Un colloque a fait le point sur le premier anniversaire des agences régionales de santé. Interrogés par l’APM, des responsables syndicaux ont pointé le risque de bureaucratisation et le mal-être des agents.
Plusieurs syndicats présents au sein des agences régionales de santé (ARS) ont rapporté à l'APM une dégradation du climat social et des conditions de travail, une démotivation du personnel, toutes catégories confondues, et un sentiment de mal-être généralisé au sein de ces structures qui fêteront vendredi leur premier anniversaire.
Si la situation est décrite comme "très variable" selon les régions, le sentiment de mal-être semble dominer au sein de ces structures qui ont succédé aux directions régionales et départementales des affaires sanitaires et sociales (Drass et Ddass), agences régionales de l'hospitalisation (ARH), caisses régionales d'assurance maladie (Cram), unions régionales des caisses d'assurance maladie (Urcam) et aux directions régionales du service médical (DRSM).
Elle est toutefois jugée suffisamment sérieuse pour décider le ministère à engager dans les prochaines semaines un "plan ambitieux d'amélioration des conditions de travail" dans les ARS sous l'égide de la direction des ressources humaines (DRH) ministérielle, dans un contexte marqué par un suicide et une tentative de suicide à l'ARS de Guadeloupe.
Mobilisation massive des personnels aux élections aux comités d’agence
Aux inquiétudes initiales des syndicats qui redoutaient une mise en oeuvre des agences à marche forcée et les conséquences de la révision générale des politiques publiques (RGPP), s'est ajouté le mécontentement lié aux difficultés de mise en place d'un dialogue social en l'absence des comités d'agence.
Ces difficultés se sont manifestées par un certain flottement des tutelles, qui ont modifié en décembre 2010 les dispositions réglementaires concernant les comités d'agence et les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), édictées en avril 2010 lors de la création des ARS et contestées devant le Conseil constitutionnel.
Initialement prévues avant le 1er octobre 2010, les élections aux comités d'agence, par ailleurs nécessaires à la constitution des CHSCT, se sont finalement tenues le 15 mars, soit quasiment un an après la création des ARS. Elles se sont soldées par une mobilisation massive des personnels, avec une participation de plus de 85%.
Des ARS en « grande souffrance »
Pour Yves Letourneux, secrétaire national en charge de la branche santé-social de l'Interco-CFDT, l'ARS est actuellement "un établissement en grande souffrance", résultat "de la précipitation et de l'impréparation du changement qu'allait entraîner la mise en place des ARS".
Il déplore que la période de "préfiguration" des agences, qui s'est étalée de juillet 2009 à juillet 2010, n'ait "rien préfiguré du tout", constatant que beaucoup de processus de décision ou d'organisation ne sont "pas encore calés".
Yves Letourneux, qui rappelle que la CFDT était favorable à la mise en place des ARS, fait le constat d'un "gros gâchis" et d'une "année de perdue", en décourageant "un certain nombre d'agents". "On a recréé un empilement hiérarchique", pointe-t-il, regrettant une déconnexion entre la direction des ARS et les autres équipes: "alors qu'on aurait dû rapprocher la prise de décision et l'exécution, on les a éloignées".
S'il admet que "c'est en marchant qu'on apprend à marcher", il déplore que le pilotage du projet ait eu "du plomb dans l'aile dès le départ" avec un calendrier trop contraint, et le sentiment que l'administration "découvre au fur et à mesure" la nécessité d'édicter certains textes réglementaires pour assurer le fonctionnement des ARS. Il déplore notamment la gestion de l'élargissement des missions d'inspection, contestée par le Syndicat national des inspecteurs de l'action sanitaire et sociale (Sniass-Unsa) et, comme d'autres collègues syndicaux, relève que la situation des astreintes en ARS n'est ni réglée ni harmonisée au niveau national.
