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PORTRAIT / TEMOIGNAGE

Attentats : "Tu ne peux pas comprendre, tu n’y étais pas !"

Publié le 28/07/2016

C'est une conséquence dont on parle peu, voire pas du tout. Si les personnes touchées, blessées lors d'un attentat, mais aussi leurs proches, les soignants et les forces de sécurité qui interviennent dans un chaos rarement égalé bénéficient dans le meilleur des cas d'un soutien psychologique rapide, que se passe-t-il lorsque le soignant rentre chez lui ? Comment gère-t-il l'après, hors de son contexte professionnel, seul avec ses souvenirs traumatiques face à son conjoint, ses enfants ? Cet article « Tu ne peux pas comprendre, tu n’y étais pas ! » publié sur le site belge LaLibre.be nous livre un point de vue inédit via le témoignage de la conjointe d'un infirmier urgentiste mobilisé lors des attentats bruxellois du 22 mars dernier.

Le cercle vicieux post-attentat du questionnement infernal des personnels de santé et de sécurité  se met en place : « et si j’avais agi autrement ? »… « et si j’avais appelé plus vite tel service hospitalier ? », « et si j’avais réquisitionné plus rapidement une ambulance ? » « …et si, et si et si… »

Cette femme d'infirmier , qui demeure anonyme dans cet article publié par un site internet belge suite aux attentats de Bruxelles en mars dernier, le rappelle d'emblée : une troisième catégorie de victimes est aussi à déplorer : les familles de ce personnel de santé et de sécurité. Des familles qui souffrent de façon pernicieuse et sournoise de leurs séquelles psychologiques. Ces familles ne se rendant pas compte des cercles vicieux qui se mettent en place dans l’esprit de leur conjoint. (...) Le conjoint infirmier qui, par exemple, était à Zaventem et lance à son épouse: "tu ne peux pas comprendre, tu n’y étais pas !". Le conjoint s’enferme, ne parle plus et s’éloigne. En effet, tous ceux qui l'ont vécu le savent bien, le groupe professionnel est très aidant dans des situations particulièrement éprouvantes. Entre collègues, on se comprend, on se console, on a  « vécu » la même chose, on sait de quoi on parle, les gestes peuvent être « contenants », les larmes peuvent aussi remplacer les mots … mais après ? Seul, le soignant rentre chez lui, isolé de son contexte professionnel, traumatisé comme tout être humain par les situations éprouvantes et inédites qu'il a vécu. Il doit alors faire face à ses proches qui peuvent le questionner, lui demander de raconter, expliquer comment il fait pour résister ? Mais comment partager ? Trouver les mots, revenir sur les faits, revoir les images, se reposer, dormir ? Quelle attitude doivent alors avoir le conjoint, les enfants ? Comment peuvent-ils être aidants face à ce proche qui doit tenter « d'oublier » pour poursuivre ses missions et se re-construire après le drame ?

Cette épouse poursuit : le lien se défait petit à petit avec les membres de la famille. Famille qui ne se rend pas compte, qui ne peut pas se rendre compte parce qu’elle n’était pas là lors de ces événements, mais aussi parce que le personnel de santé et de sécurité choisit inconsciemment de ne plus décrire ou raconter ce qu’il ressent. Parfois aussi parce que cette même famille commet l’erreur - erreur inconsciente - de ne plus vouloir entendre parler de ces questions. « Arrête de tourner en rond, passe à autre chose !…. Ce sont des phrases qui peuvent être énoncées par la famille à l’adresse du conjoint infirmier qui ressasse sans fin son histoire des attentats. Et ces phrases conduisent malheureusement à plus d’isolement. Et finalement des drames familiaux voient le jour.

Le témoignage insiste pourtant sur la place et le rôle de la famille. Ces compagnons, compagnes, époux, épouses, enfants, parents… - peuvent et doivent jouer un rôle dans le processus de reconstruction. D’abord parce qu'elles sont parmi les premières personnes à pouvoir apporter de l’affection, simplement en ouvrant les bras. (…) Puis jouer un rôle de ré-hiérarchisation des valeurs dans des événements qui mettent le sens de la vie en question. Ces familles doivent continuer à vivre, les enfants à grandir, les conjoints à s’épanouir, et le personnel de santé et de sécurité doit retourner à sa tâche, à son métier, à sa raison d’être, avec confiance et professionnalisme, avec un certain détachement aussi. Une attitude de détachement qui, on le sait, n'est pas la plus simple à adopter...

Cette femme d'infirmier conclut son analyse par un « appel à l'aide ». Ces événements sont l’horreur absolue et chamboulent tout le système de repères - les normes, les valeurs -. Devant la mort inouïe, brutale, injuste, l’importance des relations de couple et de famille peut se voir dévaluée. (…) De plus, il est injuste que des personnes beaucoup plus éloignées de l’horreur initiale soient privées des outils et des mots pour aider leur conjoints et eux-mêmes. Au final, un témoignage utile, indispensable, et qui souligne la nécessité absolue d’accompagner les familles du personnel de santé et de sécurité. Pour qu'elles puissent à leur tour accompagner les leurs, confrontés à des situations dramatiques. Et que la chaîne des dégâts soit stoppée au plus vite.

• Retrouvez l'intégralité de ce témoignage publié sur le site belge lalibre.be le 26 juillet 2016.

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com