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GRANDS DOSSIERS

AES : la sécurité des infirmiers au coeur des priorités publiques

Publié le 06/03/2018
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Une infirmière interpelle Nicolas Chandellier

Une infirmière interpelle Nicolas Chandellier

La question de la prévention des blessures par objets tranchants chez les professionnels de santé en Europe et en France, et notamment des infirmiers particulièrement exposés, était au coeur de ce 7e Colloque européen sur la Biosécurité, le 18 janvier dernier à l'Assemblée nationale. Un colloque pour faire le point sur les accidents d'exposition au sang et placer la sécurité des infirmiers au cœur des priorités publiques en confrontant données, points de vue et recommandations de bonnes pratiques. Le Réseau européen de biosécurité et l’Ordre national des infirmiers étaient les promoteurs de cet événement dont les principaux enseignements sont livrés ici.

Les experts sont d'accord, il y a nécessité d'accompagner le personnel soignant pour l’inciter à se conformer aux procédures de sécurité car chaque acteur en amont et en aval de la chaîne de soins se doit de respecter les règles et d’appliquer les bonnes pratiques.

En ouverture de cette journée, Patrick Chamboredon, nouveau Président de l'Ordre national des infirmiers (ONI) l'a rappelé : les accidents avec exposition au sang (AES) demeurent beaucoup trop fréquents et seraient pour la plupart évitables si les recommandations de bonnes pratiques et autres mesures de sécurité étaient appliquées. Que l’on exerce dans la fonction publique, dans le privé ou en libéral, des améliorations sont donc possibles et souhaitables et nous sommes là pour en débattre. Et de rappeler que pour connaître plus précisément la réalité de ce risque et des mesures de protection et de sécurité prises quotidiennement, l'ONI avait lancé une grande consultation nationale auprès des infirmiers en novembre 2017 sur le sujet, intitulée « Accidents d'exposition au sang : risques et protection des infirmiers ». En effet pour le président de l'ONI, la santé de nos patients ne peut se faire au détriment de la nôtre.

Le député français Olivier Véran, rapporteur général de la Commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale a, de son côté, souligné l’importance de signaler les blessures par piqûre d’aiguille aux autorités compétentes, tout en admettant les difficultés inhérentes au cadre actuel en France pour analyser et effectuer un suivi de bout en bout des blessures. Il a suggéré que les conclusions de cette journée d'échanges pourraient être soumises pour consultation aux décideurs politiques chargés de la stratégie de santé nationale en France.

Les blessures causées par des aiguilles et d'autres instruments tranchants sont l'un des risques les plus courants et les plus graves pour les travailleurs de la santé en Europe et représentent un coût élevé pour les systèmes de santé et la société en général.

Une Directive européenne qui doit être connue et respectée

La Directive européenne de 2010 sur les blessures par objets tranchants et pointus visant à renforcer la sécurité des soignants  devait être transposée dans chaque Etat membre au plus tard le 11 mai 2013. Son but : sceller les obligations des employeurs du domaine de la santé vis-à-vis de leurs salariés exposés aux blessures par objets piquants, potentiellement contaminés par divers pathogènes dont le VIH et l'Hépatite C.

Rappelons que le Réseau européen de biosécurité (EBN) a été fondé en 2009 pour assurer le déploiement de la directive dans tous les États membres de l’UE. Selon Ian Lindsley, secrétaire général de l'EBN, certains États membres et certains secteurs sont à la traîne, par exemple en ce qui concerne la connaissance de la directive, il y a donc nécessité d’intensifier les efforts pour garantir le respect de la directive dans tous les États membres, notamment en ce qui concerne les professionnels qui n’utilisent pas d’objets tranchants ou pointus en milieu hospitalier, comme les travailleurs sociaux et les professionnels de santé indépendants.

Face à la disparité des niveaux de conformité à la Directive au sein des États membres, il y a nécessité de mettre en place des systèmes de contrôle efficaces pour améliorer les standards et réduire le nombre de blessures.

Des résultats encourageants en Italie

Plus d'un million de blessures par piqûre d'aiguille surviennent chaque année en Union Européenne. Pour le Dr Gabriella di Carli de l’Institut national italien des maladies infectieuses, la connaissance de la loi est jugée satisfaisante et les sites hospitaliers ont répondu au besoin de renforcement des protections, même si le degré de sensibilisation peut toujours être amélioré. Si les blessures par piqûres d’aiguilles ont diminué en Italie, elles n’ont pas été totalement éradiquées. Elle l'a souligné, des équipements de sécurité certes, mais la culture soignante, l'éducation, la formation, l'engagement des professionnels de santé sont autant d'éléments importants pour favoriser la mise en œuvre de nouvelles pratiques et un consensus en la matière.

