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13 novembre : « On savait ce qu'on avait à faire et on le faisait automatiquement »

Publié le 13/11/2017
Attentats 13 novembre hôpital saint-Louis

Attentats 13 novembre hôpital saint-Louis

Le 13 novembre 2015, en cette nuit de cauchemar, la France plongeait dans la sidération. Les attentats les plus meurtriers perpétrés sur le territoire français faisaient 130 morts et 413 blessés hospitalisés, dont 99 en situation d’urgence absolue. Cette nuit-là, des soignants ont travaillé sans relâche pour tenter de sauver des victimes. S’ils ont réagi et travaillé dans l’urgence, l’événement a laissé des traces dans leurs consciences. Pour certains d'entre eux, le traumatisme est toujours là. Deux ans après, ils témoignent.


Pour certains soignants, le traumatisme des attentats reste très prégnant. Au point de les envahir encore, deux ans après.

En cette journée si particulière et douloureuse du #13Novembre mes pensées émues vont à toutes les victimes des attentats & à tous les #soignants qui dans ces moments tragiques ont un rôle primordial & difficile. Pour eux comme pour les victimes, le traumatisme reste présent. Sur Twitter, deux ans jour pour jour après les attentats, les messages de cette teneur sont nombreux. Les internautes ont une pensée émue pour les victimes des attentats, mais aussi pour les nombreux médecins, chirurgiens, infirmiers, aides-soignants qui ont œuvré cette nuit du 13 novembre 2015 et les jours qui ont suivi. Je ne saurais pas dire ce qu'elle a changé chez moi, mais le souvenir et le traumatisme de cette nuit me marqueront à jamais, c'est sûr, témoignait un infirmier aux urgences ce soir-là . Culpabilité, impuissance, choc, deux ans après, des soignants racontent leur vécu de cette sombre nuit.

Les soignants se rappellent de cette nuit tragique

On ne réfléchissait pas, on savait ce qu'on avait à faire et on le faisait automatiquement, confie à France Info, Sophie, une aide-soignante qui officiait à l'hôpital Bégin la nuit du 13 novembre 2015. L’établissement militaire de Saint-Mandé, dans le Val-de-Marne, a pris en charge plusieurs dizaines de blessés le soir de l'attaque. Pour Vanessa, une infirmière du même établissement, le plus dur [a été] de devoir annoncer aux familles si leur proche est décédé, s'il est passé au bloc, s'il est en réanimation..., se souvient-elle.

J'ai admis que j'avais le droit de souffrir, mais aussi que j'étais compétente et capable de faire mon métier. Les soignants doivent oser se soigner.

Je me disais : T'es infirmière, t'as pas à souffrir !

Pour certains soignants, le traumatisme est resté très prégnant. Au point de les envahir encore, deux ans après. C’est le cas de Victoria. Le soir du 13 novembre, cette infirmière de garde, alors âgée de 22 ans, est envoyée en première ligne, sur les lieux même des attentats, afin de prendre en charge des victimes. Sur place, elle a fait ce qu’elle a pu, mais les séquelles psychologiques restent très importantes pour la jeune femme. On donnait les soins, mais des personnes décédaient. J'ai longtemps cru que j'avais mal fait, mais ce n'était pas le cas, analyse-t-elle aujourd’hui. Mais la culpabilité, l’impuissance, l’ont rongée longtemps après le 13 novembre. Je me disais : T'es infirmière, t'as pas à souffrir ! C'est toi qui soignes, pas l'inverse. Et puis, que valait ma souffrance par rapport à celle de ceux qui ont perdu leurs proches ? Victoria, hantée par les images de l’attentat, ne se sent plus capable de monter dans un camion de garde, sa vie sociale s’effiloche…, raconte Le Parisien, qui a recueilli son témoignage.  Aujourd’hui, la jeune infirmière va mieux. Elle a accepté de se faire aider, notamment en prenant part à un essai clinique à l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière.  Alain Brunet, un spécialiste du traumatisme à l’université McGill de Montréal a mis au point une thérapie contre le syndrome post-traumatique , grâce à un bêtabloquant, le propanolol, et au travail effectué avec un psychiatre. Pendant le protocole de l'essai clinique, j'ai senti une différence physique : je me calmais, je détendais mes épaules, j'arrivais à déglutir. Et psychologique. J'ai accepté que l'on prenne soin de moi. J'ai admis que j'avais le droit de souffrir, mais aussi que j'étais compétente et capable de faire mon métier. Les soignants doivent oser se soigner, affirme aujourd’hui Vanessa, qui a fini par accepter son statut de victime, premier pas vers la guérison.

