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GRANDS DOSSIERS

Quand l'émotionnel fait oublier à l'infirmière les bonnes pratiques…

Publié le 19/07/2016

Stella, étudiante en soins infirmiers à Saint-Etienne, nous livre une analyse de situation vécue lors de son premier stage ; une situation d'hygiène observée dans un Ehpad. Alors qu'une infirmière réalise un soin sur une patiente, la situation prend une tournure urgente. Témoin de la scène, Stella va se poser une question : une situation de soin émotionnellement intense peut-elle réduire l’objectivité du soignant, l'exposant alors à des risques potentiels sur sa santé ? Toujours bien vu…

« L'étonnement » ou comment des étudiants en soins infirmiers racontent leurs premiers questionnements en stage

Formatrices dans un institut de formation en soins infirmiers Croix-Rouge à Saint-Etienne, Pascale Brisse et Zohra Messaoudi ont demandé à leurs étudiants de 1ere année, dans le cadre de l'unité d'enseignement « Hygiène et infectiologie », de réaliser une analyse de situation à partir d'un « étonnement » vécu lors de leur premier stage . Dans la continuité des trois premiers textes que nous avons publiés en 2015, textes jugés parmi les plus pertinents par leurs enseignantes, voici une nouvelle série qui sera déployée lors des prochains mois. Après les témoignages d'Emeline (Confort du patient versus protection du soignant… ) et de Thomas (Données patient et risque infectieux : un classeur en question… ), puis celui de Ghalia (Tenue or not tenue… that is the question ! ). Voici le dernier de la série, l'étonnement de Stella. Merci pour ce partage, il serait en effet dommage que ces riches réflexions de profanes restent anecdotiques.

Description de la situation

Le soin, ce travail, au-delà des aptitudes techniques, qui nécessite une forme de mobilisation affective

Lors de mon premier stage, au sein d’un EHPAD, étudiante infirmière en 1ère année, l’infirmière P. du poste du matin devait, suivant le planning de soin du jour, enlever les points de suture d’une résidente suite à la mise en place d’une PTH (prothèse totale de hanche). L’infirmière P, expérimentée, exerçait depuis 10 ans dans cet établissement. Elle me proposa de l’accompagner. Cette patiente que nous appellerons Josette1 est atteinte de troubles cognitifs et comportementaux, ce qui rend la communication compliquée. Nous nous rendons dans la chambre de Josette avec un aide-soignant, Josette est allongée dans son lit. L’infirmière P. exprime son inquiétude car la cicatrice n’est pas esthétiquement belle. En effet, l’avant-dernier point « suinte ». De plus, elle nous informe que l’ablation des points a déjà été repoussée une première fois en accord avec son médecin traitant. Enfin, Josette est très douloureuse, elle grimace et émet des gémissements plaintifs.

Avec l'aide-soignant, nous aidons Josette à se mettre sur le côté tout en la maintenant contre nous. Josette est très agitée. Afin de pratiquer ce soin post-opératoire, l’infirmière P. utilise un kit de soin stérile. Les mains gantées, elle désinfecte, suivant les quatre temps, la zone suturée, toujours en exprimant son inquiétude. A l’aide d’une pince et d’un scalpel, elle enlève les deux premiers points et décide de prendre conseil auprès de sa cadre. La cadre S., arrivée dans la chambre, confirme que la totalité des points doit être enlevée, d’autant qu’ils sont en place depuis 21 jours, ce qui lui semble long. L’infirmière P. poursuit donc le retrait des points et lorsqu’elle enlève l’avant-dernier, la cicatrice s’ouvre et un important flot de sang se met à jaillir en continu. Immédiatement, l’infirmière P. comprime la plaie avec ses mains, la cadre S lui donne un pansement américain afin d’appuyer davantage. Ce pansement américain est rapidement gorgé de sang. La cadre S. tend un second pansement américain à l’infirmière P qui, avant de s’en saisir, porte à sa bouche le gant sanguinolent de sa main gauche et l’enlève à l’aide de ses dents. La cadre S. lui dit qu’elle n’aurait pas dû faire ce geste, qu’elle-même aurait pu l’aider à enlever son gant, et lui fait remarquer qu’elle a pris des risques inutilement. L’infirmière P. lui répond que ce n’est pas bien grave en comparaison de la situation que Josette est en train de vivre.

