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GRANDS DOSSIERS

Tétine de substitution : quel risque pour l'enfant en crèche ?

Publié le 04/06/2018

Une étudiante en soins infirmiers (L1) à Saint-Etienne, a effectué un stage au sein d'une crèche en octobre 2017. L'utilisation des tétines chez les enfants – tétines personnelles – substituées parfois par les « tétines de secours » du service a suscité chez elle des interrogations précises. Elle évoque donc cette observation qui a mis à l’épreuve ses connaissances théoriques en hygiène et nous fait part de ses réflexions tout à fait pertinentes.

L'étonnement ou comment des étudiants en soins infirmiers racontent leurs premiers questionnements en stage

Formatrices et formateur dans un institut de formation en soins infirmiers Croix-Rouge à Saint-Etienne, Yamina Lefevre, Zohra Messaoudi et Christian Teyssier ont demandé à leurs étudiants de 1ere année, dans le cadre de l'unité d'enseignement Hygiène et infectiologie (UE 2.10) de réaliser une analyse de situation à partir d'un étonnement vécu lors de leur premier stage. Dans la continuité des trois premiers textes que nous avons publiés en 2015 , textes jugés parmi les plus pertinents par leurs enseignantes, puis d'une nouvelle série déployée en 2016 , suivis de nouvelles publications en 2017 , de nouveaux étonnements s'offrent à nous en 2018. Après celui de Clémence, celui de Maroua , voici le témoignage de Coline. Merci pour ce partage, il serait en effet dommage que ces riches réflexions de profanes restent anecdotiques.

Description de la situation

Cette étudiante en soins infirmiers s'interroge : pourquoi utilise-t-on une tétine de remplacement, commune à tous les enfants, dans la crèche ?

Le 25 octobre, alors que je commence ma journée de stage en crèche à 9 heures, comme tous les mercredis, je suis frappée par une situation d’hygiène qui m'interpelle. En effet, je m’installe auprès des enfants dans la section « bébé » dans laquelle se déroule mon stage. Je ne suis pas surprise de découvrir qu’il y a uniquement deux enfants, à mes côtés, dans l’endroit éveil et jeu. A cette période de la journée, en effet, les enfants sont couchés. Dormir est essentiel pour leur croissance, c’est un besoin vital. Je m’assois à leurs côtés afin de leur faire travailler la motricité. L’un des deux enfants est en train de pleurer. Je le prends dans mes bras afin de l’apaiser. Mais, je n’y parviens pas.

Je me souviens qu’au cours de mon stage, on m’a expliqué que lorsqu’un enfant pleure, il faut trouver la cause de son besoin. Celui-ci peut provenir de la faim, de la fatigue, de la température, d'une couche souillée, de l’attention ou d'un besoin d’avoir une tétine (ou sucette) ou son « doudou » afin de sentir sa mère. Sachant que l’enfant venait de se lever, ce n’était pas le manque de sommeil qui le rendait malheureux. De plus, il venait d’être changé et son front ne révélait aucune température. Le soin de maternage peut parfois être inefficace aux enfants qui veulent leur mère. Je m’apprête donc à prendre sa tétine et le réconforter.

Je vois alors l’auxiliaire puéricultrice se lever et aller dans la pharmacie de notre section.  Elle ouvre la porte et récupère dans l’étagère une tétine, orange et blanche, que je n’avais jamais vue auparavant. Elle l’apporte directement à la bouche de l’enfant dans mes bras. Cette tétine a pour effet de calmer tout de suite l’enfant qui s’arrête de pleurer. Me rappelant que l’enfant avait une tétine bleue, je m’empresse de lui demander : « mais, il n’a pas sa tétine habituelle ? ». Elle me répond que la veille le papa, en récupérant son fils, a pris la tétine de la crèche sans s’en apercevoir et a oublié de la ramener aujourd’hui. Elle m’explique par ailleurs que nous devons - d’après les chartes de l’établissement - ne jamais refuser la tétine aux jeunes enfants lorsque ceux-ci en ont besoin. La tétine de « remplacement » est une tétine d’urgence très rarement utilisée. L'auxiliaire  puéricultrice me montre que si j’en ai besoin, lors de mon stage, cette tétine se trouve dans la pharmacie et que si je l’utilise, je dois la rincer sous l’eau.

Premières interrogations

Cet enfant tient dans sa bouche une tétine. La tétine dans le développement de l’enfant correspond à un besoin affectif, comme le dit Suzanne Vallières dans la rubrique Les pros de la petite enfance : la tétine va apaiser et sécuriser l’enfant lorsqu’il pleure ou au moment de s’endormir. Toutefois, la sucette n’est pas la sienne et a été utilisée pour tous les enfants. Je me suis aperçue, au cours de mon stage, que le protocole sur le lavage des tétines de biberon est très important et axé sur l’individualité des enfants. Chaque enfant a son propre biberon, avec son nom. On ne déroge pas à la règle. Ainsi, pourquoi utilise-t-on une tétine de remplacement, commune à tous les enfants, dans la crèche ? De plus, l’auxiliaire puéricultrice a donné directement à l’enfant une tétine rangée dans la pharmacie, sans la rincer préalablement à l’eau. Un double rinçage des tétines ne serait-il pas nécessaire pour éviter toute contamination ? Quelles peuvent-être les procédures de lavage en crèche face à des objets quotidiens et essentiels à l’enfant ? Enfin, comment peut-on évaluer l’effet « bénéfice-risque » de l’enfant, sachant que la crèche à cette époque-là avait dénombré plusieurs cas de varicelle, de pieds mains bouche et de gastro entérite.  L’enfant, entre la naissance et un an, reste très fragile, en quête de défense immunitaire. Alors, doit-on laisser l’enfant pleurer, ou bien prendre un risque et lui donner l’objet, signe de réassurance pour lui?

