Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

HUMOUR

Amour, gloire et bétadine – Voyage, voyage...

Publié le 11/09/2015
hébécrevon cimetière

hébécrevon cimetière

Retour des inénarrables histoires de notre infirmier « san antoniesque » préféré ! En cette rentrée, Didier Morisot reprend du service et nous livre une savoureuse histoire, toujours vécue, bien que racontée à la façon d'un polar comique... du genre « Quand ça veut pas, ça veut pas ! » A partager sans modération !

Quand l'infirmier Morisot nous raconte ses nuits délirantes...

Mes amis, c’est un fait avéré qui doit nous inciter à l’humilité : même si l’homo sapiens est au sommet de l’évolution, son problème existentiel majeur, incontournable, rejoint en effet celui des bas nylons et des imprimantes laser : il souffre d’obsolescence programmée. Tout simplement. Et le constat est très simple : un jour, après moult réparations, le moteur part en sucette pour de bon et il n’y a plus qu’à ranger la caisse à outils. Et toc.

Cette nuit, nous en avons l’illustration chambre 8, où une dame - en bout de terminus de phase terminale - joue tranquillement au Titanic, permettant ainsi à la caisse sus-évoquée de couler des jours heureux au fond d’un placard. Cela dit, certains départs sont plus faciles que d’autres et celui-ci en fait manifestement partie ; l’intéressée est paisible et la famille accepte l’échéance avec fatalité. Après tout, il faut bien décoller un jour. Alors à 89 ans… Bref, des conditions idéales, d’autant plus que sa chambre est une rampe de lancement confortable, silencieuse, juste à côté de la salle de soins d’où nous pouvons intervenir en deux temps, trois mouvements et quatre grognements. En attendant, il est 21 h et c’est le passage de relais : après quelques infos générales (ressenti autour de la météo, date de la prochaine réunion Tupperware, gémissements relatifs aux changements de planning…), nous entamons les consignes. J’apprends donc l’imminence de la mutation prévue chambre 8. Entre nous, je suis content pour elle car ce voyage est vécu dans une quiétude exempte de douleurs physiques. Par ailleurs, le toubib du service n’est pas un excité du laryngo et la patiente termine son parcours sans tuyaux intempestifs. Elle est pas belle, la vie ?

Cela dit, certains départs sont plus faciles que d’autres et celui-ci en fait manifestement partie ; l’intéressée est paisible et la famille accepte l’échéance avec fatalité.

21 h 30, les collègues de jour s’en vont, les derniers sanglots post-planning s’estompent et je prépare mon petit chariot afin de proposer mes friandises médicales aux passagers de la nuit. Ensuite, avec Aline, aide-soignante notoire, nous attaquons le premier tour. Chambre 8, nous trouvons donc la dame en question, ainsi que son gendre et sa fille. Celle-ci, inquiète mais résignée, me demande où en est le compte à rebours. J’adore ce genre de questions et j’essaie d’y répondre en faisant un mix de dossier infirmier, de résumé de consignes et de prévisions au feeling (exercice à mille lieues de la science exacte). Le délai évoqué aux consignes donnait une fourchette comprise entre 12 et 24 h, mais les pronostics sont faits pour s’asseoir dessus… j’élargis donc la fourchette avant de lire ma boule de cristal.

Vous savez, tout est possible… peut-être en fin de nuit… ou demain. Ecoutez, je vous propose une chose, vous êtes épuisés… allez plutôt dormir. Je vous téléphonerai si son état s’aggravait brutalement…. Ayant ma bénédiction, ils laissent leur culpabilité sur la chaise et décident d’aller se reposer quelques heures… Aline et moi sortons alors à notre tour et nous nous retrouvons à arpenter la base de Kourou. Nous avons en effet d’autres mises à feu potentielles à surveiller. De son côté, Saint-Pierre lit son journal et consulte les avis de décès, au cas où… Ensuite, telle la comète de Halley, nous poursuivons notre voyage interstellaire en revenant au même endroit à intervalle régulier. Vers minuit, nous revoilà chambre 8 ; en rentrant, un je ne sais quoi nous met mal à l’aise. La vieille dame est vraiment trop calme. Certes, elle est en fin de vie, mais pour l’occasion elle nous paraît aussi tonique qu’un sénateur en phase post-digestive. Une inspection rapide confirme nos craintes. En fait, je me suis vautré comme une bouse avec mon horoscope de naze… La dame - du signe du poisson - a en effet bu la tasse plus vite que prévu. Je m’en veux d’avoir renvoyé sa fille. Je me donnerais des claques ! Mais impossible de rembobiner, à présent, nous sommes tenus de suivre la procédure habituelle.

Le délai évoqué aux consignes donnait une fourchette comprise entre 12 et 24 h, mais les pronostics sont faits pour s’asseoir dessus… j’élargis donc la fourchette avant de lire ma boule de cristal.

Tandis que Saint-Pierre déroule le tapis rouge, Aline continue la boucle de la comète. De mon côté, j’enlève la perfusion (devenue aussi utile qu’un rétroviseur sur le derrière d’une chèvre) et je fais un tir groupé en appelant l’agent de funérarium et le technicien de maintenance.

« Allo, l’interne de garde ? C’est la médecine, pour constater un décès… » Enthousiasmé par cette tâche exaltante, le responsable qualité arrive bientôt en traînant les pieds.

- « -‘soir…

- Salut Fabrice, cache ta joie ; la dame est au n° 8…

- Super… » 

L’apprenti docteur branche le pilote automatique et pénètre dans la chambre. Il en ressort quelques instants après, les yeux toujours en capote de fiacre, et nous signe le certificat de réforme.