Des actions concrètes à poursuivre en Espagne

Le Dr José Luis Cobos Serrano du Conseil des infirmiers espagnols a présenté les conclusions de l’Observatoire espagnol de la biosécurité qui surveille les centres de soins en Espagne depuis la mise en œuvre de la directive : une spectaculaire prise de conscience autour des blessures par piqûres d’aiguilles depuis la transposition de la directive dans la législation nationale en 2013, a-t-il souligné. Les actions doivent cependant se poursuivre afin d’encourager la concertation et la collaboration dans les démarches de prévention des blessures par piqûres d’aiguilles. Informer et développer des plans de formation pour les professionnels et la population en général, plus proche des risques biologiques reste pour lui une piste prometteuse en termes de prévention.

Le manque de ressources et de personnel, travailler en urgence et l'inertie culturelle face au changement sont considérés comme les principaux obstacles à l'atteinte de niveaux de sécurité optimaux.

France - De l’importance de poursuivre une surveillance des AES et de l’élargir au secteur de ville et aux Ehpad

En France, l’Ordre national des infirmiers (ONI) s'est penché  sur ce problème en lançant une enquête numérique sur le sujet, et les résultats confirment les doutes. Les AES demeurent beaucoup trop fréquents et seraient pour la plupart parfaitement évitables si les recommandations de bonnes pratiques et autres mesures de sécurité étaient appliquées. Que l’on exerce dans la fonction publique, dans le privé ou en libéral, des améliorations sont possibles. Les professionnels interrogés ont été 62 % à affirmer avoir été victime d’un AES au cours de leur carrière (quel que soit leur mode d’exercice). Pour une petite majorité d’entre eux, cet accident est survenu alors qu’ils étaient en poste dans leur service depuis moins de 5 ans. Ce qui suggère un lien entre les AES et le manque d’expérience. Un tiers des répondants n’a pas déclaré son accident. La principale raison évoquée par 27 % des sondés est qu’ils n’avaient pas eu le temps de le faire ! Plus inquiétant encore : le statut sérologique des patients sources est la plupart du temps inconnu des soignants. Près de 19 % ignoraient si le sang auquel ils ont été exposés était infecté par l’hépatite B ou C et 17 % en ce qui concerne le VIH. De plus, les règles de bonnes pratiques sont souvent connues mais pas exécutées et en ce qui concerne les équipements de protection individuels (EPI), ils sont près de 30 % à ne les porter que parfois ou jamais en cas de risque de projection. Enfin, ils sont 23 % à parfois désadapter à la main les aiguilles et 11 % à toujours le faire. Cette enquête démontre enfin l’importance de poursuivre une surveillance des AES et de l’élargir au secteur de ville et aux Ehpad, ce qui permettra de mettre en place des actions correctrices adaptées en fonction des situations de chacun. Ceci parait d’autant plus important pour les infirmiers libéraux particulièrement impactés. Riche de ces données plutôt préoccupantes, l’ONI envisage la création d’un observatoire des AES.

Gérard Pélissier, Groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants (GERES) a annoncé la reprise de la surveillance des blessures par objets tranchants en France afin de produire de nouvelles statistiques.

Paroles d'experts pour mieux protéger les professionnels de santé

Le Dr Pierre Parneix, président de la Société française de l’hygiène hospitalière (SF2H) est un porte-parole engagé sur la question de la prévention des infections et des accidents chez les professionnels de santé. Il a rappelé que la survenue d’un accident d’exposition au sang n’est pas une fatalité mais le fruit d’une cascade d’événements. L’analyse approfondie des causes (AAC) de ce type d’événement indésirable grave permet de comprendre plus finement les circonstances de survenue de l’accident afin de mettre en place des mesures correctives pour éviter qu’il ne se reproduise. Il a étayé cette déclaration d'un exemple précis, à savoir l'utilisation de la Méthode ORION® fondée sur l’expérience de l’aéronautique. Divisée en six étapes : collecter les données, reconstituer la chronologie de l’événement, identifier les écarts, les facteurs contributifs et les facteurs influents, proposer les actions à mettre en oeuvre, rédiger le rapport d’analyse, la méthode se veut simple à utiliser et extrêmement rigoureuse. Il a également souligné l'importance de bien utiliser après les soins avec objets piquants ou tranchants des containers ad hoc en veillant particulièrement à fixer le conteneur, à ne pas les remplir à plus des 3/4, à les emporter jusque dans les chambres et à les fermer complètement avant de les évacuer. Autant de recommandations aussi simples qu'efficaces. Pour lui, les challenges demeurent en matière des réduction des AES : nécessité de prendre en compte les facteurs latents et de s’adapter à la restriction des moyens, ne pas espérer que l’impossible devienne réalité, aller sur le terrain et adapter la stratégie, mettre l’accent sur l’organisation des soins et essayer de limiter les interruptions de tâche, mettre l’accent sur les précautions standard. 