Beaucoup de soignants restent aussi très pragmatiques, comme en attestent différents témoignages. Sans doute une autre manière de faire face au traumatisme. Patrick Cogolludo, médecin, était présent au Bataclan avec son fils le soir des attentats. Cette nuit-là, il a tenté de sauver des gens qui se trouvaient autour de lui. Ma survie, je la dois à la médecine… à mon travail, explique-t-il dans un article publié le 26 janvier 2017. Le lendemain des attentats, Patrick Cogolludo s'est d’ailleurs rendu à son cabinet pour travailler comme d’habitude. Je me devais d’être là pour soigner mes patients. Il fallait que je continue, que je fasse les mêmes gestes qu’avant, sans réfléchir… La vie devait reprendre ses droits. Aujourd'hui, c'est à son métier justement, qu'il doit le salut et à son entourage. C’est mon travail,la médecine, qui m’a aidé à me sortir de cette foutue histoire : le soir du 13 novembre, je suis toujours resté dans l’action. se souvient-t-il. Aujourd'hui il l'affirme : Je serai médecin… à vie !

Le personnel soignant, habitué à intervenir sur des situations difficiles, peine parfois à exprimer sa propre souffrance.

Les soignants exposés au même risque traumatique que les victimes

Rappelons-le, les soignants sont exposés au même risque traumatique que les victimes elles-mêmes, une notion pourtant parfois délicate à enregistrer par les professionnels.  Didier Cremniter, psychiatre référent de la cellule d’urgence médico-psychologique de Paris, prend en charge des victimes rescapées des attentats mais aussi des soignants qui ont travaillé ce soir-là. En quoi est-ce indispensable ? Parce qu'ils peuvent avoir vécu des choses extrêmes et pour éviter que des images dramatiques ne les suivent trop longtemps, explique le professionnel dans les colonnes de l’HumanitéDans l’ensemble, [les soignants] sont habitués à se rendre sur des situations graves, voire exceptionnelles, où il peut être question de mort. L’importance, le nombre de blessés et de personnes décédées a été très inhabituel, le 13 novembre. De plus, du personnel a dû commencer à travailler sur les lieux alors que la situation n’était pas encore totalement sécurisée. On s’est occupé des personnes choquées en fonction de leur demande. Mais la majorité n’exprime pas tout de suite grand-chose. C’est là toute la difficulté explique le psychiatre qui l’a constaté : le personnel soignant, habitué à intervenir sur des situations difficiles, peine parfois à exprimer sa propre souffrance. Le soir du 13 novembre, beaucoup de soignants n’avaient jamais été confrontés à de telles blessures de guerre. Nous avons reçu plus de vingt blessés. C’est impressionnant pour du personnel hospitalier qui n’est pas forcement habitué à ce genre de situation, raconte par exemple Théophile Bastide, cadre infirmier aux urgences de l’hôpital Lariboisière, présent le soir du 13 novembre. Non seulement un grand nombre de victimes, mais aussi des blessures par balles. On est habitués à voir de temps en temps des blessures par arme à feu, mais à ce point-là cela a été perçu par beaucoup comme des blessures de guerre. Le recul nécessaire à leur intervention est difficile à prendre devant l'ampleur du drame. Avec aussi une projection de la part des personnels qui se retrouvaient face à des gens jeunes, parfois avec des gens qui avaient des amis au Bataclan où dans les environs. Psychologiquement, c’était compliqué pour les soignants. Deux ans après, Théophile Bastide confie penser toujours au 13 novembre 2015. Le service s’est aussi mieux préparé à ce cas de figure aujourd’hui explique le jeune homme.

Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin


Source : infirmiers.com