L'épidémie de Covid-19 prend toujours la France en étau et la deuxième vague, que l'on espérait avoir (presque) dépassée, n'en finit plus de durer sans qu'une sortie de crise réelle ne se profile à l'horizon. Considérablement mobilisés dès le printemps dernier, tous les professionnels du soin - en particulier ceux exerçant dans les services de réanimation - ont payé un lourd tribut professionnel et personnel à leur investissement. Comment aider les patients sévèrement atteints, rester assez fort pour apporter aux malades ce dont ils ont besoin, préserver sa vie privée... ? Autant de défis quotidiens que relèvent Pénélope Criqui, infirmière, et Sophie Rouyer, aide-soignante, que notre consoeur Clémence de Blasi a rencontrées dans le Nord.
Pénélope, infirmière
Derrière la porte de la chambre 0.723, Pénélope Criqui prend quelques instants pour observer son prochain patient. Un homme d’une cinquantaine d’années, sans antécédents particuliers, très affecté par le Covid. Le matin, j’ai besoin de me faire une petite idée de la situation, avant de me lancer
, explique-t-elle. Après quatre recours au décubitus ventral pour l’aider à respirer, plusieurs réveils difficiles et un bon mois passé en réa, où Pénélope travaille depuis six ans, le malade vient enfin d’être transféré en service de rééducation.
L’équipe admet des soignants qu’elle connaît, atteints par un virus qu’elle ne connaît pas
Petite, je faisais du secourisme, comme mes parents. J’ai toujours baigné là-dedans, raconte avec pudeur cette infirmière, mère de deux enfants. J’aime les situations d’urgence, les phases aiguës, les montées d’adrénaline. Le sourire des patients, des familles, c’est très gratifiant. Je ne me vois pas faire autre chose, même si ce n’est pas facile tous les jours…
. En avril, parmi les premiers patients Covid reçus par le service, arrive un infirmier. Quelques jours plus tard, c’est au tour d’un médecin réanimateur. L’équipe admet des soignants qu’elle connaît, atteints par un virus qu’elle ne connaît pas. On a très vite pris conscience de la gravité de la situation
, observe Pénélope calmement.
Moi j’ai envie de continuer, parce que j’aime toujours ce que je fais
Depuis le déclenchement du plan blanc, au printemps dernier, les trois-huit ont cédé la place à des journées de douze heures, de jour ou de nuit. Entre les toilettes, les pansements, les médicaments, le rythme est très intense. En ce moment, comme beaucoup de soignants, je suis fatiguée physiquement. Cette crise nous aura rapprochés, soudés, mais je sais que quand elle sera passée, beaucoup de collègues risquent de quitter la profession. On a beaucoup donné de notre personne, je comprends que cela puisse devenir pesant pour certains. Mais moi j’ai envie de continuer, parce que j’aime toujours ce que je fais
.
Nous ne sommes pas des héros de guerre, juste des gens qui faisons notre boulot
Le matin, quand on part à 7h, il fait noir. Quand on revient, vers 20h, c’est pareil : on ne sort pas la tête de l’eau. Pour tenir, il faut prendre du temps pour soi, c’est important. Nous ne sommes pas des héros de guerre, juste des gens qui faisons notre boulot.
Sophie, aide-soignante
Sophie Rouyer se réveille au moment où la plupart des gens terminent de déjeuner. Le temps de se préparer, il est déjà près de 15h lorsqu’elle prend son premier café de la journée, sur la table de la salle à manger. L’après-midi, la maison est silencieuse. Ses enfants, Marie et Nathan, 12 et 7 ans, sont encore à l’école. Son conjoint, Olivier, ne rentrera pas du travail avant le soir. La suite de la journée, c’est une routine bien rôdée : être à la sortie des classes, surveiller les devoirs pendant que les petits prennent leur goûter – un croque de tartine, un mot de vocabulaire, préparer le dîner, faire le câlin d’au revoir puis le trajet jusqu’au centre hospitalier de Roubaix.
Très vite, elle demande à ne faire plus que des nuits, pour être avec les siens la journée
Après une dizaine d’années aux courts séjours gériatriques, Sophie a rejoint le service réanimation de l’hôpital en avril 2019. Un défi personnel, explique-t-elle dans un large sourire, les yeux brillants. J’avais envie de casser la routine, de continuer à apprendre. Pour prendre ses marques dans ce service, il faut entre six mois et un an ; j’ai eu l’impression de retourner à l’école !
. Au moment où elle commence à s’y sentir à l’aise, le plan blanc est déclenché : le coronavirus se propage dans une France qui décide, au seuil du printemps, de se confiner totalement. Je revenais de quelques jours de vacances en famille, se souvient-elle avec amusement. Juste à temps pour l’ouverture de lits et le passage en journées de 12 heures
. Le pays est paralysé, les enfants cantonnés à la maison, mais Sophie et son époux, qui travaille dans le commerce, enchaînent les grosses journées. La nounou nous a beaucoup aidés…
. Très vite, elle demande à ne faire plus que des nuits, pour être avec les siens la journée.
De ces circonstances particulières, une vraie solidarité est née dans l’équipe, se réjouit-elle. Des liens qui lui ont permis de tenir, comme autant de bouffées d’oxygène
A 19h30, tout de blanc vêtue, l’aide-soignante franchit les portes de l’unité Covid, sa montre connectée accrochée à la poitrine. Je fais attention, mais je n’ai pas de craintes particulières : pour moi ce sont des malades comme les autres, qui ont besoin de nous
, explique-t-elle. Sophie fait le tour des chambres en prenant les constantes des patients, change les draps, devine les besoins, anticipe et rassure. La nuit passe à toute allure. Le plus dur, c’est la toute dernière heure, quand le corps se dit "ça y est, c’est la fin", qu’il se relâche un peu. Quand on arrive au vestiaire, on nous appelle les zombies !
. De ces circonstances particulières, une vraie solidarité est née dans l’équipe, se réjouit-elle. Des liens qui lui ont permis de tenir, comme autant de bouffées d’oxygène. Tout va très vite, j’ai l’impression de ne jamais quitter mon travail. Les enfants ont tenu à avoir un sapin, mais cette année je ne suis pas vraiment dans l’esprit de Noël. On se dirige vers une troisième vague, et il faudra tenir bon. On sait qu’un jour ça se terminera, mais quand ?
.
Clémence de Blasi
Journaliste indépendante@2Blasi
clemencedeblasi.com
INTERNATIONAL
Infirmiers, infirmières : appel à candidatures pour les prix "Reconnaissance" 2025 du SIDIIEF
HOSPITALISATION A DOMICILE
Un flash sécurité patient sur les évènements indésirables associés aux soins en HAD
THÉRAPIES COMPLÉMENTAIRES
Hypnose, méditation : la révolution silencieuse
RECRUTEMENT
Pénurie d'infirmiers : où en est-on ?