Perte du sens de l’action
Pour Laurent Ortic, secrétaire général de l'Union nationale des affaires sociales CGT (Unas-CGT), les ARS ont "beaucoup de mal à prendre leurs marques", dans une ambiance où "la plupart des gens ont perdu le sens de leur travail, de leurs actions dont ils ne peuvent plus apprécier la globalité", en devenant des "gestionnaires de procédure".
Il dénonce pêle-mêle des problèmes d'organisation, une concentration du pouvoir au niveau du comité exécutif qui "décide de tout, monopolise l'information et ne la communique pas", et des méthodes de management empruntant un "discours culpabilisant et humiliant, sur le mode : 'on va vous apprendre à travailler car vous ne saviez pas le faire avant'".
Laurent Ortic considère que le fonctionnement de l'agence l'éloigne du terrain, avec une "reconcentration" au niveau du siège, un amoindrissement du "service public de proximité" et des instances "prétextes" de démocratie sanitaire alors que les décisions sont prises en amont.
Il critique une méthode de management "par objectifs", organisée autour de "groupes de travail, réunions, visioconférences chronophages", sans compter un travail important de renseignement de tableaux de bord, de questionnaires, et de remontées d'informations.
Constat partagé pour le SMISP et le SNIASS
Dans une lettre d'information adressée à ses adhérents en février sur la situation en ARS, le Sniass dressait un constat pessimiste, évoquant "ignorance et dénigrement systématique de l'action antérieure des services [fusionnés]; centralisation du pouvoir; empilements hiérarchiques; parcellisation des tâches; déresponsabilisation des équipes et des personnes; risque de démotivation généralisée; perte de sens de l'action et de confiance; prépondérance de la communication; dégradation du climat social, surenchère des 'experts'; concurrence entre agents tout en parlant 'communauté de travail' et souffrance au travail".
"Aucune catégorie de personnel, aucun agent titulaire, stagiaire, contractuel, n'y échappe, selon des degrés divers", assurait le Sniass. Ce constat est toujours d'actualité, a indiqué Antoine Gini, secrétaire général du Sniass. "Les organisations et le fonctionnement sont à revoir, il faut les remettre à plat".
Il déplore que des personnes auparavant associées à la prise de décision en soient désormais écartées, accentuant la dilution de "la perception de leur action". "Il faut s'interroger sur les circuits décisionnels, par exemple les relations entre les délégations territoriales et le siège.
Il faut redonner du sens à l'action et [enrayer] la parcellisation des tâches, vécue comme un recul de la reconnaissance et de la confiance à l'égard des agents", souligne-t-il.
Une réponse seulement après un suicide
En novembre 2010, le président du Syndicat des médecins inspecteurs de santé publique (Smisp), le Dr Christian Lahoute, a écrit aux directeurs généraux d'ARS pour signaler "la survenue de symptômes révélateurs de souffrance au travail" chez les agents affectés aux agences, apparus au moment de la gestion de la grippe A(H1N1) avec une aggravation depuis la phase de préfiguration.
"Nous n'avons pas eu de réponse directe", a indiqué Christian Lahoute, soulignant qu'il aura fallu attendre une nouvelle lettre début février au ministre de la santé alertant sur le suicide d'un médecin inspecteur et une tentative de suicide dans l'ARS de Guadeloupe, pour obtenir l'annonce d'un plan d'actions sur les conditions de travail.
"La situation est très variable selon les régions", observe-t-il, pointant toutefois comme ses autres collègues syndicaux l'absence des comités d'agence palliée par des institutions transitoires qui ont "plus ou moins bien fonctionné", et regrettant qu'il n'y ait pas de service de médecine au travail dans chaque ARS.
"Les conditions de travail, les organigrammes, se sont mis en place à marche forcée, au bulldozer", a-t-il regretté, pointant une réorganisation "hyperhiérarchisée, avec des gens à responsabilité disséminés dans les différents services". Il pointe "une tension, une souffrance au travail véritable qui touche tous les agents", soulignant une grande "difficulté à donner un sens [à son] travail" et un "sentiment de déresponsabilisation".
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