Lorsque l’on cherche à s’installer en libéral, la question : « dois-je créer ma propre clientèle ou est-il possible d’en acheter une déjà constituée ? » revient régulièrement.
Il y a encore peu, acheter ou vendre une clientèle était, non seulement illicite (on ne pouvait vendre qu’un « droit de présentation à clientèle »), mais aussi peu utile voire impossible. Certaines dispositions conventionnelles avaient mis à mal la transmission des cabinets libéraux infirmiers.
Un peu d’histoire !
Jusqu’au début des années 90, le nombre d’infirmiers libéraux sur le territoire étaient relativement réduit. La demande de plus en plus importante en soins de proximité faisait que ces cabinets étaient alors prospères. En 1992, la nouvelle convention signée entre les syndicats représentatifs de la profession et l’UNCAM (Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie) impose aux professionnels une limitation de leur activité, via un « seuil d’efficience » autrement appelé « quotas ». De ce fait, beaucoup d’infirmiers libéraux sont obligés de réduire, du jour au lendemain, leur activité. Mais la nature ayant horreur du vide et la demande en soins existant toujours, cela devient alors une aubaine pour les infirmiers qui souhaitent s’installer. Inutile alors de racheter un droit de présentation à clientèle, il suffit de « poser sa plaque » et les patients accourent….souvent refusés par les infirmiers libéraux déjà installés et dont l’activité est déjà à la limite des « quotas ».
Mais si cela était encore vrai hier, les temps ont changé. Le vieillissement de la population, la réduction du temps d’hospitalisation, les contraintes économiques, etc., ont ouvert le marché du soin de proximité à une « concurrence » en plein développement : SSIAD, HAD, etc. Les infirmiers libéraux ont perdu leur « monopole » sur les soins de ville. De plus, la liberté d’installation en libéral ayant entrainé des disparités importantes sur l’accès aux soins de proximité, une régulation de ces installations est actuellement à l’ordre du jour. D’autre part, l’évolution de la société, les changements de mentalité, et l’obligation (depuis 1993) de se forger une expérience professionnelle en structure de soins avant toute installation en libéral, développe un besoin croissant de sécurité chez les futurs professionnels libéraux. Et pour finir, la nouvelle convention signée en Juin 2007 supprime la notion de seuil d’efficience, les infirmiers libéraux ne sont donc plus limités dans leur activité. La question de l’achat d’une clientèle peut alors à nouveau se poser….
Mais comment faire, comment choisir ? Quelques explications peuvent vous être utiles...
La législation
La clientèle paramédicale n’est qu’une forme de clientèle civile, et si pendant des années, toute forme de cession de clientèle civile était illicite aux yeux de la Loi, l’évolution rapide des jurisprudences, ces dernières années, a fini par faire reconnaitre la validité de ces cessions. On peut donc dorénavant acheter ou vendre une clientèle médicale ou paramédicale.
Ceci dit, les juges ont émis certaines conditions à ces cessions :
« Si la cession de clientèle médicale, à l’occasion de la constitution ou de la cession d’un fond libéral d’exercice de la profession, n’est pas illicite, c’est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient » [1]
Il en découle donc que la cession doit respecter deux points, sous peine d’être illicite :
1. la liberté de choix du patient
Il s’agira donc de ne pas transférer, entre l’infirmier cédant et l’infirmier acquéreur, les rendez-vous de façon automatique. Les patients devront être informés du changement d’infirmier et inviter à choisir s’ils veulent ou non continuer leurs soins avec le nouvel arrivant.
2. la création ou la cession d’un fond libéral
Les juges ne définissent par réellement ce qu’est ce fond, mais classiquement, cela renvoie à la notion de fonds de commerce, donc au cabinet (comprenant biens mobiliers et immobiliers, droit au bail etc.)
A noter aussi, que les juges précisent « constitution » ou « cession », ce qui exclut toute mise en jouissance du cabinet, toute mise en location-gérance.
