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HUMOUR

Amour, gloire et bétadine – Les élans du Père Noël

Publié le 30/12/2015

Vous adorez ses abécédaires « caustiques » et ses chroniques « déglinguées… L'infirmier Didier Morisot s'invite sur nos pages et, sans nul doute, nous sommes nombreux à partager le menu... Bon appétit avec aujourd'hui une chronique fort à propos et toujours aussi décapante intitulée « Les élans du Père Noël ». Attention, ça glisse !

En France, c’est bien connu, on n’a pas de pétrole mais on a des idées. Ouf… ceci dit, on n’a plus beaucoup de toubibs, non plus. En tout cas dans certains vides médicaux où le praticien français se fait aussi rare que le rhinocéros de Java ou le furet à pattes noires, espèces en petite forme démographique…

Bref, pour paraphraser France Gall, le désert avance... Et pour compenser la fuite des spécialistes vers le privé et celle des généralistes vers la dépression, nous faisons venir du monde de très loin, de pays qui manquent de docteurs encore plus que nous, pour tout dire… mais bon, c’est une autre histoire.

« La francophonie pose donc problème à quelques-uns, tel ce médecin argentin croisé récemment dans un hôpital lyonnais. »

1/4 de rigidité et un car de CRS…

Nouvelle chronique « déglinguée », cette fois à l'occasion de Noël.

En attendant, nous exportons des Airbus, du camembert, du Beaujolais… et en retour nous importons du pétrole, des ours slovènes, des travestis brésiliens, des plombiers polonais, des médecins d’un peu partout… La plupart du temps, ces professionnels donnent entière satisfaction à leurs employeurs… mais il y a hélas des exceptions, comme ces ours pratiquant le harcèlement moral envers certaines brebis pyrénéennes (l’ours slovène est très moqueur) ou ces blouses blanches qui se prennent les pieds dans les subtilités de la langue de Molière ; imparfait du subjonctif, ton univers impitoyâ-â-bleu…

La francophonie pose donc problème à quelques-uns, tel ce médecin argentin croisé récemment dans un hôpital lyonnais. Je le revois, tout frais débarqué d’Amérique latine, le CAP de psychiatre en bandoulière. Certes, il causait bien la France, mais son acclimatation en région Rhône-Alpes provoquait quelques couacs interculturels. Sans parler de son caractère de chien ; un héritage génétique du côté de sa mère, apparemment et des chromosomes de pitbull en petite quantité. Mais là n’est pas le problème. Le fait est que, dès sa descente d’avion, notre ami a effectué un bref séjour dans le service voisin où nous avons eu vent de ses exploits. Avant de les vivre au quotidien… Car les collègues nous ont en effet décrit la finesse de son approche relationnelle qui aurait fait rougir de plaisir un ministre de l’intérieur : 1/4 d’autorité, 1/4 de méfiance, 1/4 de rigidité et un car de CRS… d’ailleurs, une de leurs patientes en a bénéficié de manière radicale. Cette dame avait des problèmes avec sa sexualité, qu’elle ne maîtrisait plus du tout. Elle la partageait en effet volontiers avec ses camarades de sexe opposé (plutôt satisfaits de la démarche…).

Les infirmiers avaient beau la tenir à l’œil, elle trouvait souvent le moyen d’échapper à leur vigilance. Ce qui était extrêmement relaxant pour plusieurs pensionnaires échauffés par la testostérone. Les doses d’anxiolytiques avaient même tendance à diminuer chez certains et cette capacité à éteindre les pulsions lui avait valu le (douteux) surnom « d’extincteur ». Ce n’est pas très fin, je sais, mais la dérision est aussi l’arme du soignant démuni… Cela dit, une telle campagne anti-incendie n’était pas politiquement correcte et le docteur Big-Brother y remédia à sa façon. Il piocha dans l’armoire à pharmacie et mit fin rapidement à cet intermède peace and love. La musique militaire, oui. Woodstock, non !

« Les bonhommes de neige de la déco sont plus proches du goulag sibérien que de l’atelier du Père Noël... »

Le fond de l’air effraie...

Certains se réclament de Freud, Jung, Lacan… lui, c’est plutôt Staline ou Pinochet. Et depuis sa prise de fonction, le peuple marchait dans les clous… Un bonheur ne venant jamais seul, sa nomination dans notre service tombait à la mi-décembre, dans cette période particulière où les guirlandes décoratives et l’arrivée promise de la dinde aux marrons réjouit tout un chacun. Elle coïncidait également avec ma semaine de congés payés en Bretagne, ce pays fier et sauvage où le vol de la mouette au-dessus des vagues et la course du bigorneau à travers le ressac ne connaissent pas de limites… Mais après huit jours passés dans le monde libre, j’étais de retour chez Big-Brother ; wahoo… la plaine de Russie sous le blizzard. Malgré les rennes hilares et les sept nains qui batifolent dans la poudreuse, je ne suis pas dupe : les bonhommes de neige de la déco sont plus proches du goulag sibérien que de l’atelier du Père Noël. Bbrrr… je me protège en relevant le col de ma blouse. Le fond de l’air effraie, les gars… Consolation : j’attaque le boulot, d’accord, mais encadré par Prof, Atchoum et Joyeux qui font la même chose en chantant. Eh oh, eh oh… ça fait toujours plaisir de voir des gens contents d’aller bosser…

Cela dit, à part les copains de Blanche-Neige, le couloir est aussi désert qu’un bureau de la CAF à 17 h 01. Silencieux également, alors que dans mes souvenirs (récents) le bruit était partout… mais soudain j’entends un signe de vie. Trop content, une musique sort de la chambre 5. Un poste radio : Gérard Lenormand chante un truc à la guimauve où il est question de sapin décoré et de petits anges qui volettent dans le ciel. Comme c’est mignon, Gérard a d’ailleurs l’air très content de l’ambiance contrairement à Mr Dugenou que j’aperçois prostré sur une chaise, sous le regard pétillant de Simplet qui, lui, est ravi d’avoir fini le boulot. Cela fait toujours plaisir de voir des gens réalistes…

« En mon absence, la normalisation a gagné du terrain. »

Du stalag à Kafka...