Me rappelant que l’enfant avait une tétine bleue, je m’empresse de lui demander : "mais, il n’a pas sa tétine habituelle ?".

L'analyse de la situation

Pour commencer, donner une sucette commune n’est pas hygiénique. Elle peut contenir des microbes porteurs de maladies. C’est un objet en contact avec la salive des enfants, liquide biologique sécrété par les glandes salivaires à l’intérieur de la bouche. De nombreuses bactéries provenant de la bouche - et/ou de la nourriture ou encore des boissons - peuvent devenir pathogènes. Par exemple la salive d’une personne porteuse d’une bactérie contient la pathologie. C’est pourquoi, le fait que l’enfant prenne dans sa bouche une tétine ayant déjà servi pour un autre enfant est un moyen de contamination.

Nous avons appris à l’Ifsi que les germes d’une maladie pouvaient rester longtemps sur un support. La varicelle, par exemple, est une maladie extrêmement contagieuse susceptible d’être transmise par l’inhalation des gouttelettes de salive du sujet porteur. Dans notre situation d’hygiène, le contact direct entre « salive-salive » des enfants est donc dangereux pour l’enfant sain. On peut donc parler de chaîne de transmission si la tétine avait été donnée auparavant à un enfant porteur du virus de la varicelle.

Deuxièmement, l’auxiliaire puéricultrice m’a dit de rincer la sucette à l’eau avant de la remettre dans la pharmacie. L’eau n’est pas un désinfectant, c’est juste un moyen de rinçage. La plupart des parents et crèches lavent les tétines au lave-vaisselle, avec du produit vaisselle, comme les protocoles déjà instaurés l’exigent pour le nettoyage des tétines des biberons. Hélas cela abîme le plastique de la tétine qui peut aussi devenir dangereux pour les enfants du fait de l’inhalation du produit jusqu’aux poumons. L’infirmière m’a expliqué, par ailleurs, après interrogation de ma part, qu’il existait des pastilles effervescentes à mettre dans de l’eau, pour faire tremper les tétines. Mais ces produits ne sont pas bons pour les enfants car, à fréquence trop régulière, ils peuvent être toxiques pour le bébé qui met la sucette quotidiennement à sa bouche. Il faut savoir également que dans l’établissement où j’ai effectué mon stage, le lavage des tétines était sous la responsabilité des parents et non de la crèche. Aussi, il est possible que la tétine de remplacement, au cours de son cheminement, ne soit jamais lavée à l’aide de produit détergents comme le liquide vaisselle.

Troisièmement, la séparation de l’enfant avec sa mère est un passage difficile pour lui Il ressent régulièrement au cours de la journée un manque affectif. La sucette n’est qu’un moyen pour lui d’avoir le rapport du sein de la maman et donc de sentir le contact avec elle. Si l’enfant ne peut pas avoir ce rapport, il en découle une énorme frustration qui engendrera de la tension. Des crises de colère peuvent même survenir. La sucette, objet d’affection et de maternage est un soin de bien être de l'enfant. L’auxiliaire a donc utilisé la notion de « bénéfice-risque » afin de le soulager. Elle avait le choix entre ne pas être là pour lui, dans sa détresse et le frustrer toute une journée, ou lui faire prendre le risque de contracter une maladie infantile, potentiellement dangereuse si complication. De plus, comme il n’existe pas de traçabilité pour cette tétine de remplacement, elle ne peut même pas savoir si celle-ci a été prise récemment ou non et contient tel ou tel germe dessus. La soignante a préféré privilégier le bien être de l’enfant.

L’auxiliaire puéricultrice m’a dit de rincer la sucette à l’eau avant de la remettre dans la pharmacie. L’eau n’est pas un désinfectant, c’est juste un moyen de rinçage...

Pour conclure

Grâce à mes recherches personnelles et à mon analyse, j’ai compris que la sucette chez l’enfant était un sujet de société très discuté tant par les psychologues que par les psychiatres spécialisés sur le développement de l’enfant. Toutefois, dans les chartes écrites en crèche, nous acceptons les enfants habitués à l’utilisation de la sucette. Nous sommes donc dans l’obligation de donner la tétine si l’enfant en a besoin. Dans la situation décrite, les interrogations portent surtout sur l’hygiène de la tétine au niveau des liquides biologiques de l’enfant en bas âge et des conséquences de son utilisation sur l’éventualité de contamination dans une crèche. Je constate donc que celle-ci est forcément porteuse de maladies au sein de l’établissement et que la prévention et la précaution de l’utilisation de la sucette est absolument nécessaire dans la crèche.

En tant que futur soignante, je dois retenir qu’il faut toujours évaluer l’effet « bénéfice-risque » face à une situation d’hygiène pour ne pas porter défaut à la personne qui reçoit le soin, c’est-à-dire, privilégier le bien être du patient, son état de santé ou bien tout simplement trouver un compromis entre les deux. Dans ce cadre, la prévention pour éviter la situation que j’ai exposé, est de mettre en place une organisation bien précise, avec un tableau d’affichage des tétines vers les accès pour entrer et sortir de la section afin que les parents puissent penser à laisser les tétines. Par ailleurs, nous pouvons demander aux parents deux sucettes, au lieu d’une pour que le risque de contamination devienne nul, en cas d’oubli.

Enfin pour conclure, vu les recherches effectuées lors de mon analyse, on peut instaurer un lavage des tétines une fois par semaine, pour qu'elles soient décontaminées par un produit non nocif et plus efficace que l’eau.

Sources

Une étudiante en soins infirmiers (L1 2017/2020)Croix-Rouge Formation Rhônes-Alpes, Saint-Etienne


Source : infirmiers.com