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PORTRAIT / TEMOIGNAGE

Attaques à Paris : un infirmier raconte sa nuit aux urgences

Publié le 19/11/2015
urgences hopitaux

urgences hopitaux

À la suite des attentats qui se sont déroulés à Paris le 13 novembre 2015, un infirmier aux urgences raconte sa nuit aux urgences et répond aux questions que les utilisateurs se posent concernant l'état d'esprit des soignants et leur ressenti sur reddit, un site web communautaire.

Les urgences des hôpitaux parisiens ont été confrontées à un afflux important de patients en raison des attentats survenus le 13 novembre 2015.

nurse_not_for_karma, infirmier aux urgences, témoigne à la suite des attaques qui ont eu lieu à Paris le 13 novembre 2015. Sur la plateforme communautaire reddit, il répond aux questions des internautes. Il souhaite notamment les amener à mieux comprendre comment les choses se sont passées et faire part du ressenti des équipes soignantes qui ont été mobilisées. Voici donc quelques questions/réponses.

Iansas - Merci d'avoir été présent. Tu peux clarifier la différence entre état d'urgence absolue et état critique pour la santé des patients ? Je n'ai pas compris pourquoi j'entends ce mot maintenant. Je suis persuadé que depuis tout petit on parle tout le temps "d'état critique".

nurse_not_for_karma - Urgence absolue, où je suis, c'est par exemple un patient en arrêt cardiaque, il faut le prendre en charge dans les secondes qui suivent. État critique, je dirais un patient dont on ne sait pas à quoi s'attendre, mais dont les blessures ou l'état de santé peuvent empirer rapidement si on ne les prend pas en charge.

Lilpims - Merci pour cet AMA (Ask Me Anything). Peux-tu décrire ce que tu as vu et l'état d'esprit des services ce soir là ? Il paraît que certains hôpitaux ont fait des exercices pour se préparer à ces événements. Est-ce le cas de ton établissement ?

nurse_not_for_karma - Je crois que la simulation concernait surtout le SAMU et les pompiers de Paris. Personnellement, je n'ai jamais fait d'exercice de ce type à l'hôpital où je travaille (j'y suis depuis à peu près 1 an). L'état d'esprit, c'était : on fait ce qu'on peut, en sachant qu'on faisait de la médecine de guerre (essentiellement au début, quand on n'avait pas assez personnel pour faire face, avant l'arrivée des collègues qui revenaient).

Frensoa – Au vu du nombre d'hôpitaux parisiens et étant donné que les blessés ont été répartis sur plusieurs sites, à quel point votre hôpital a-t-il connu un gros afflux ? Est-ce que c'était l'équivalent d'une "simple" grosse nuit ou est-ce que c'était d'une ampleur jamais vue pour vous ? - désolé si c'est déplacé - Merci beaucoup pour cet AMA. Bon courage à toi pour te remettre de cet événement. J'espère que tu as eu un petit temps de récup' après cette horreur.

nurse_not_for_karma - Pas du tout déplacé comme question. On a reçu environ une cinquantaine de patients, ce qui représente environ deux fois plus de patients qu'une nuit normale (pas trop chargée). La grosse différence c'est que l'on ne reçoit jamais de plaies par balles, car on n'est pas du tout les plus adaptés pour ça. Donc là, on a reçu 50 patients qu'on n'a absolument pas l'habitude de gérer aux urgences. Sur les 50, je pense qu'une vingtaine demandaient des soins immédiats (pronostic vital engagé si on ne les prenait pas en charge rapidement). L'afflux aurait été insurmontable si aucun personnel n'était revenu et si les autres services n'avaient pas aidé. Nous n'avons perdu aucun patient (d'après les dernières nouvelles que j'ai eues) cette nuit là. Si les personnels en repos et des autres services n'étaient pas venus aider, tout en ayant en tête que la meilleure chose à faire pour Daech serait de nous attaquer, le bilan aurait été tout autre je pense. Donc oui, c'était d'une ampleur vraiment jamais vue, pour aucun hôpital je pense. Les urgences ressemblaient à une scène de guerre après coup.

L'état d'esprit, c'était : on fait ce qu'on peut, en sachant qu'on faisait de la médecine de guerre

Thyuchev - L'accès aux urgences est-il protégé dans ces cas-là ? Ou est-ce que cela reste des urgences donc ouvertes ?

nurse_not_for_karma - La sécurité a été un point que nous avons évoqué après coup, car on ne se sentait pas vraiment en sécurité, sans rentrer dans les détails.

Kalulosu - 1) Merci. 2) Ça va ? Genre, vraiment ? 3) Quel est ton ressenti pour ton boulot, ton futur après cette nuit ? Tu te sens d’aplomb pour reprendre (de préférence pour des cas moins graves :)), ou au contraire tu satures ? 4)  Qu'est-ce qu'on peut faire en tant que gens lambda pour vous faciliter la vie ?

nurse_not_for_karma - 1) De rien 2) Ca peut aller, des hauts et des bas. La vie professionnelle et personnelle se mêlent, et des les choix à faire sont parfois durs à gérer. 3) Mon ressenti pour mon boulot, c'est que j'espère qu'on se préparera plus en cas d'éventuelles nouvelles attaques. Je me sens d'aplomb pour reprendre le travail, et y retournerais si ça se reproduisait. 4) Ne pas saturer les urgences pour des choses inutiles. Je comprends que des personnes en aient marre d'attendre et demandent des nouvelles (et j'en donne toujours volontiers), mais il faut comprendre qu'il y a plusieurs degrés d'urgence et que d'autres personnes passeront avant vous. Si vous venez aux urgences, acceptez d'y passer du temps, c'est parce qu'on a envie que vous rentriez chez vous dans les meilleurs conditions.

