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INFOS ET ACTUALITES

600 000 signatures pour des conditions de travail décentes

Publié le 03/02/2017

Ce manifeste a été écrit par 4 infirmières exerçant au quotidien auprès des malades partout en France. Elles sont également blogueuses et observent chaque jour le malaise et le mal être de beaucoup de leurs confrères et consœurs. Ce manifeste est pour eux mais aussi pour tous ceux qui fréquentent, vivent, encouragent, soutiennent chaque jour les infirmiers partout sur le territoire français.

"Si tout va bien, je serai bientôt diplômé"

Quatre infirmières publient le "manifeste des 600 000" pour des conditions de travail décentes.

Je suis Paul étudiant en soins infirmiers de troisième année. Si tout va bien, je serai bientôt diplômé. Dans ma famille, nous sommes nombreux à exercer ou à avoir exercé des professions liées aux soins. C’est un peu comme si chacun de nous était tombé dans une potion magique à la naissance. Mon arrière grand-père me parle souvent de la guerre, de sa guerre à lui pour sauver des vies lors du débarquement de Normandie. Ma grand-mère me raconte Mai 68 et les barricades sur lesquelles elles s'est battue pour les droits des femmes et des salaires décents. Ma mère me dit ô combien il était aisé de trouver un poste d'infirmière dans les années 90. Elle me parle de l'amour qu'elle avait pour son métier, des étudiants qu'elle prenait plaisir à encadrer, du temps qu'elle passait avec eux et de sa satisfaction à les voir évoluer.

Je suis Paul, étudiant en soins infirmiers de troisième année. Si tout va bien, je serai bientôt diplômé. Hélas, je suis conscient de mes lacunes et de la détermination dont il me faudra faire preuve pour les combler. Durant ces 36 mois de formation, J'ai été peu encadré lors de mes stages. Il n'y a personne à incriminer en particulier, seul le manque de temps ou de personnel peuvent être responsables de telles situations. Dans les services qui m'ont accueilli, J'ai souvent eu le sentiment confus de boucher des trous, de colmater des brèches, de plâtrer du mieux que je pouvais et ce, avec un professionnalisme plus qu'hasardeux.

Je suis Paul, étudiant en soins infirmiers de troisième année. Si tout va bien, je serai bientôt diplômé. Je suis impatient d'entrer dans la vie active mais j'avoue que l'avenir me fait peur. Ces dernières années, les nouveaux infirmiers fraîchement débarqués sur le marché du travail ont eu des difficultés à trouver un emploi. Certains même ont dû se reconvertir ou simplement accepter des postes dans d'autres secteurs d'activités. Depuis quelques temps, le chômage a fait son entrée dans la profession. Pourtant, de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer les manques d'effectifs dans les hôpitaux de ce pays. Les soignants ne cessent de crier leur ras-le-bol, leur fatigue, leur impuissance à soigner des patients de plus en plus nombreux. Ils parlent souvent de cette démotivation croissante dont ils sont victimes, qui égratigne chaque jour une peu plus l'amour qu'ils ont pour leurs métiers..

Je suis Paul, étudiant en soins infirmiers de troisième année et je dis NON à la précarité de l'emploi dans un pays où l'on parle de qualité et d'efficience.

Je suis Paul, étudiant en soins infirmiers de troisième année et je dis NON aux diminutions d'effectifs et à la médecine comptable.

Je suis Paul, étudiant en soins infirmiers de troisième année et je veux pouvoir exercer mon futur métier avec passion dans de bonnes conditions.

Je suis Anna, étudiante en soins infirmiers de troisième année et je veux être un professionnel de santé efficace et compétent.

Corinne, infirmière libérale et auteur du blog : « la seringue atomique »

"Je sais qu'à ce rythme, je ne tiendrai pas jusqu'à la retraite"

Je suis Juliette, infirmière dans une clinique de province. J'y travaille depuis un an, depuis que je suis dans la région. Je viens d'acheter une maison alors, un CDI, c'est toujours mieux lorsque l'on franchit les portes d'une banque. À la clinique, ils me l'ont proposé tout de suite le CDI parce que les infirmières qui veulent rester dans le coin, ça ne court pas les rues. Une petite ville de province dans le centre de la France, où le boulot se fait rare, ça n'attire pas les foules.

Je suis Juliette, infirmière dans une clinique de province. Une clinique rachetée par un fonds de pension parce que c'est comme cela qu'elle survit. Une clinique où soin rime avec rentabilité, où le patient est aussi un client

Je suis Juliette, infirmière dans une clinique de province. Je sais que je ne ferai pas ma carrière ici. Je reste pour le moment faute de mieux mais, bientôt, je partirai vers d'autres horizons, pas forcément plus glorieux mais mieux payés en tout cas.