- « -…c’est bon ; maintenant je retourne à la sieste… en tout cas, merci pour l’invitation, c’était génial. J’ai adoré…

- …de rien, garçon. »

Pendant que Saint-Pierre ouvre son registre en sifflotant, Aline et moi devons passer à l’étape suivante : habiller le corps avec les vêtements mortuaires. Mais avant de sortir la collection automne/hiver, je repense à sa famille que l’on a court-circuité tout à l’heure. J’arrête la collègue qui s’apprête à jouer à la costumière.

« Attends… je vais prévenir sa fille… peut-être qu’elle voudra l’habiller avec nous… » 

Je file à l’office afin de téléphoner, mais au moment de composer le numéro, un cri terrible retentit au cœur de la nuit. 

« … DIDIER !!!... »

Je retourne en catastrophe chambre 8 : Aline est livide, aussi pâle qu’une paire de fesses d’albinos en vacances au Groenland.   

« Didier… elle a bougé… elle a bougé, je te dis !...

… arrête tes conneries… » -

En fait, ce ne sont pas des conneries. Même qu’elle est en train de se gratter le nez (la dame, pas la collègue)… nom de Dieu, elle fait de l’auto-allumage !

Pendant que Saint-Pierre ouvre son registre en sifflotant, Aline et moi devons passer à l’étape suivante : habiller le corps avec les vêtements mortuaires.

Aline me regarde, éberluée. Après quelques secondes de flottement, les réflexes professionnels succèdent toutefois à la séquence émotion. Je vérifie le pouls et la tension : 52, 8/5. C’est indéniable, ces chiffres cumulés forment une addition incompatible avec les pompes funèbres : elle n’est pas morte !

« Madame… vous m’entendez ?... »

Bon, elle est vivante, d’accord, mais faut pas trop en demander, sa réponse tient plus du minimum syndical que de l’enthousiasme délirant.

« … mouais… »

Plutôt que de lui donner une séance d’orthophonie, je cours à l’office afin de rappeler l’interne.

« Allo… Fabrice ? Tu peux revenir en chambre 8… finalement, la dame a révisé sa position ; elle est toujours vivante… »

Après une réflexion approfondie (une demi-seconde), il me répond en utilisant une formulation certes lapidaire, mais ayant le mérite de la clarté.  

« Tu te fous de ma gueule ?... »

Cela dit, l’heure n’est pas au débat d’idées et j’abrège le dialogue avant de retourner perfuser notre amie car ses batteries ont, pour le moins, besoin d’être rechargées… Vu son état, ses veines jouent d’ailleurs à cache-cache et je dois percer trois fois son épiderme avant de réussir. Pour tout dire, je m’en veux un peu de m’amuser aux fléchettes avec elle, mais son côté increvable diminue mes scrupules. Pendant ce temps-là, Saint-Pierre regarde sa montre et Fabrice débarque, parfaitement réveillé.

« Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?... »

Il ne tarde pas à s’en rendre compte par lui-même.

« Eh bien ça, c’est la meilleure… »

Tu l’as dit, bouffi ! Le fossoyeur en est quitte pour reboucher son trou. Par contre, la dame a vraiment décidé de reprendre le cours de son existence et elle se remet à creuser le déficit du système de retraite. En fait, elle retournera deux semaines plus tard dans la maison de retraite d’où elle venait…

Je m’en veux un peu de m’amuser aux fléchettes avec elle, mais son côté increvable diminue mes scrupules.

En attendant, une chose me console : nous avons évité le pire avec le cri de Chantal qui m’a empêché de prévenir sa fille. J’imagine le coup de fil pour démentir l’info bidon…

« Allo, madame… oui, c’est encore moi… vous allez rigoler mais votre maman a changé d’avis… non, je vous assure, ce n’est pas une blague. »

Lorsque j’y pense, des gouttes de sueur froide dévalent entre mes omoplates avant de finir dans les profondeurs de ma colonne vertébrale. Bbrrr…

Après cet épisode réfrigérant, la vie continue et nous reprenons notre périple. Mais quelques temps après, surprise ! Le brancardier (ayant respecté le délai de deux heures après tout décès) se pointe avec sa charrette à bras pour récupérer la défunte. Et crotte ! Autant pour moi, j’ai oublié de le décommander… Quand je lui explique le coup de théâtre, il me demande si j’ai eu du mal à bouffer le clown dont il aperçoit encore les chaussures dépasser. Des machins énormes, taille 53. Surdimensionnés. 

« Eh bien oui, on s’est plantés, ça arrive à tout le monde… On pensait qu’elle avait avalé son bulletin de naissance, mais en fait elle a régurgité le machin, elle a dû se croire le premier avril… »

Le pauvre gars repart, en secouant la tête. Déjà que le service était mal perçu dans l’hôpital, on n’a pas fini de passer pour des charlots… Après ces rebondissements dignes du kangourou en goguette sur un trampoline, la nuit touche heureusement à sa fin. A 7 h 15 - après une relève rapide et moqueuse - je file me changer avant de ressortir du vestiaire en courant. Sur le parking, je regarde quand même si je ne croise pas le curé et le notaire ; on ne sait jamais, avec tous ces malentendus.

Enfin, j’arrive chez moi ; il est 8 h. Saint-Pierre referme sa boutique, vexé. Et moi, je vais me coucher. Je suis crevé. Pour de vrai, cette fois.

Didier MORISOT  Infirmier et auteur didier.morisot@laposte.net


Source : infirmiers.com