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Protections chez les personnes âgées incontinentes : quand et comment ?

Publié le 02/11/2017
toilette hôpital mains gants

toilette hôpital mains gants

Apolline, étudiante en soins infirmiers (L1) à Saint-Etienne, a effectué un stage au sein d'une maison de retraite en octobre 2016. Lors de sa troisième semaine de stage, une situation d’hygiène concernant l'utilisation et la fréquence des protections chez les patients incontinents l’a conduite à se questionner. Apolline évoque donc cette observation qui a mis à l’épreuve ses connaissances théoriques et nous fait part de ses réflexions tout à fait pertinentes.

L'étonnement ou comment des étudiants en soins infirmiers racontent leurs premiers questionnements en stage

Formatrices dans un institut de formation en soins infirmiers Croix-Rouge à Saint-Etienne, Yamina Lefevre et Zohra Messaoudi ont demandé à leurs étudiants de 1ere année, dans le cadre de l'unité d'enseignement Hygiène et infectiologie (UE 2.10) de réaliser une analyse de situation à partir d'un étonnement vécu lors de leur premier stage. Dans la continuité des trois premiers textes que nous avons publiés en 2015 textes jugés parmi les plus pertinents par leurs enseignantes, puis d'une nouvelle série déployée en 2016 . En 2017, de nouveaux étonnements s'offrent à nous comme celui de Noémie , de Charles , de Simon , d'Audrey , d'Héloïse , de Marie , d'Andrea et maintenant d'Apolline. Merci pour ce partage, il serait en effet dommage que ces riches réflexions de profanes restent anecdotiques.



Une jeune étudiante en soins infirmiers s'interroge suite à une situation vécue en EHPAD dans laquelle les problèmes économiques sont confrontés à des problèmes de confort du patient...

Mon premier stage se déroule dans une maison de retraite, avec un accueil de jour, des séjours temporaires mais aussi permanents. L’établissement accueille des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou apparentés, des personnes recherchant un lieu de repos ou encore des personnes âgées dépendantes. La situation que j’ai choisi d’analyser et qui m’a interpellée s’est déroulée le mardi 18 octobre, lors de ma troisième semaine de stage. Elle a eu lieu lors d’une des relèves quotidiennes. Il y en a trois par jour : à 6h45, à 13h45, et à 21h15. Ces relèves mettent en présence les aides-soignantes, les infirmières, les maitresses de maison, la cadre de santé, le kinésithérapeute et la psychologue certains jours, ainsi que les stagiaires dont je faisais partie. Ces relèves sont indispensables au bon fonctionnement de l’établissement car elles permettent une bonne prise en charge des résidents. En effet, ce moment d'échanges permet de faire le bilan de ce qui a été fait et de ce qu’il reste à faire, d’assurer une traçabilité écrite et orale des soins, de contrôler le travail d’équipe et de répondre à des questionnements et des problématiques si besoin. Dans cet établissement il y a, une fois par semaine, des interventions de « formation » du personnel soignant. Elles se déroulent lors des temps de relève afin de ne pas perturber le bon fonctionnement du service. J’ai donc pu assister à différentes formations comme celles sur « la vaccination antigrippale » ou « le bon usage des coussins et matelas anti-escarres »…

Description de la situation

Ce mardi-là, lors de la relève quotidienne de 13h45 à 14h45, j’assiste à l’intervention d’une professionnelle qui travaille en collaboration avec la marque de protections « X ». Le but de cette intervenante est de nous former et de nous informer sur le bon usage des protections pour personnes incontinentes, plus particulièrement l’incontinence concernant les personnes âgées. Cette intervention se déroule dans le bureau réservé au personnel, lieu habituel des relèves. Les personnes présentent sont les aides-soignantes, les infirmières, les maitresses de maison, les stagiaires et la cadre de santé.

