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LEGISLATION

Cumul d'emplois : hypocrisie d'un système ?

Publié le 11/10/2017
guide traitement rémunération primes

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tenues soignants

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Le cumul d'emplois dans la profession infirmière est un secret de polichinelle. Il s'y opère pourtant bel et bien, et tendrait même à croître compte tenu d'une conjonction de facteurs. Décryptage d’une pratique parfois opaque et piqûre de rappel sur la législation en vigueur.

Le cumul d'emplois est une réalité pour la profession infirmière, mais mieux vaut s'abstenir de franchir certaines limites...

Combien sont-ils parmi les quelque 600 000 infirmiers en exercice à cumuler, ponctuellement ou régulièrement, leur activité principale avec une autre secondaire, via des vacations et/ou missions d'intérim afin de mettre du beurre dans les épinards et ainsi améliorer leurs conditions de vie en gagnant plus ? Difficile de donner un chiffre car il n'y a pas de statistiques. Néanmoins on devrait avoir une meilleure visibilité dans les années à venir, du moins partiellement s'agissant des remplacements en libéral. En effet, l’Ordre national des infirmiers (ONI) devrait bientôt disposer de chiffres partiels puisque depuis fin novembre 2016 les infirmiers exerçant dans le public ou le privé à temps partiel et souhaitant effectuer des remplacements libéraux doivent en demander l’autorisation non plus auprès de leur agence régionale de santé mais auprès du conseil départemental ou interdépartemental de l'Ordre qui la délivre, indique Karim Mameri, le secrétaire général du Conseil national de l’Ordre des infirmiers (CNOI).

Cela fait cinq ans que je n’ai pris aucune vacances pour moi non pas par envie mais parce que je n’ai pas le choix.

« Gagner plus »

Quoi qu’il en soit la pratique est bien réelle et pas forcément récente. J’ai commencé en 2003 – l'année d'obtention de mon DE – jusqu’en 2007 à effectuer régulièrement des vacations et/ou des missions d’intérim les WE et la nuit en plus de mon temps complet dans un établissement de soins privé, explique Carine, IDE, aujourd'hui presque installée en libéralC’était assez facile car les offres d’emploi – en intérim notamment – étaient plus nombreuses qu’aujourd’hui et surtout c’était assez fréquent. Ses raisons ? D’abord gagner plus puis secondairement voir d’autres services. Le secrétaire général du CNOI remarque que cela touche l’ensemble des professionnels (vacations ou missions d’intérim la nuit, en clinique…) sachant néanmoins que les remplacements par des infirmières exerçant dans le privé sont plus fréquents que dans le public car les règles sont plus rigides.

Certains IDE à temps complet font des piges en intérim. Ça se passe, c’est totalement opaque et c’est en marge de la légalité.

Un phénomène qui tend à s’amplifier

Toutefois, il semble que les nouvelles organisations du travail effectives dans certains établissements de santé – publics notamment –, avec un accroissement des postes longs et des plannings fixes, favorisent quelque peu le phénomène. S’il y a une montée en charge des services en 12 heures, je crains que ce type de pratique ne se multiplie car parfois les professionnels ont jusqu’à une semaine de repos compensateur. Certains infirmiers peuvent ainsi être tentés de mettre leurs compétences au service d’autres vacations, constate Karim Mameri. Les horaires en 12 heures libèrent de plus en plus de plages horaires. Cela accroit cette pratique relève aussi Mathias, infirmier anesthésiste (Iade) dans un établissement public du Vaucluse. Et avec des outils de planification comme Doodle1, cela est d’autant facilité : La clinique dans laquelle j’effectue des vacations fonctionne avec. On y indique nos dispos et ils nous contactent en fonction de. Pour octobre, j’ai trouvé 3 dates par exemple explique Laurence, une Iade trentenaire exerçant à temps plein dans un établissement de l’AP-HP et qui réalise en moyenne 2 à 5 vacations mensuelles, chacune étant rémunérée entre 250 et 300€ la journée (soit 30€ de l’heure).

L’essor des temps partiels parfois non choisis (contractuels dans la Fonction publique hospitalière mais aussi salariés du privé), ou encore, les situations économiques et familiales tendues (monoparentalité, chômage du conjoint…) pourraient aussi favoriser le cumul d’activités dans les milieux de soins. On ne fait pas des "ménages" pour vivre mieux ; ce n’est pas le "travailler plus pour gagner plus" de Sarkozy. On fait des heures à côté pour assumer, garder notre dignité, se justifie cet infirmier spécialisé, divorcé, vivant seul et père de famille. Et l'un de ses collègues dans une situation similaire de poursuivre : Cela fait cinq ans que je n’ai pris aucune vacances pour moi non pas par envie mais parce que je n’ai pas le choixJe fais en moyenne deux vacations par mois témoigne encore Marie, Iade mère célibataire à temps partiel à l’AP-HP qui effectue par ailleurs du rapatriement sanitaire.

Le manque d’Iade notamment semblerait aussi propice à ce cumul d’emplois dans la profession : À Paris, 80 % des Iade qui bossent en clinique sont des Iade de l’AP-HPSi les hôpitaux se mettent en 8h ils n’auront plus aucune équipeS’il n’y a plus de remplacements possibles beaucoup de blocs devront fermer d’autant que le nombre d’anesthésistes diminue relèvent ainsi en chœur des Iade sous couvert d’anonymat.

Enfin, notons que si le cumul d’activités n'est pas forcément limité à l'Ile-de-France et aux grandes métropoles il y en cependant plus d'offres et de demandes dans ces zones  et territoires.

La continuité du service est souvent la raison invoquée pour un refus. Il s’agit en effet d’activités non prioritaires et cela ne doit pas désorganiser le service.

