Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

HUMOUR

Amour, gloire et bétadine - Mise à l’index !

Publié le 27/05/2016
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Encore une fois, notre infirmier Morisot et sa verve légendaire, se laisse aller à nous narrer (marrer…) une situation de soin comme lui seul sait le faire… Il faut parfois se méfier des malentendus, surtout lorsqu'ils arrivent a posteriori…

« Hey, nous dit Didier Morisot… ce n'est pas ce que vous croyez ! »

15 avril, 14 h 30. Comme annoncé par téléphone, la voiture se gare devant l’entrée de la boutique. Une dame d’un certain âge bondit ensuite dans la cour, tandis qu’une jeune fille se traîne hors du véhicule avec la vigueur d’une limace anorexique. Et le profil d’une Tour de Pise au bord du collapsus…  « C’est une élève de cinquième… ses parents sont injoignables et depuis ce matin elle a de plus en plus mal au ventre… je vous la confie, je dois retourner au collège. » Malgré l’affluence, nous l’installons de suite dans le box de pédiatrie. Vu les symptômes, nous préférons ne pas la laisser moisir trop longtemps. Elle évite ainsi la salle d’attente (où plusieurs personnes entament un lent processus de momification) et se retrouve allongée sur une table d’examen.

La jeune fille, que je reconnais soudainement, a de beaux cheveux roux. Elle a également les accessoires fournis avec : de jolies taches de rousseur et un caractère de cochon ! Afin de l’apprivoiser, en la rassurant, je lui parle de nos connaissances communes (en fait, elle est dans la même classe que ma fille !) et je lui explique la suite du scénario… Mes commentaires sur son avenir proche ne la détendent qu’à demi. Marc, le médecin assistant, s’occupe de l’autre moitié et commence à l’examiner. La situation étant sous contrôle, j’en profite pour aller voir ce qui se passe en salle d’attente et j’exfiltre une momie souffrant d’une entorse à la cheville. J’installe le pharaon dans la pièce réservée à la traumato. En sortant, je percute Marc qui me tire par la manche. « Ah, tu tombes bien, je dois faire un toucher rectal à la gamine. Je préfère que tu restes avec moi… »

La situation étant sous contrôle, j’en profite pour aller voir ce qui se passe en salle d’attente et j’exfiltre une momie souffrant d’une entorse à la cheville.

On le comprend. Cet examen ne présente aucune ambiguïté sur le plan médical mais il touche un domaine si particulier de la personne qu’il vaut mieux prendre ses précautions. Je mets donc mon costume de témoin de moralité et nous retournons en salle de pédiatrie. J’aurais mieux vu une de mes collègues femme jouer ce rôle à ma place, mais aujourd’hui le sexe faible (qualifié ainsi par certains inconscients…) est absent du planning.. Le soin au féminin, cette icône maternelle immaculée et au dessus de tout soupçon, nous fait quelque part défaut. Il nous reste donc notre sympathie brute de décoffrage et nos gros sabots masculins...  

Bref, notre jeune patiente se retrouve perdue en rase campagne, détendue mais sans plus. J’allège cependant l’ambiance en puisant dans mes réflexes paternels, également au-dessus de tout soupçon. Mes trois gamins m’ont en effet appris, au fil du temps, à développer un minimum de bienveillance dans ma relation à l’autre et, accessoirement, à gérer l’influence parfois néfaste de la testostérone, cette hormone pernicieuse qui pousse les petits mecs à se battre dans la cour de récréation et le Pentagone à bombarder de façon récurrente le Moyen-orient !

Pour l’heure, je m’installe donc devant notre invitée pour lui faire la causette, histoire de faire diversion pendant que Marc approfondit le sujet. Cela n’évite toutefois pas à la jeune fille de rouler des yeux de merlan frit. L’heure n’est pas au débat politique, ni aux devinettes. Je trouve plus à propos de commenter la situation en insistant sur le caractère indispensable de cet examen. Je souligne également le côté désagréable de la chose (nous sommes bien d’accord) et je valorise le stoïcisme dont elle fait preuve. Finalement, nous avons l’heureuse impression de lui avoir évité un stress post-traumatique parfaitement superflu… Tout est OK.