Mme R, l’intervenante se présente, nous informant qu’elle a travaillé 20 ans durant comme infirmière dans une maison de retraite puis a décidé de collaborer avec la société X afin d’animer des formations. Son « associé » est également présent, son rôle à lui : gérer le stock de protections des établissements et leurs commandes, faire le suivi de la fréquence d’utilisation des produits et les dysfonctionnements si besoin. Mme R commence par nous démontrer l’importance d’un choix de protections de qualité. En effet, les protections d'incontinence représentent généralement environ 1 % du budget global d'un établissement de soins. Par contre, la prise en charge de l'incontinence et de ses coûts indirects peut monter jusqu'à 15 %. Elle nous indique donc que le choix des produits peut avoir de lourdes conséquences sur les coûts et sur la santé, le bien-être des résidents et du personnel. Elle nous parle ensuite des différentes catégories de protections, classées selon leur degré d’absorption : fuites urinaires « fortes », « modérées », « légères » ou « incontinences fécales ». Les protections sont ainsi distinguées en sous-catégories selon les différents modèles et utilisationss. Il y a, par exemple, des « changes complets », « changes anatomiques » ou encore « pants ». Ces protections sont donc utilisées selon la morphologie du patient, son degré d’incontinence, ses capacités et ses pathologies. Elles sont adaptées pour assurer une protection optimale.

Le but de cette intervenante était de nous former et de nous informer sur le bon usage des protections pour personnes incontinentes, plus particulièrement l’incontinence concernant les personnes âgées.

Pour rendre plus interactive et concrète la formation, l’intervenante a apporté des échantillons de différentes protections. Pour commencer, elle prend une protection « change complet » et « l’ouvre » pour nous montrer l’intérieur et donc sa composition. En effet, elle nous explique que l’absorption se fait grâce à des microbilles et à différentes autres matières absorbantes. Elle nous fait passer cette protection « ouverte » afin que chacun puisse bien observer sa composition. Mme R. prend ensuite une autre protection dans ses échantillons et décide de nous parler du « témoin de saturation ». Elle nous indique où se situe ce témoin, c’est-à-dire vers le milieu de la protection. Il s’agit d’une bandelette bleue qui se colore en vert si la couche est saturée. Un questionnement s'en suit : lors d’un change, pensez-vous à vérifier que le témoin soit vert et indique donc que la protection est saturée avant de l’enlever ?. C’est alors qu’une aide-soignante prend la parole : personnellement je ne regarde pas souvent si le témoin est saturé, car si je procède à la toilette je change obligatoirement ma protection. D’autres aides-soignantes affirment qu’elles procédent de la même façon. L’intervenante, un peu étonnée, rappelle que les protections sont fabriquées selon des recherches précises et que tant que le témoin n’est pas vert, la protection reste efficace, sans risque d'engendrer une gêne chez le résident. Elle rajoute ensuite que si une protection n’est pas saturée et que les aides-soignantes procédent à la toilette, il faut la remettre car elle a la capacité d’absorber un litre d’urine. Cette phrase provoque de nombreuses réactions. Une infirmière mécontente se permet alors de dire à l’intervenante que ce n’est pas du tout hygiénique et que cette idée lui parait absurde. En effet une aide-soignante rajoute que cette « idée » la choque et que remettre une couche usagée n’est pas respectueux et peut entrainer de nombreuses infections.

Lors d’un change, pensez-vous à vérifier que le témoin soit vert et indique donc que la protection est saturée avant de l’enlever ?

L’intervenante n’étant pas d’accord avec les hypothèses des soignantes décide alors de faire une expérience. Elle prend une protection neuve et une bouteille d’eau d’un litre, verse petit à petit le contenu de la bouteille et attend quelques instants que l’eau soit absorbée. Ensuite, elle nous fait « toucher » la protection pour vérifier qu'elle est bien sèche et donc entièrement efficace. Nous le constatons, effectivement l’eau a bien été absorbée, mais une infirmière, pour qui l’idée de remettre une protection usagée est inconcevable, décide de s’asseoir quelques minutes sur la protection afin de voir si son pantalon va être mouillé. Après 2 à 3 minutes, lorsque l'infirmière se ève, son pantalon est mouillé et deux grosses tâches apparaissent. Ceci confirme donc à toute l’équipe soignante que cette action préconisée par l'intervenante ne va pas dans le sens du confort et du bien-être du patient, en plus des risques infectieux que peuvent entraîner cette pratique. L’intervenante trouve alors quelques arguments pour défendre son idée et aborde ensuite pour conclure son intervention la notion de « gaspillage » car, en effet, son but est aussi d’informer le personnel soignant sur le bon usage et la bonne consommation des protections.