Je suis Juliette, infirmière dans une clinique de province et je gagne 1500 euros en travaillant à temps plein avec deux week-ends par mois.

J'ai ma besace pleine d'heures sup' mais peu sont payées et les récupérer, je n'y pense même pas.

Je suis Juliette, infirmière dans une clinique de province. Souvent, lorsque je suis en repos, le téléphone sonne parce qu'il n'y a personne pour " tenir" le service et que je dois revenir bosser.

Je suis Juliette, infirmière dans une clinique de province. Le soir, j'ai mal aux jambes à cause de tous ces kilomètres parcourus dans la journée. Le soir, j'ai mal au dos à cause de tous ces corps meurtris que l'on doit manipuler. Le soir, j'ai mal au cœur à cause de toute cette souffrance côtoyée.

Je sais qu'à ce rythme, je ne tiendrai pas jusqu'à la retraite parce qu'à force, ce sera mon corps qui souffrira. Quant à ma tête, elle souffre déjà du manque de reconnaissance, des conditions de travail et du salaire qui ne suit pas. Alors que je ne suis qu'au tout début de ma carrière.

Je suis Juliette, infirmière dans une clinique de province et j'ai peur. Tous les jours, j'ai peur de me tromper, de commettre l'irréparable parce que soigner dans les conditions actuelles ressemble davantage à du travail à la chaîne. Parce qu'il faut remplir le plus de lits, faire sortir les gens de plus en plus vite pour en accueillir d'autres.

Je suis Juliette, infirmière dans une clinique de province et je suis inquiète pour mon avenir. Je suis inquiète parce que, de plus en plus souvent, j'en ai marre de ce métier que j'aime pourtant passionnément. Marre de voir mes collègues quitter le navire les uns après les autres parce qu'ils n'en peuvent plus, parce que travailler comme ça ce n'est plus envisageable.

Je suis Juliette, infirmière dans une clinique de province et je veux continuer à exercer mon métier. Je veux rester infirmière. Je ne veux pas faire autre chose mais je veux faire mon métier dans des conditions acceptables. Je veux pouvoir travailler dans la sérénité, non dans le stress et la rentabilité. Je veux que ma profession soit écoutée, entendue et soutenue;

Myriam, infirmière libérale et auteur du blog : « La petite infirmière dans la prairie »

"Quinze ans que je vois des infirmiers maltraités..."

Je suis Lou, j’ai quarante-cinq ans, je suis mariée et je suis mère de deux enfants. Je suis infirmière libérale depuis quinze ans. J’ai travaillé plusieurs années à l’hôpital et quand les conditions d’exercice sont devenues trop difficiles à cause du manque de personnel, les objectifs financiers prenant le pas sur la prise en charge globale et humaine du patient, j’ai pris la décision de quitter la fonction publique et de m’installer en libéral.

Je suis Lou et j’ai créé mon cabinet infirmier seule il y a quinze ans. Quinze ans de journées aux amplitudes horaires très larges pour pouvoir créer une patientèle qui rende mon activité viable. Quinze ans de travail acharné. Quinze ans de charges sociales importantes à payer et qui s’alourdissent chaque année un peu plus. Quinze ans d’exercice rigoureux, professionnel, attentif, face à des centaines de patients satisfaits et pourtant. Quinze ans à recevoir des honoraires dont le prix moyen est de cinq euros et qui n’a quasiment pas augmenté depuis trente ans. Quinze ans que je me déplace chaque jour au domicile de mes patients pour moins de trois euros. Quinze ans de travail ponctué par des périodes de vacances trop courtes. Quinze ans que je prends soin des autres et que je ne peux me permettre de m’arrêter malgré une sciatique persistante faute de protection sociale suffisante. Quinze ans que je cherche régulièrement un remplaçant ou un collaborateur que cette vie au long terme, n’effraie pas trop. Quinze ans que je vois des consœurs et des confrères qui abandonnent l’aventure du libéral usés physiquement et psychologiquement après y avoir investi une partie de leur vie et de leur énergie. Quinze ans que je vois des infirmiers maltraités, mourir dans un silence médiatique et politique scandaleux. Quinze ans de solitude. Quinze ans d’absence de considération. Quinze ans que les médias ne montrent que ce qui fait vendre et non ce qui pourrait nous permettre d’exister. Quinze ans pourtant, que je vois partout autour de moi, des infirmiers de bonne volonté montant au créneau, interpelant les médias, les pouvoirs politiques et les alerter sur l’état des lieux de notre profession.

Je suis Lou, je suis infirmière libérale, j’ai quarante-cinq ans et quinze ans après mon installation, je sais qu’il me reste encore trente ans à tenir ce rythme. Encore trente ans à tenir ce rythme. Trente ans à se lever à 5h00 du matin été comme hiver. Trente ans à travailler 15 heures par jour quasiment 7 jours sur 7. Trente ans à conduire des dizaines de kilomètres par jour de jour comme de nuit. Trente ans à monter et descendre des centaines de marches. Trente ans à porter des patients lourds, dépendants et handicapés, seule, à la seule force de mes bras. Trente ans à travailler dans l’ombre, obstinément. Après avoir passé ma vie à prendre soin des autres, qui prendra soin de moi.