Analyse de la situation

Ma première interrogation suite à cette situation est de savoir quels sont les risques liés à l’ingestion de sang. Ensuite, je me demande quelles peuvent être les causes et les raisons qui conduisent un soignant à prendre des risques pour sa santé :

  • est-ce l’urgence de la situation qui a pu influencer le comportement de l’infirmière P ? ;
  • y aurait-il une raison émotionnelle qui a pu pousser l’infirmière P. à prendre cette décision et à minimiser les risques de son geste ? ;
  • pour finir, je me demande pourquoi l’infirmière P. n’a pas suivi la procédure de prise en charge de l’établissement en cas d’AES ?

En me référant au cours du Docteur Martin2, les risques de contamination pour l’infirmière P sont les suivantes : hépatite B : 2 à 40%, hépatite C : 2 à 3%, VIH : 0.04 à 0.3% . Le Docteur Martin complète dans le cours suivant que la transmission de l’infection dans 90% des cas est par un contact direct surtout si présence de liquides biologiques : sang, selles, urines. En me référant de nouveau au cours, les précautions standards semblent avoir été respectées par l’infirmière P. lors de l’ablation des points :

  • en effet, sa tenue professionnelle était propre et, dans cet établissement, nous devions changer de blouse et de pantalon chaque jour ;
  • nous nous sommes lavés les mains dans l’infirmerie, en respectant les 7 étapes, juste avant de nous diriger dans la chambre de la patiente ;
  • dans la chambre, l’infirmière P., avant de mettre ses gants (nécessaire car contact avec une plaie), a frictionné ses mains avec une solution hydro-alcoolique ;
  • afin de prévenir la survenue d’infections associées aux soins (IAS), l’infirmière P. a désinfecté en quatre temps la suture pour contrôler les portes d’entrées par l’asepsie et antisepsie lors de soins techniques invasifs comme indiqué dans le chapitre sur les recommandations d'usage.

Dans les jours qui ont suivi, j'ai souhaité échanger avec l’infirmière P. sur le soin de Josette. Elle m’a informée qu’elle connaissait Josette depuis longtemps et qu’elle avait de l’affection pour elle. Elle m’a ensuite confiée qu’elle avait enlevé son gant précipitamment car elle pensait que Josette allait décéder et qu’elle voulait lui tenir la main « peau à peau » et « sans gant ». Pour Philippe Svandra, Docteur en philosophie, le soin est une activité au cœur du lien social qui favorise le sentiment de souci des autres. Le soin, pour lui, est ce travail, au-delà des aptitudes techniques, qui nécessite une forme de mobilisation affective.

Valerie Difalco, également, formatrice à l’IFSI, dans son cours3 résume On ne peut pas travailler sans émotion. Et pour finir, l’infirmière P. n’a pas tenu compte de cet accident d’exposition au sang (AES) car toujours en me référant aux cours4, celle-ci n’aurait-elle pas dû :

  • immédiatement stopper son geste ;
  • réaliser un bain de bouche antiseptique car contact avec muqueuses buccales ;
  • suivre la procédure en 1ere heure, puis à 24h et 48h. comme indiqué dans le chapitre de cours « Que faire en cas AES ? »

Le dossier médical de Josette étant connu par l’infirmière P., celle-ci n’a pas jugé nécessaire de suivre la procédure...

Pour conclure

J’ai choisi cette situation d’hygiène car elle démontre à mon sens que l’origine des dysfonctionnements en la matière n’est pas toujours le manque de moyens, le manque d’informations ou la mauvaise pratique des soignants réalisée consciemment ou inconsciemment. Cette situation pointe un paramètre auquel je n’avais pas été confrontée avant ce stage. Les soignants sont en effet animés par leurs sentiments et leurs émotions, ce qui peut les faire agir à l’encontre des bonnes procédures. Une situation intense émotionnellement pourrait-elle alors réduire l’objectivité des soignants, les exposer à des risques potentiels et rendre le contrôle difficile de certaines de leurs réactions ?

Notes

  1. Le prénom de la résidente a été modifié afin de conserver son anonymat.
  2. Dr I. Martin, Unité d’Hygiène Inter-Hospitalière, CHU Saint Etienne, Module Hygiène, Les précautions standards, Septembre 2015.
  3. Di Falco Valérie, Unité raisonnement et démarche clinique infirmière, Humanitude, décembre 2015.
  4. Dr I. Martin, Unité d’Hygiène Inter-Hospitalière, CHU Saint Etienne, Module Hygiène, Les précautions standards, Septembre 2015.

Stella ORSET – Etudiante infirmière L1   Croix-Rouge Formations - Rhône-Alpes  Saint-Etienne (42)


Source : infirmiers.com