Une pratique parfois en marge de la légalité

Reste que le cumul d’emplois, s’il n’est pas illégal, n’est pas toujours possible et praticable à l’ensemble de la profession. La réglementation en la matière diffère en effet selon les statut et secteur d’exercice (privé/fonction publique hospitalière – FPH, libéral) et surtout la durée du temps de travail (temps partiel/temps complet).

Dans le secteur privé , celle-ci est plus souple. Tout dépend de la convention collective, des accords de branche et du contrat de travail qui lie les parties (employeur/salarié), sachant que le cumul d’emplois peut être interdit par une disposition conventionnelle ou une clause du contrat de travail (clause d’exclusivité par exemple). Hormis cela, le salarié doit respecter l’obligation de loyauté et la durée maximale du travail sous peine de sanctions. Ainsi sauf dérogations, le salarié ne doit pas travailler plus de 10 heures par jour et 48 heures par semaine (ou 44 heures par semaine, calculées sur une période de 12 semaines consécutives). Des durées qui doivent être respectées, quels que soient le nombre d'employeurs et la durée du travail de chaque contrat 2. À noter aussi que le salarié n’est pas tenu d’en demander l’autorisation à son employeur ou de l’en informer. En revanche, il doit lui permettre de s'assurer que la durée maximale du travail autorisée est respectée. L'employeur peut demander au salarié une attestation écrite certifiant qu'il respecte les dispositions relatives à la durée du travail. Le salarié qui refuse de communiquer à un employeur les informations lui permettant de vérifier qu'il n'y a pas infraction peut être licencié pour faute grave 2.

Dans la fonction publique , la règle qui prévaut est qu’ un fonctionnaire doit consacrer l’intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées3. Ce principe a d’ailleurs été réaffirmé par la loi n°2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, dont l’objectif est notamment de "renforcer" l’exemplarité des agents publics en restreignant les possibilités de cumuler leur emploi avec une activité privée lucrative. Cumuler plusieurs emplois à temps complet est ainsi désormais l’une des deux nouvelles interdictions pour les agents publics, fonctionnaires ou contractuels à temps complet et exerçant leur mission à temps plein.

À noter : s’il est à temps partiel (inférieur ou égal à 70 % de la durée légale ou réglementaire du travail), le fonctionnaire peut cependant exercer un autre emploi privé lucratif ou non. Mais il doit déclarer à son employeur l’activité privée en question sachant que ce dernier peut s’y opposer à tout moment s’il juge celle-ci incompatible avec les missions de service public de l’agent. Dans le secteur public hospitalier, le cadre de santé donne un avis mais c’est la direction (DRH) de l’établissement qui autorise ou pas le cumul explique Karim Mameri. Et ce dernier d’ajouter : La continuité du service est souvent la raison invoquée pour un refus. Il s’agit en effet d’activités non prioritaires et cela ne doit pas désorganiser le service. La priorité doit être donnée à l’emploi principal. C’est du donnant-donnant. Toujours est-il que dans les faits, nombreux sont les infirmiers du secteur public à temps complet et/ou partiel à se passer de l’autorisation de leur employeur pour exercer une seconde activité hors les murs de leur établissement. D’où la discrétion sinon le tabou qui entoure la pratique – avec parfois l’accord tacite des cadres – mais aussi parallèlement le risque, pour ces fonctionnaires de s'exposer à une sanction disciplinaire de leur employeur qui peut aller jusqu'à la révocation.

Côté employeurs, tous ne sont pas non plus des plus regardants : Certains IDE à temps complet font des piges en intérim. Ça se passe, c’est totalement opaque et c’est en marge de la légalité rappelle ainsi le secrétaire général du CNOI. Dans la clinique où j’effectue des vacations, à peu près la moitié des 11 Iade exercent à l’AP-HP ou dans des hôpitaux publics de la région ou en intérim, relate Laurence.

Je me garde des repos pour ne pas me mettre en danger. Un problème de dos m’a rappelé à l’ordre. Depuis je ne fais des vacations que de façon occasionnelle.

Des limites à ne pas franchir

Au-delà du respect de la loi, on retiendra la nécessité de limites à ne pas franchir afin de toujours être en mesure de soigner en toute sécurité, déceler un mauvais dosage… au risque sinon d’engager sa responsabilité d’IDE et sa santé : Je me garde des repos pour ne pas me mettre en danger. Un problème de dos m’a rappelé à l’ordre. Depuis je ne fais des vacations que de façon occasionnelle. […] Il ne faut pas trop tirer sur la corde prévient Laurence, l’Iade parisienne. J’évite le 12 heures pour les vacations. Mon maximum, c’est 10 heures. Je n’ai pas envie de m’épuiser. Je me ménage et c’est aussi un compromis de temps à passer avec mon enfant indique dans le même sens sa collègue Marie.

En tout état de cause, le cumul d’emplois dans la profession infirmière semble mettre en lumière une insuffisance des rémunérations car ceux qui s’y livrent le font plus pour s’en sortir correctement ou joindre les deux bouts que dans une optique purement mercantile. Cela interroge. Tout comme la certaine hypocrisie du système qui l’entoure !

Un guide pour comprendre sa rémunération

Le guide "Traitement, rémunération, primes" aborde notamment la question du cumul d'activités. Il permet, en outre, de mieux comprendre sa fiche de paie, et d'obtenir de précieux conseils pour se former et mener au mieux sa carrière. La version actualisée 2017-2018 sera disponible courant novembre 2017.

Notes

  1. Permet notamment de gérer un planning en temps réel.
  2. À quelles conditions un salarié peut-il cumuler plusieurs emplois ?
  3. Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dite loi Le Pors

Valérie HEDEF Journaliste valerie.hedef@orange.fr


Source : infirmiers.com