Je suis Lou, je suis infirmière libérale et dans trente ans, j’aurai soixante-quinze ans. Aurais-je accès à un système de santé efficace et performant ? Dans trente ans, la pension de retraite que me reversera la CARPIMKO me permettra-t-elle de vivre dignement et d’avoir accès aux soins dont j’aurai besoin ? Dans trente ans, l’hôpital public existera-t-il encore ou aura-t-il laissé place à une médecine privée et chère ? Dans trente ans, il sera trop tard pour agir. Il est certain que je trouverai une solution pour ne pas avoir à vivre les trente prochaines années de ma vie professionnelle de cette façon. Comme beaucoup.

Je suis Lou, je suis infirmière libérale et je veux que les choses changent. C’est aujourd’hui que notre profession doit être soutenue, reconnue, et respectée. Protéger et préserver les soignants est essentiel. Simplement pour que notre système de santé reste performant et accessible à tous, aujourd’hui et pour les générations futures.

Peggy, infirmière libérale et auteur de : « les petites histoires de Mlle Peggy »

"Aujourd'hui, on meurt parfois de vous soigner"

Je m’appelle Charline, mais on s’en fiche pas mal. On s’en fiche parce qu’au final, je pourrais être ta fille, ta femme, ta pote, ta voisine ou cette autre qui tient cette aiguille plantée au pli de ton coude.

Je suis Charline et je suis infirmière. Mais ça, on s’en fiche pas mal. Je suis Charline et je suis infirmière libérale mais je pourrais être l’infirmière qui t’accueille aux urgences, celle qui soigne ton tout-petit en pédiatrie, celle qui soigne ton vieux en gériatrie. Celle qui s’occupera de toi à ton réveil de chirurgie, celle qui tiendra la main de celui qui s’endort, que tu aimes et que tu as tellement de peine à voir mourir… Je suis celle qui tient les pinces, les aiguilles et qui te touche de ses mains gantées de latex blanc en continuant de te sourire alors que tu auras perdu le tien.

Je suis infirmière, une parmi 600 000 en France et on s’en fiche pas mal… On s’en fiche parce qu’aujourd’hui, en France, quand nous, les soignants, sommes dans la rue au lieu d’arpenter les couloirs de nos services de soins, nous devons faire face au silence des médias, de l’État et des institutions qui nous embauchent. On s’en fiche, car j’ai l’impression que tout le monde se rattache à cette image de nonne qui nous colle à la couenne. A cette cornette qui aujourd’hui me gratte la tête, capable de soigner malgré tout, malgré le pire, malgré les conditions de travail qui aujourd’hui nous font mourir. Les récents suicides d’infirmiers en sont la preuve, aujourd’hui on meurt parfois de vous soigner. Mais on s’en fiche pas mal car il y aura toujours des infirmières pour remplacer celles qui se tuent, celles qui s’arrêtent, celles qui s’épuisent, pas vrai ? Enfin ça, c’est peut-être ce que tu te dis, toi qui est en train de me lire.

Mais il est une réalité que tu ne perçois peut-être pas alors que tu es couché sous les draps sentant le désinfectant de l’hôpital qui t’accueille, alors que tu râles en attendant ton tour aux urgences, alors que tu pestes devant la libérale arrivée encore une fois en retard : la santé française est malade et les soignants sont en souffrance de devoir se battre à conjuguer santé et rentabilité en vue de combler le sacro-saint trou de la sécu que l’État s’évertue à combler en y jetant les blouses blanches et la qualité de tes soins. La santé de tous est en danger, sans moyens pour mieux vous soigner et sans vous à nos côtés, ce sont vos soignants et votre santé que vous condamnez !

Charline, infirmière libérale et auteur du blog : « C’est l’infirmière ! Brèves et chroniques d’une infirmière rurale » 

A tous les membres du gouvernement : Nous sommes aujourd'hui environ 600 000 infirmiers en souffrance, 600 000 infirmiers maltraités, 600 000 infirmiers qui n'attendent que votre soutien.

Aux patients, aux familles, à tous ceux qui, un jour ou l'autre, auront besoin d'un infirmier : Nous avons plus que jamais besoin de vous pour préserver la qualité de nos soins. Nous avons besoin de vos voix pour nous faire entendre.

A toi qui lis ce manifeste : Nous avons besoin de ta signature pour enfin être entendus !

Corinne, Myriam, Peggy, Charline, quatre infirmières parmi 600 000


Source : infirmiers.com