Il nous reste donc notre sympathie brute de décoffrage et nos gros sabots masculins...

La suite des évènements se déroule dans une sérénité radieuse (à part la prise de sang vécue de façon assez morose) et notre jeune amie se retrouve bientôt couchée en chirurgie avant d’être opérée de l’appendicite. Bientôt, la journée se termine. Toutankhamon repart dans sa pyramide avec une atelle plâtrée et, pour ma part, je réintègre mon deux pièces cuisine. Fin de l’épisode.  

23 septembre, 19 h 45. Motivé par un appétit féroce, je franchis allègrement l’entrée de la pizzeria. Simone, qui partage le même objectif, m’accompagne dans la joie et la bonne humeur. Quelques minutes plus tard, nous attaquons les spaghettis bolognaises. Tout baigne.  Je remarque à peine les personnes qui s’installent à côté de nous. Du moins, dans un premier temps. Un je ne sais quoi me fait lever la tête. Je reconnais alors une copine de ma fille, d’autant plus facilement qu’elle a de magnifiques cheveux roux. Puis, le calme se fait, chacun retient son souffle. Le garde-champêtre arrive et bat le tambour… « Avis à la population… »
La jeune fille prend la parole et d’une voix très posée et parfaitement audible, elle claironne alors à la cantonade : « Oh, mamie, je le reconnais… c’est lui qui m’a mis un doigt dans le derrière ! » -

Mon épouse fait tomber sa fourchette. Je manque de m’étrangler et mon intérêt pour la gastronomie italienne chute brutalement. Je me fais un peu l’effet du Grand méchant loup confondu par le Petit chaperon rouge… Vingt sourcils froncés se tournent vers moi. Nif-Nif, Naf-Naf et Nouf-Nouf remontent leurs manches… en fait, je ne suis pas au restaurant, je suis dans la merde. Deux secondes plus tard, un flash spécial en direct de mon cortex cérébral relie cette affirmation gênante à mon vécu professionnel. Je revois la scène à l’origine de ce (p…..) de malentendu… je m’empresse de rétablir la réalité historique. Premièrement : c’est pas moi.
Deuxièmement : c’est pas ce que vous croyez.  

Oh, mamie, je le reconnais… c’est lui qui m’a mis un doigt dans le derrière !

Mère-grand m’écoute en se grattant la tête. Parfaitement à l’aise (tu parles…), j’en remets une couche en souriant et j’interpelle la jeune fille à la mémoire défaillante. « Voyons, ma grande, j’étais en face de toi pendant l’examen… ». Et ta sœur, elle tricote un pull au facteur ? La mamie hésite un instant avant de m’étrangler. L’espace d’une seconde, je passe en revue les options qui s’offrent à moi… appeler mon avocat (ou plutôt en trouver un) ? Tomber par terre en simulant une crise cardiaque ? M’exiler en Amérique du Sud et changer de visage grâce à la chirurgie esthétique ?

Heureusement, un éclair de lucidité illumine soudain mon accusatrice qui confirme, enfin, ma version des faits. «  Ah oui, peut-être… c’était pas vous, c’est le docteur qui m’a examinée. » L’atmosphère, lourdement chargée, s’allège un peu. Mère-grand se fend d’une grimace qui ressemble à un sourire et mon épouse arrête la procédure de divorce… Le dîner reprend son cours, mes voisines entament leur galette et leur petit pot de beurre tandis que nous finissons nos spaghettis. Naf-Naf continue cependant à nous regarder de travers, apparemment, il a très bien entendu l’annonce du garde-champêtre, mais un peu moins le dialogue avec Mère-grand. J’arrive quand même à avaler ma pizza sans que les carabiniers me tombent dessus. Cela dit, le charme de la soirée a du plomb dans l’aile. Je décline l’offre de boire un café et je me sauve avec ma femme sous le bras.

En sortant, Nouf-Nouf (qui doit avoir une très bonne audition) m’adresse un sourire XXL. Dehors, il fait doux. Ça ne m’empêche pas de relever mon col de veste. Je mets également mes lunettes de soleil, malgré une luminosité très relative. Monde de brutes…

Didier MORISOT   Infirmier, auteur didier.morisot@laposte.fr


Source : infirmiers.com