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HUMOUR

Amour, gloire et bétadine : La Belle au bois dormant !

Publié le 09/08/2016
chien endormi réveil

chien endormi réveil

Les chroniques « déglinguées » de Didier Morisot, vous les connaissez et les appréciez. Celle-ci, particulièrement gratinée, à des airs de San Antonio aux urgences...  Bonne lecture et surtout prenez soin de la belle aux bois dormant !

Prenez soin du réveil de la Belle au bois dormant...

6 h 30 : les petits noiseaux qui se gèlent la couenne sur les branches raidies par le froid chantent pour saluer le soleil levant. A côté des grands arbres couverts par le givre - dans les souterrains mal éclairés du bâtiment - une foule anonyme et laborieuse s’active à l’aube d’une nouvelle journée : aides-soignantes et infirmières - ces héroïnes en blouse blanche - s’habillent, remplies d’émotion, en pensant à l’aventure humaine qui les attend : le grand navire hospitalier entame sa croisière quotidienne au service de l’Humanité souffrante ! 

Sans obstacles apparents, la seule trace d’iceberg - quelques glaçons dans une vessie de glace - se situant sur le front de Maxime, notre camarade ambulancier. Maxime - héros des temps modernes - a en effet arrosé hier soir son avancement d’échelon avec une énergie frisant le déraisonnable, réveillant le pic-vert qui sommeille dans chacune de nos boites crâniennes. En fait, sa promotion est déjà vieille de six mois, mais elle lui a tellement fait plaisir sur le moment que le bougre commémore le machin en continu afin de partager sa joie avec un maximum de monde. Maxime : plus généreux que lui, tu meurs. 

Aux urgences, c’est donc le creux de la vague : le service est aussi calme que le Titanic au matin du 14 avril 1912 (mais pas le soir, parce que là je te raconte pas le boxon ! ). Notre ami soigne en silence ses troubles céphalo-cognitifs induits par un excès de bière belge, tandis que Françoise - héroïne du quotidien 5ème échelon, classe 2, indice majoré 514 - dépèce gentiment une orange espagnole garantie sans traitement après récolte. Mais avant, je te raconte pas la dose. 

Bref, à 7 h 08 cette ambiance sereine et détendue vole en éclats avec l’arrivée d’un couple de quinquagénaires. Je vais les accueillir à l’entrée de la boutique, en leur faisant mon sourire de circonstance, le n° 6, celui qui illustre la nostalgie de ma récente position horizontale... Grâce aux tartines de Paracétamol de mon petit-déjeuner, mon pic-vert à moi est sous contrôle et j’arrive à sortir à peu près la tête du sac. 

Les examens sont on ne peut plus normaux. La truffe est humide, il ne perd pas ses poils...

La situation est la suivante : nous avons un monsieur, gracieux comme un pitbull, accompagné de sa sœur, plutôt inquiète. Le monsieur ne s’exprimant que par onomatopées (les orthophonistes ont beaucoup de mal à faire parler les pitbulls), la frangine nous traduit en live. Apparemment, son frère (qui voit le vétérinaire tous les 29 février) se sent mal fichu depuis quelques jours. Il est courbaturé et ressent des aigreurs à l’œsophage, par moments…

Nous sommes le 20 décembre, mais elle l’a convaincu de ne pas attendre la prochaine année bissextile. Je le fais donc rentrer en salle 2. Je laisse Françoise appeler Marco, l’interne, et je remplis le dossier. Accessoirement, j’essaye de comprendre les grognements censés être des réponses à mes questions. N’arrivant pas à lire son numéro de tatouage derrière l’oreille, je lui demande sa carte vitale tout en l’invitant à se déshabiller. Pendant qu’il retire sa muselière, je le questionne sur un traitement éventuel. Ma demande ne remporte qu’un succès d’estime.

 - « Ouais… je prends des trucs… pour la tension… j’ai oublié l’ordonnance… » Son dossier médical, récupéré aux archives, nous éclaire autant que les infos de la SNCF un jour de grève nationale. En effet, il n’est pas venu à l’hôpital depuis une quinzaine d’années. Marco, arrivé entre-temps, se gratte l’occiput. Le grattage crânio-postérieur, une valeur sûre, je le pratique aussi lorsque je suis confronté à un événement déstabilisant, comme l’arrivée de la belle-mère à l’improviste ou le remplacement du polar du vendredi par une rétrospective Joe Dassin. bbrrr… Si un machin dans le genre vous arrive, les p’tits loups, il faut vite lire Cyrulnik et ses bouquins sur la résilience. 

En attendant, avec un carnet d’entretien inutilisable et des symptômes foireux, Marco patauge dans la semoule autant qu’un mille-pattes perdu dans une couscoussière. Les examens (tension, température, électrocardiogramme, parallélisme…) sont on ne peut plus normaux. La truffe est humide, il ne perd pas ses poils... pour résumer, son état général est d’une banalité affligeante. 

Vaguement inquiet, notre interne (modèle de prudence et de sérieux) préfère téléphoner au médecin de garde pour demander conseil. Celui-ci, en train de se faire une tartine d’aspirine après avoir été dérangé cinq fois dans la nuit, est assez perplexe. Il esquisse son sourire n° 7 (le même que le n° 6 mais en pire...) et conseille un bilan minimum : radio pulmonaire et prise de sang (comprenant des marqueurs cardiaques). A suivre…

C’est peut-être une intolérance alimentaire alors si on lui proposait de changer de marque de croquettes ?