Instaurer des mécanismes de signalement plus stricts pour les professionnels qui, bien souvent, ne savent pas comment signaler un accident ou une blessure, parfois par méconnaissance, mais aussi par crainte d’être jugés fautifs.

Bernard Gouget de la Fédération hospitalière de France (FHF) et Laetitia Buscoz, Bureau de l’assurance qualité et de l’information médico-économique de l’hospitalisation privée (BAQIMEHP) ont, de leur côté, souligné l'obligation de prendre soin des professionnels de santé et donc la nécessité d'accompagner le personnel pour l’inciter à se conformer aux procédures de sécurité car chaque acteur en amont et en aval de la chaîne de soins se doit de respecter les règles et d’appliquer les bonnes pratiques. Pour eux, il demeure des difficultés à faire appliquer les mêmes règles sur tous les sites, dans la mesure où la réglementation est relativement récente et prête à des interprétations différentes. Ne niant pas la réalité d'établissements de santé sous tension, ils ont suggéré que plus de formation, plus d'action de sensibilisation sur ce type de blessures par piqûres, permettrait de les prévenir et donc de les réduire.

Du côté de l'industrie

Nicolas Chandellier, directeur de Becton Dickinson (BD), fabricant de dispositifs médicaux et membre du Syndicat national de l’industrie des technologies médicales (SNITEM), a souligné le rôle que les nouvelles technologies pourront jouer en France dans la réduction de la prévalence des blessures par piqûres d’aiguilles. De son point de vue, les AES constituent une priorité pour l'entreprise qui va bien au-delà de l’aspect économique. BD poursuit ses innovations produits afin de concevoir des produits qui sécurisent les actes invasifs tout en gardant leur fonctionnalité et leur ergonomie. Il a rappelé que l'utilisation de matériel de sécurité avec une bonne formation des professionnels permet de réduire de plus de 70 % les AES. Pour lui, les pratiques et l'utilisation des dispositifs médico-sécurisés sont hétérogènes, l'hôpital étant beaucoup mieux pourvu (responsabilité de l'employeur) que le secteur libéral où le facteur économique peut être un frein. Pour informer sur les enjeux des AES et l’impact de la Directive européenne, BD a lancé un site internet dédié : www.bd.com.

Une infirmière, matériel à l'appui, a interpellé Nicolas Chandellier sur les limites d'utilisation de certains produits. Ses arguments pratiquo-pratiques, ancrés dans sa réalité quotidienne de soignante, étaient tous plus étayés les uns que les autres. L'industriel lui a suggéré de faire jouer la concurrence, challengez-nous lui a-t-il conseillé, tout en lui rappelant que dans chaque établissement de soins il y avait un référent en matério-vigilance dont le rôle était justement de faire remonter aux fabricants les difficultés d'usage (voir photo).

En France, il y a un déploiement divers et varié des dispositifs médico-sécurisés, la France n'est pas au premier plan en la matière, a rappelé Nicolas Chandellier

Une journée riche d'enseignements et de perspectives

Chacun en est convaincu, la réduction de la prévalence des blessures par piqûres d’aiguilles en France relève de la responsabilité de tous les acteurs de la santé. Les enjeux résident dans l’amélioration de la formation des professionnels de santé et la mise en place de systèmes de surveillance et de protocoles de signalement pour le personnel. L'accès aux recommandations de bonnes pratiques mais aussi à l'information - les professionnels de santé ignorent souvent comment signaler les blessures par piqûres d’aiguilles…- sont indispensables pour réduire les accidents avec exposition au sang. La situation des infirmiers libéraux a été relevée à de nombreuses reprises par les participants à ce colloque. En effet, ils ne sont pas concernés par cette Directive européenne, d'où la nécessité d’instaurer pour eux des mécanismes de signalement plus complets et des dispositifs de protection adaptés à leurs pratiques.

En conclusion, Patrick Chamboredon, président de l’ONI, a souhaité que le colloque suscite davantage de dialogue avec les responsables dans le champ de la santé et, qu’au travers de l’engagement soutenu avec le député Olivier Véran et son équipe, les questions relatives à la législation en matière de protection des professionnels de santé en France et en Europe puissent être abordées et travaillées de concert.

Déjà plus de 400 établissements utilisateurs sont inscrits à l'outil webAES#2, la nouvelle version de l'outil de surveillance des accidents avec exposition au sang (AES), se réjouit le centre d'appui pour la prévention des infections associées aux soins (Cpias) Bourgogne-Franche-Comté sur les réseaux sociaux.

• Retrouvez les actes du Colloque et les présentations des intervenants sur ce lien « 7e Colloque européen sur la biosécurité – European Biosafety Network

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com