Le questionnement face à cette situation…

La première question que je me pose lorsque l’intervenante expose son idée est : pour quelles raisons voudrait-elle absolument que l’on utilise moins de protections sachant que cette pratique peut entraîner de lourdes conséquences ? En effet, après avoir échangé avec des infirmières et des aides-soignantes, j’apprend que la vente de protections se fait par « crédit », c’est-à-dire que peu importe la quantité de protections utilisées, l’établissement payera le même prix. Il est donc logique que moins les établissements utiliseront de protections, plus cela sera rentable pour la société.

A la suite de cette formation, je me réfère à différentes sources pour analyser ces divers points de vue. En théorie, lors de mes deux  premières semaines de stage auprès des aides-soignantes, j’ai appris qu’il fallait changer les protections si elles étaient souillées et, dans un même temps, procéder à une toilette adaptée, puis mettre une protection propre. L'après-midi, par exemple, les changes s’effectuent en moyenne à 13h, 17h, 20h et plus souvent si besoin. Durant ces deux premières semaines, aucune aide-soignante n’a remis une protection usagée à un résident. Ce qui m’a le plus questionné est le problème des infections ainsi que tous les risques que peuvent engendrer cette pratique. J’effectue d’abord des recherches sur l’incontinence que l'on désigne également par le terme « fuite vésicale ». Ce sont les reins   qui filtrent les déchets du sang pour les transformer en urine. Les deux uretères font circuler l'urine des reins à la vessie où elle est stockée jusqu'à son évacuation par l'urètre. C’est le sphincter qui contrôle l’activité de l’urètre. En conditions normales, la vessie retient l'urine jusqu'à évacuation : en cas d'incontinence, une partie du système urinaire fonctionne mal. Chez la personne âgée, la perte d’élasticité de la vessie, l’augmentation du volume d’urine (= polyurie), et la diminution de la pression de fermeture de l’urètre sont des facteurs qui peuvent provoquer l'incontinence.

Le vieillissement et la dépendance physique et/ou mentale sont les principaux facteurs favorisant la survenue d'une incontinence. Elle atteint environ 10% des sujets âgés de 70 à 75 ans et un quart des sujets après 85 ans. La survenue d'une incontinence est ainsi fortement liée au déclin cognitif. En effet, 90 % des sujets ayant une démence avérée ont une incontinence urinaire permanente, associé parfois à une incontinence fécale .

Durant ces deux premières semaines, aucune aide-soignante n’avait remis une protection usagée à un résident. Quid des infections et de tous les risques que pouvait engendrer cette pratique.

Ayant plus de connaissances sur l’incontinence des personnes âgées, je décide alors de m'interroger plus précisément sur les conséquences engendrées par ce trouble. Tout d’abord, l’incontinence favorise la formation d’escarres . La peau des personnes grabataires est confrontée à divers facteurs comme la pression prolongée due à une immobilisation très longue ou encore à la fragilisation de la peau due au contact prolongé de la peau avec l’urine. Je fais alors des liens entre ces informations « générales » et l’incompréhension de l’équipe soignante face aux idées de l’intervenante. En effet, l'incontinence urinaire entretient une macération des tissus de la peau, ce qui va fortement accélérer la formation des lésions naissantes. Dans ce cas, plus la protection contenant des urines va être laissée, plus il va y avoir une macération, surtout si la protection n’est pas complétement étanche.

J’ai aussi appris que l'incontinence fécale favorise la formation des escarres. Outre la macération comme pour l'urine, la forte acidité des matières fécales est très nocive pour les cellules cutanées. L'escarre est une altération des tissus cutanés due à une pression forte et prolongée. La formation des escarres est donc favorisée par l'état de macération. Il faut alors éviter le contact prolongé de l'urine et des matières fécales avec la peau, cela implique un change régulier des protections absorbantes.

L'incontinence urinaire entretient en effet une macération des tissus de la peau, ce qui va fortement accélérer la formation des lésions naissantes.