Une fois les tubes envoyés au labo, Maxime retire ses morceaux d’iceberg et emmène notre client chez le photographe. Conscients de la fragilité de toute chose - surtout celles qui sont agréables - nous improvisons alors une pause syndicale afin de savourer pleinement ce court répit, ce qui permet à Françoise de boire un café du Pérou issu du commerce équitable ; équitable, ça veut dire que les petits producteurs ne sont pas saignés à blanc et qu’on leur laisse quelques globules rouges. 

Bref, quand notre ami revient de la radio, le problème reste entier. Les résultats d’examens sont conformes aux normes de Bruxelles et il est toujours mal gratté. 

Malgré ma fonction subalterne, je tente un diagnostic. « C’est peut-être une intolérance alimentaire alors si on lui proposait de changer de marque de croquettes ? » En fait, Marco est imperméable à l’humour tant qu’il n’a pas déjeuné. Influencé par le contexte canin, il m’observe toutefois en chien de faïence - rempli de compassion - et prend son ordonnancier. Devant le tableau clinique, il choisit un traitement antiacide et prescrit un remède contre les remontées de gasoil. Pendant qu’il va expliquer le scénario à la famille, nous laissons notre ami se rhabiller et je retourne vers les collègues. Je ne le sais pas encore, mais en rentrant à l’office je quitte l’œil du cyclone.

Prévert parlait du bruit terrible de l’œuf cassé sur le zinc pour celui qui a faim. Je ne vous parle pas du bruit affreux du crâne tapant sur le lino pour l’infirmier en poste… cet impact sonore est immédiatement suivi par le cri de la mort qui tue, poussé par notre interne. « …Aaaaaahh… venez vite ! » Le règlement prévoit une suspension de la pause syndicale dans certains cas précis. Celui-ci en fait partie et une transhumance express s’organise alors vers l’origine du séisme. Nous passons en trombe devant la grande sœur, tout juste informée que le problème était résolu. Hélas, rien n’est jamais acquis et n une demi-seconde, elle change son sourire n° 3 pour un n° 14 (celui qu’on fait lorsqu’on découvre une phalange dans sa boite de rillettes). Le constat est limpide : notre ami a explosé l’échelle de Richter, apportant la preuve vivante ( ?) que la loi de la pesanteur est l’une des seules qu’on ne peut pas contourner. L’autre, c’est la loi de la jungle, mais nous parlerons politique un autre jour.

Un massage thoracique sur un canapé ressemble vite à une séance de trampoline...

En attendant, le pauvre homme est élardé sur le lino, l’air un peu mort. Il ne respire plus et son cœur est en RTT. Ce qui est très dangereux, d’ailleurs. Par contre, si vous achetez une maison en viager à une personne dans cet état, vous risquez de faire une excellente affaire. Bref, après une réflexion intense et rapide, nous décidons d’installer notre invité sur le brancard : chance ! C’est un modèle récent - large et pratique - pas comme certains datant de la guerre de 14, et encore utilisés dans d’autres salles. Je veux parler, bien sûr, de la bataille de Bouvines en juillet 1214... , un brancard moderne, donc. Vu son manque de savoir-vivre, un premier choc électrique est décidé :100 joules dans le thorax. Résultat négatif : l’ombre de l’échec se profile à l’horizon… la dose est doublée : 200 joules ! Et là, bingo ; contre toute attente, ça marche… l’ombre de l’échec arrête alors de nous emmerder et le miracle se produit.  

La Belle au bois dormant - totalement abrutie - ouvre les yeux et nous regarde avec la tronche du mille-pattes dans la semoule qui vient de se ramasser une casserole de pois chiche. Le Prince charmant lui résume alors l’épisode précédent : bonjour, je suis docteur et vous êtes aux urgences. Votre petit cœur s’est pris pour un ferry corse au début des vacances d’été et il a fait une grève surprise, qui n’a heureusement pas duré longtemps... mais maintenant tout va bien. Vous avez eu la chance de faire votre arrêt cardiaque à l’hôpital. Même que c’est bien plus pratique qu’à la maison, car un massage thoracique sur un canapé ressemble vite à une séance de trampoline. Elle est pas belle, la vie, coco ?  

Lorsqu’on vous sort du potage, on est plutôt content et on a tendance à aimer tout le monde. Ainsi renseigné, coco se radoucit et nous manifeste même un début de reconnaissance… nous apprendrons plus tard que son bug était dû à une mauvaise conduction électrique, lié à un déficit en potassium.  Un conseil, les gars : mangez des bananes ! Avant de l’hospitaliser, nous avons quand même le bilan à approfondir et quelques paramètres à reconfigurer. Nous allons détailler le programme à sa sœur que nous devons en fait ramasser à la petite cuillère, dans le hall. Comme quoi, dans ce métier, en plus des stylos il faut toujours avoir un deux couverts dans la poche. 

Marco rappelle ensuite le médecin de garde, pour info. Celui-ci se fend d’un sourire n° 17 (quand tu découvres une tête de souris, en plus de la phalange).  « Allo… vous allez rire, chef,  y’avait une date de péremption, mais elle était pas marquée sur l’étiquette… » Dis, tonton, pourquoi tu tousses ? Ceci dit, la critique est aisée… mais si on devait découper tout le monde en rondelles, par précaution (si jamais…), ça coûterait une fortune. Et puis nos clients poireauteraient des heures. Je vous raconte pas l’émeute . On jouerait à mai 68 en permanence et on finirait par remplacer les brancardiers par des CRS. Et vraiment, j’aimerais trop pas bosser en respirant des gaz lacrymogènes…  

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Didier MORISOT Infirmier en Saône-et-Loire didier.morisot@laposte.net


Source : infirmiers.com