Le prix d’une clientèle, le calcul
Les us et coutumes de la profession font qu’on calcule le prix d’une clientèle sur la base de la moyenne des chiffres d’affaire des 3 dernières années, moyenne calculée à partir des documents comptables (déclarations fiscales et livres de comptes). Puis, suivant les régions, le type de clientèle, l’ancienneté du cabinet, la concurrence, la demande, la possibilité ou non de reprendre le local, etc., on fixe un prix de vente égal à un pourcentage de cette moyenne (entre 10 et 30% à l’heure actuelle en 2007).
Le contrat de vente
Le contrat est obligatoire
Il est bien évident qu’il est préférable, avant de vendre ou d’acheter, de prendre conseil auprès de professionnels du Droit (avocats et notaires). Ceux-ci seront les plus à même de vous conseiller sur les termes du contrat, l’évolution de la législation, et les prix en vigueur sur votre région. [2]
Il existe des contrats « type » de « cession de clientèle » ou de « présentation à clientèle », mais comme pour tous les contrats, ceux-ci doivent être adaptés à chaque situation.
Certains points sont quand même incontournables dans le contrat :
1- Les obligations du cédant :
- présenter son successeur à sa clientèle. Une période de remplacement préalable ou de collaboration pourra être un excellent moyen de faire cette présentation. Le cédant devra aussi remettre son fichier clientèle en totalité à son successeur, prévenir sa clientèle du changement de praticien, en l’engageant à reporter sa confiance sur son successeur, tout en sauvegardant sa liberté de choix.
- ne pas concurrencer son successeur après son départ (clause de non concurrence sur un périmètre donné et pendant un temps donné)
- s’engager à remettre le droit au bail à son successeur ainsi que l’ensemble du matériel du cabinet
Il est aussi souhaitable que le vendeur présente son successeur à son réseau professionnel (médecins, autres infirmiers libéraux, pharmaciens, masseurs-kinésithérapeutes, prestataires de service, réseau de soins etc.) et fasse paraitre une ou deux annonces dans la presse locale pour prévenir de son départ et de sa succession (comme le lui permettent les règles professionnelles )
2- Les obligations de l’acheteur :
- l’acheteur s’engage à verser le prix de la vente prévu par contrat, somme à laquelle pourra être éventuellement ajoutée une indemnité, en contrepartie de l'obligation de non-concurrence souscrite par le vendeur.
- Faire procéder à l’enregistrement de l’acte de cession auprès des impôts dans un délai d’un mois à compter de la signature.
L’incidence fiscale
L’acheteur devra payer les droits d’enregistrement. Ceux–ci seront déductibles en frais professionnels, mais pas la somme investie pour l’achat. De même, s’il emprunte pour acheter cette clientèle, seuls les intérêts d’emprunt seront déductibles en frais professionnels (pas le capital).
Le cédant, quant à lui, sera imposé sur la somme encaissée, au titre des plus-values. Mais sous certaines conditions, il peut bénéficier d’exonérations. Les détailler toutes ici serait long et certainement fastidieux pour les lecteurs. Vous trouverez donc toutes les explications dans cet excellent document de l’UNASA (Union Nationale des Associations Agrées)
Comment évaluer la clientèle ?
C’est une question importante. En effet, toutes les clientèles n’ont pas la même valeur.
- Alors quelques critères peuvent vous aider à évaluer cette clientèle :
- la quantité de patients : cela est vérifiable sur le fichier clientèle…à la condition que celui-ci soit tenu à jour bien entendu.
- l’âge moyen de la clientèle
- la diversité ou non de pathologies et de soins
- les lieux d’habitation de la clientèle (par exemple, les maisons de retraite et lieux d’hébergement pour personnes âgées changeant actuellement de mode de tarification, beaucoup en viennent à se passer des services des infirmiers libéraux. Donc une clientèle majoritairement domiciliée en maison de retraite n’est pas un gage de pérennité…..)