Après m’être intéressée plus précisément aux escarres, une autre chose me questionne : les problèmes infectieux et les bactéries. Tout d’abord, je me réfère à un cours donné à l'Ifsi pour comprendre la signification du mot « infection » : c'est la pénétration, puis le développement de micro-organismes dans un être vivant. Ces micro-organismes microscopiques, invisibles à l’œil nu, sont aussi appelés « germes », «  microbes », «  agents infectieux ou pathogènes ». Si une personne souffre d’incontinence urinaire, la vidange de sa vessie n'est pas complète, ce qui favorise les infections urinaires. Chez le sujet âgé, elles sont notamment dues à la diminution du débit urinaire et du tonus musculaire des parois des voies urinaires et à la diminution de l’acidité urinaire. Sachant que cette dernière inhibe normalement la croissance des bactéries, l’augmentation du pH néglige cette inhibition, il y a donc plus de risques infectieux. En effet, en cas d’infection urinaire, des agents infectieux parviennent à « coloniser » le système urinaire. L’urine est alors contaminée. Dans plus de 80 % des infections urinaires, le germe en cause est une bactérie intestinale de type Escherichia coli. Les autres bactéries fréquemment retrouvées sont Proteus mirabilis, Staphylococcus saprophyticus... Bactéries qui ont également été évoquées lors nos cours. Je fais ainsi le lien entre ma situation d’analyse et ces informations. En effet, la reproduction des bactéries est favorisée par certains éléments comme l’humidité car elles ont besoin d’eau pour se développer. Une couche humidifiée avec des urines au pH peu acide favorise la prolifération de bactéries ce qui peut alors aussi engendrer des mycoses. Une mycose est une affection de la peau ou des muqueuses provoquée par des champignons parasites. De nombreuses zones du corps, en particulier les voies digestives, génitales, les ongles et plus généralement la peau, sont vulnérables aux mycoses. Mon intérêt se porte alors sur les mycoses génitales, car c’est avec ces zones que la protection est en contact. En effet, les milieux chauds et humides favorisent la multiplication des parasites. Le fait de procéder à une petite toilette après avoir enlevé une protection souillée  et de la remettre au patient par la suite est un manque d’hygiène car le circuit « du plus propre au plus sale » n’est pas respecté.

Pour poursuivre mon analyse, je décide de discuter de cette situation avec les soignantes. Lors de l’intervention, j’ai observé leurs réactions d’incompréhension et de mécontentement. En échangeant avec une infirmière, elle m’affirme que depuis qu’elle travaille dans cet établissement, c’est-à-dire 10 ans, elle n’ jamais entendu une chose aussi aberrante. En effet, avec son équipe, elle a toujours insisté auprès des aides-soignantes sur la façon d'empêcher au maximum les infections, et donc changer, dès le besoin, les protections souillées, saturées ou non. De plus, elle ajoute que même si elle comprend qu’il puisse y avoir des problèmes de gaspillages ou de budget, le confort des résidents doit passer avant tout. De façon plus explicite, elle prend alors l’exemple du nourrisson à qui la mère ne remet jamais une couche sale, alors pourquoi devrait-on le faire pour une personne âgée ?

Pour conclure

Pour réaliser cette analyse, je me suis appuyée sur l’observation et l’échange avec les professionnels de santé de l’établissement. Je me suis également servi de l’expérience que j’avais pu acquérir lors de mes deux premières semaines de stage auprès des aides-soignantes. J’ai pu faire des liens grâce aux cours que j’ai suivi lors de ma formation et donc rendre mes connaissances plus concrètes. Grâce à cette réflexion professionnelle, j’ai pu mesurer l’importance de l’hygiène dans la prise en charge du patient afin de favoriser son bien-être en évitant au maximum les infections. C’est donc la notion de prévention qui a été mise en avant. J’ai aussi pu éclaircir et concrétiser certains points des cours d’infectiologie vus à l’Ifsi. Enfin, j’ai pu vivre une situation dans laquelle des problèmes économiques sont confrontés à des problèmes de confort du patient ce qui est, à mon avis, une situation souvent rencontrée dans la pratique infirmière.

Apolline DIQUAL
Etudiante en soins infirmiers (L1 2016/2019)
Croix-Rouge Formation Rhônes-Alpes, Saint- Etienne.


Source : infirmiers.com