Peu habitué à le voir dans cet état, j’essaye d’entamer le dialogue. En vain ; il a le tonus d’une huitre hémiplégique. C’est en effet la face cachée, et cruelle, de nos réveillons, certains fruits de mer sont consommés malgré leurs problèmes de santé. snniiiff… Bref, je rejoins la salle de soins. Perplexe. Heureusement, mes collègues ont l’air plus vivant que Mr Dugenou. Moroses, mais vivants… ils me détaillent les péripéties de la semaine. En mon absence, la normalisation a gagné du terrain. Et là, nous touchons du doigt une leçon que nous enseigne déjà l’Histoire : la démocratie est effectivement un bien précieux et fragile.

Nous passons en revue nos pensionnaires : Mr Hermann (SDF autrichien en attente de rapatriement, six mois que ça dure, une fortune pour la Sécu mais le bonhomme est ravi de l’accueil…), Mr Duschmoll qui vit dans son vaisseau spatial et prend chaque soignant pour un alien, Mme Tartempion, très malicieuse, qui annonce en boucle son intention de démonter la Tour Eiffel pour nous faire une farce. Arrive Mr Dugenou dont le manque de tonus m’interpelle.

- …on dirait un éléphant qui a croisé un fusil hypodermique… il s’est passé quelque chose, ou quoi ?

Mes camarades de la pénitentiaire fixent le plafond. Les fissures du plafond...

- …eh bien en fait, on a pas eu le temps de réagir… Big Brother l’a mis sous neuroleptique injectable, sans prévenir…

- Quoi !? Pour une dépression ???

Précisons qu’un neuroleptique est une denrée très spéciale et que, question détente, c’est relativement efficace. Pour tout dire, ça ressemble à une infusion de tilleul en plus concentré.

- …qu’est-ce qui s’est passé ?

- Regarde le dossier… c’était mardi dernier. L’infirmier du matin venait d’un autre service, suite à un bug dans le planning. Il ne connaissait pas le patient…

Je feuillette les archives du stalag, j’ai l’impression de lire du Kafka… l’interrogatoire à l’origine de la prescription de tisane est retranscrit en détail. Je lis que Mr Dugenou a tenu des propos « délirants » pendant l’entretien. Big Brother, sans doute saturé d’alien et de Tour Eiffel, a noté des morceaux choisis : « je marche à côté de mes pompes… je ne suis pas dans mon assiette… » Effectivement, pris au pied au pied de la lettre, ça ne veut pas dire grand-chose. Cela signe également un schéma corporel bizarre. Mais, replacé dans le contexte subtil de la langue française, c’est on ne peut plus anodin. N’est-ce pas, Firmin ? Comme quoi, la maîtrise du langage peut réellement poser problème dans certains environnements ; qu’un ours ne soit pas bilingue, d’accord, les moutons s’en foutent. Par contre, un psychiatre ! ppfff…

« Le Père Noël en sait quelque chose, un jour qu’une partie de son troupeau avait les oreillons, il a essayé de faire tirer son traîneau par des élans : un cauchemar... »

Au pied de la lettre...

Mais assez rigolé, les consignes terminées, je dois passer à autre chose… J’ajuste mon képi et j’entame le tour de 14 h. Emporté par mon élan… On l’oublie parfois mais l’élan, ce cervidé boréal, est très impulsif, alors que son cousin le renne est bien plus docile. Le Père Noël en sait quelque chose, un jour qu’une partie de son troupeau avait les oreillons, il a essayé de faire tirer son traîneau par des élans : un cauchemar, des colis abîmés en pagaille. Vive le vent, vive le vent, vive le vent d’hiver… Bref, emporté par mon foutu élan, je manque de percuter Alexandre, le collègue brancardier.

- Salut, vieux… excuse-moi, j’ai failli t’écraser... Qu’est-ce que tu deviens ?

Le collègue me répond avec sa voix de ténor, au moment où Big Brother pointe son nez. C’est une expression : ça veut dire qu’il arrive. Bref, le docteur écoute et Alexandre me cause.

- M’en parle pas, j’ai fait la chouille toute la nuit ; j’ai la tête grave dans le c...1.

A l’écoute de ce résumé lapidaire, le docteur fronce les sourcils et ça commence à sentir le tilleul… Je te l’ai toujours dit, Alex, tu parles trop, tu t’fais du mal.

Un conseil, camarade, lorsque tu croises un psychiatre argentin, tourne ta langue dans la bouche avant de lui parler. Et ne lui dis jamais que tu as le cafard ; tu ne supporterais pas les insecticides !

… Sapin blanc et boules de neige, bonne année grand-mère… !

Note

  1. Expression populaire que l’on peut traduire ainsi : Je ressens une certaine fatigue et des céphalées résiduelles perturbent mes fonctions cognitives.

Didier MORISOT Infirmier didier.morisot@laposte.net


Source : infirmiers.com