- l’ancienneté de la clientèle et sa fidélité au cabinet
- la réputation du cabinet, etc.
D’autre part, il est bon d’évaluer la « concurrence » potentielle (création ou projet de création de structures de soins à domicile HAD, SSIAD, etc, installation de nouveaux infirmiers libéraux sur le secteur, ancienneté des cabinets infirmiers déjà existants, etc..)
Et aussi, bien sûr, vétusté du matériel cédé, travaux éventuellement à prévoir dans le local, etc.…
Le prix de cession dépendra de ces différents facteurs.
Préparer la transmission de son cabinet
Pour ceux qui prévoient, un jour, de céder leur cabinet, il existe des formations sur la transmission de l’entreprise libérale. Cela entre dans le cadre de la formation professionnelle continue et est déductible en frais professionnel [3]
Le pour et le contre
Acheter ou vendre une clientèle est un sujet qui fait largement débat dans la profession. Vous trouverez les « tout pour » comme les « tout contre » et, personnellement, je ne m’engagerai pas dans cette polémique. Chaque camp a ses raisons, toutes aussi valables les unes que les autres.
Ceci dit, d’un point de vue purement entrepreneurial, la vente d’une clientèle est la reconnaissance logique de l’entreprise libérale. C’est la reconnaissance d’années de travail à créer et fidéliser une clientèle autour d’un cabinet, grâce à ses compétences professionnelles, son savoir-faire et son savoir-être, à créer et pérenniser une entreprise, comme le ferait n’importe quel autre entrepreneur.
L’achat de clientèle, quant à lui, présente des avantages pour ceux ou celles qui souhaitent s’installer en libéral ou changer de région, sans pour autant avoir à connaitre les affres de la création de clientèle. En effet, même si la clientèle est toujours libre de ne pas suivre le successeur, si la présentation du successeur a été suffisamment bien faite, la majorité des patients continueront sans doute à avoir recours au cabinet.
Mais il faut aussi être conscient que cela ne se fera que si le changement n’est pas trop important pour les patients. A charge alors au successeur de se couler, au moins au début, dans les « chaussons » de l’infirmier(e) qu’il remplace, d’en adopter pendant un temps la majeure partie des fonctionnements, puis petit à petit, imprimer au cabinet sa propre personnalité.
De plus, en cette période où l’on parle de plus en plus de réguler le conventionnement des professionnels de Santé en fonction des zones d’installation [4], l’achat d’une clientèle sera peut-être, d’ici peu, le seul moyen de pouvoir s’installer sur certains secteurs du territoire, particulièrement dotés en professionnels de santé….
Mais il existera aussi, toujours la possibilité de créer sa propre clientèle sur d’autres secteurs moins ou peu pourvus en infirmiers libéraux…
Donc pour conclure, acheter une clientèle est un choix personnel, qui ne se discute pas. L’essentiel est de le faire en toute connaissance de cause, après mûres réflexions, recherches et études, afin de savoir exactement ce que l’on achète, et ainsi, éviter des déceptions ultérieures …
1 Cour de Cassation, 1ère chambre civile le 7 novembre 2000, confirmé par arrêt de la Cour de cassation, 1ère chambre civile du 30 juin 2004.
2 Vous pouvez aussi trouver des renseignements, des conseils, des adresses auprès des Centres Départementaux d’Accès au Droit (CDAD) de votre secteur : http://www.justice.gouv.fr/index.php?rubrique=10059&ssrubrique=10308&article=12112 ou auprès des services juridiques des syndicats professionnels
3 Un organisme proposant ce type de formation : http://www.formapl.org/ . D’autre part, les associations de gestion agréées organisent aussi régulièrement des formations sur ce thème
4 Les syndicats représentatifs des infirmiers libéraux ont signé avec l’UNCAM, au printemps 2007, un protocole d’accord sur la régulation démographique prévoyant « des actions et des mesures » pour « les professionnels de santé souhaitant s’installer dans les zones à densité particulièrement faible ou à forte »
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