui en la charge ou encore cédée à prix d’or. Celui qui achète une mandragore ne peut s’en débarrasser sauf à la vendre plus cher qu’il ne l’a achetée.

Illustration du XVe siècle de la cueillette de la mandragore

D’autres légendes existent sur la mandragore. On dit que Jeanne d’Arc fût soupçonnée d’en posséder une comme l’évoque l’acte d’accusation dressé contre elle en 1430 : Ladite Jeanne eut coutume de porter parfois une mandragore dans son sein, espérant par ce moyen avoir bonne fortune en richesse et choses temporelles. Une tradition veut que des mandragores poussent à Domrémy, près de l’arbre sous lequel elle aurait entendu des voix.

Après la formation de l’Abbaye du Mont Cassin aux alentours de 529, Saint-Benoit imposa aux moines de soigner et de guérir les malades. Etant donné que la prière et l’exorcisme n’étaient pas assez efficaces, ils utilisèrent des plantes médicinales. C’est grâce à la transcription de Guido d’Arezzo sur les pratiques de ces moines, que nous savons qu’ils utilisaient plusieurs plantes dont l’opium, la jusquiame et la mandragore, qu’ils appliquaient à travers une éponge posée sur la figure. C’est ainsi qu’apparurent les éponges soporifiques.

En 1513, Machiavel a appelé une de ses comédies Mandragola , pièce dont le prétexte est l’utilisation du jus de mandragore comme fécondant de femmes stériles.

Affiche du spectacle Mandragola de Machiavel

De la Renaissance à Nos Jours : L’Utilisation en médecine

Pietro Andrea Matthioli (1501-1577) médecin et un botaniste italien, s’emploie à relater et à récuser les légendes qui s’attachent à la mandragore : Au reste ce ne sont que fables ce qu’on dit que les mandragores ont leurs racines faites à mode d’une personne, comme ces bonnes vieilles pensent. Ausquelles on a donné aussi à entendre qu’on ne les peut tirer qu’avec grand danger de la vie : et qu’il convient attacher un chien ausdictes racines, pour les arracher, et s’estoupper de cire ou de pois les oreilles, de peur d’ouyr le cry de la racine, qui feroit mourir ceux qui fouyroient, si d’aventure ils oyoient ledict cry.

Ambroise Paré

Avant Ambroise Paré (1510-1590), le chirurgien bolognais Théodoric pratiquait déjà l’anesthésie. Il se servait d’éponges imprégnées d’opium, de jusquiame, d’huile de mandragore et de chanvre, qu’il faisait inhaler au malade avant de l’opérer.

Plus tard les alcaloïdes de la mandragore furent utilisés par Ambroise Paré comme anesthésiants.

Depuis le 18ème siècle, l’usage de la mandragore est tombé en désuétude. Cependant en 1847, D’Auriol, à Toulouse, remet à la mode les éponges de sucs de solanacées et rapporte leur utilisation dans le « Journal Médico-chirurgical de Toulouse » lors de la réalisation d’amputation de doigts, d’ablation de tumeur palpébrale ou du sein, et de cure de fistule anale…

Au 20ème siècle, la mention de l’utilisation de la mandragore comme antalgique ou hypnotique a pratiquement disparu des formulaires pharmaceutiques, à l’exception de quelques usages possibles comme antispasmodiques ou antitussifs. Son utilisation n’est plus que l’apanage des guérisseurs et sorciers africains qui l’utilisent pour ses effets sédatifs et hallucinogènes, ainsi que pour ses prétendues vertus sexuelles.

Récemment la mandragore a refait son apparition dans Harry Potter et la Chambre des Secrets, ou elle est utilisée par le Professeur Pomona Sprout pour faire le philtre régénérateur, qui permet de guérir les personnes qui ont été pétrifiées par la vue indirecte du regard du Basilic.

Final Words…

J’espère que cet exposé vous a autant passionné que moi, et j’espère que maintenant, quand vous injecterez de l’atropine ou que vous utiliserez de la scopolamine, vous penserez à la légende de la mandragore et que vous vous sentirez un peu magicien(ne) ou sorcier(e) dans l’âme !!!

Bibliographie

  • Botanique, chimie et toxicologie des solanacées hallucinogènes : belladone, datura, jusquiame, mandragore. Annales de Toxicologie Analytique, vol XVI, n°1, 2004
  • Victory over Pain, a history of Anesthesia, Victor Robinson M.D.
  • La légende de la Mandragore, Club Français de l’histoire de l’anesthésie et réanimation, char-fr.net
  • « La mandragore magique » G. Le Rouge, 1912
  • Recherches sur l’histoire de l’anesthésie avant 1846, Marguerite-Louise Baur, Med Pract von Zürich, Leiden 1927

Article publié par Le Gazier, le 20 novembre 2014 "La légende de la Mandragore: quand l’anesthésie rejoint la magie noire"


Source : infirmiers.com