Eeeklesinge - J'ai entendu une interview d'un médecin urgentiste qui parle du silence des victimes, encore sous le choc. Comment ça se passe sur place ? Et déjà, aviez vous la place de tous les répartir dans des pièces différentes ?

nurse_not_for_karma - Les victimes étaient très calmes, nous remerciaient. Un patient m'a même dit "ça doit être dur pour vous ce soir". Il avait plusieurs balles dans le corps.

Addict7 - Comme tout le monde ici, merci à toi et à tes collègues. Est-ce que cette nuit a changé la vision que tu as de ton métier?

nurse_not_for_karma - Je ne saurais pas dire ce qu'elle a changé chez moi, mais le souvenir et le traumatisme de cette nuit me marqueront à jamais, c'est sur.

M4573rPunk - Merci beaucoup beaucoup pour le AMA et pour le travail que tu as fais cette nuit ! J'aimerais connaître un peu l'état d'esprit qu'il y a eu entre le moment où les médias ont commencé à relayer l'information et le moment où vous avez reçu les premières victimes. Que faisais-tu au moment des attaques ? Comment as-tu appris ce qu'il était entrain de se passer ? Qu'a été la réaction du personnel sur place ?

nurse_not_for_karma - Je l'ai appris par mon amie qui m'a dit qu'elle était coincée à République et m'a demandé de regarder les infos (je rentrais tout juste du travail). J'ai vu qu'il y avait plusieurs attaques simultanées, dont je suis retourné aux urgences pour voir s'ils avaient besoin d'aide (il devait être 22h15) . Effectivement, ils avaient plus que besoin d'aide. La réaction du personnel a été de s'occuper des patients, comme ils venaient. La rapidité des événements a fait que personne n'a vraiment eu le temps de se poser de questions jusqu'à ce que les choses se tassent vers 3-4h du matin.

La première nuit (donc entre 6h et 11h du matin) j'ai très mal dormi, je me suis réveillé plusieurs fois. La seconde nuit (donc le soir même) j'étais très angoissé au moment de m'endormir. La nuit d'après ça allait mieux.

Aoyia - Est-ce que tu as eu peur qu'il t'arrive quelque chose ? Ou est-ce que tu étais assez loin pour te sentir en sécurité ? Ou est-ce que tu n'y as juste pas pensé ?

nurse_not_for_karma - Franchement, quand j'y suis allé je n'étais pas trop rassuré. Je me suis toujours dit que la chose la plus intelligente à faire serait d'attaquer les hôpitaux en même temps que les autres victimes afin de tout déstabiliser. Après j'ai rapidement oublié ça dans le feu de l'action.

Renard4 - Question un peu technique, on peut se fier à des médecins hospitaliers pour traiter des blessures de guerre auxquelles ils n'ont peut-être jamais été confrontés ? Ils n'étaient pas un peu paumés ? Et comment ça a été géré ?

nurse_not_for_karma - Tu peux t'y fier, et il faut comprendre qu'aux urgences on avait des réanimateurs, chirurgiens, urgentistes, qui s'aidaient mutuellement pour prendre en charge les patients.

Jackthereader - Tiens encore une question, C'est quoi le protocole pour prévenir le personnel médical de ce genre de crise ? J'imagine tout-à-fait que quelqu'un qui arrive chez lui à 20h, ne regarde ni la télé ni les infos sur internet. Est-ce qu'il y a un plan pour rappeler le staff (ou au contraire il faut absolument tout faire pour que la relève arrive fraîche et reposée à 6-7h du matin). Est-ce qu'il y a un plan avec des astreintes pour s'assurer à coup sur qu'il y ait du renfort disponible ou c'est juste les volontaires qui ont eu l'info. Est-ce que votre hiérarchie a ordonné à des gens de rentrer chez eux pour avoir des gens frais pour le matin ?

nurse_not_for_karma - Le plan blanc prévoit de rappeler du personnel. Cette soirée là, tout le personnel nécessaire est revenu de lui même. Des personnes ont pratiquement enchaîné la matinée après la nuit (dur de dormir après une nuit comme ça de toute façon). Après... vous imaginez bien que les gens qui avaient mal au pied depuis 3 semaines ont reporté pour venir aux "urgences".

P4m2 - Merci infiniment pour tout :). Pas trop dur psychologiquement/physiquement? T'as pas dû beaucoup dormir, t'as su récupérer de cette nuit d'horreur ?

nurse_not_for_karma - La première nuit (donc entre 6h et 11h du matin) j'ai très mal dormi, je me suis réveillé plusieurs fois. La seconde nuit (donc le soir même) j'étais très angoissé au moment de m'endormir. La nuit d'après ça allait mieux. Ce qui est dur c'est que comme je le disais dans un autre poste, le professionnel et le personnel sont très mêlés car, comme beaucoup de parisiens qui ont la trentaine, on est tous touchés de près ou de loin.

nurse_not_for_karma  reddit.com


Source : infirmiers.com