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ESI

L'usage d'un plateau de soin qui interpelle une étudiante en soins infirmiers...

Publié le 27/02/2020
plateau de soins

plateau de soins

Une étudiante en soins infirmiers (L1) à Saint-Etienne, a effectué un stage dans service de chirurgie. Une situation particulière l’interpelle : le matériel utilisé lors des soins, plus précisément le plateau, ne fait l’objet d’aucun traitement d’hygiène particulier, réutilisé pour l’ensemble des patients du service. La réflexion qui en résulte a mis à l’épreuve ses connaissances théoriques en hygiène et elle nous fait part de son étonnement et de ses réflexions.

L'étonnement ou comment des étudiants en soins infirmiers racontent leurs premiers questionnements en stage

Formatrice et formateur dans un institut de formation en soins infirmiers Croix-Rouge à Saint-Etienne, Zohra Messaoudi et Christian Teyssier ont demandé à leurs étudiants de 1ere année, dans le cadre de l'unité d'enseignement Hygiène et infectiologie (UE 2.10) de réaliser une analyse de situation à partir d'un étonnement vécu lors de leur premier stage. Dans la continuité des trois premiers textes que nous avons publiés en 2015 , textes jugés parmi les plus pertinents par leurs enseignantes, puis d'une nouvelle série déployée en 2016 , suivis de nouvelles publications en 2017 , de nouveaux étonnements s'offraient à nous en 2018 . Continuons de découvrir celles qui ont été vécues en 2019 ! Et pour sûr encore en 2020 !

Merci pour ce partage, il serait en effet dommage que ces riches réflexions de profanes restent anecdotiques.




Jeune étudiante en soins infirmiers, la situation en hygiène qui l'interpelle nourrit sa réflexion et fait progresser son savoir.

J'effectue mon stage dans un service de chirurgie où les patients sont généralement hospitalisés quelques jours. J’ai pu observer l’utilisation de différents dispositifs médicaux (à usage unique ou réutilisables) pour réaliser des actes de soins. Les dispositifs médicaux qui se trouvent notamment sur le chariot, dans le couloir, peuvent être utilisés par l’ensemble des soignants qui travaillent dans le service. Cependant, au regard des compétences et des missions, ils sont principalement utilisés par les infirmiers.

Au fil des jours, j’ai pu observer que certains matériels étaient utilisés de nombreuses fois et pour des patients différents. Si certains de ces dispositifs faisaient l’objet d’un réel nettoyage et d’une désinfection méthodique après chaque utilisation, a contrario, d’autres dispositifs étaient nettoyés et/ou désinfectés de manière beaucoup plus occasionnelle, voire très rarement. Il est ici primordial de préciser que ces dispositifs sont employés quotidiennement et ce, 24h/24 par les différents professionnels et pour tous les patients. Nous parlons ici de dispositifs réutilisables comme les plateaux de soin qui permettent au personnel soignant d’apporter dans la chambre d’un patient plusieurs éléments pour réaliser un acte de soin.

Durant mon stage, une situation m’a réellement interpellée : le nettoyage et la désinfection du matériel réutilisable dans un service de chirurgie

Une situation interpellante...

Cela est arrivé durant le poste de l’après-midi, aux alentours de dix-huit heures. C’est l’heure où les infirmières et les aides-soignantes effectuent la tournée du soir qui, avant le dîner, a pour objectif de contrôler l’état de santé du patient. Prise de constantes, mais aussi soins d'hygiène et de confort, dextro pour les patients diabétiques pour éventuellement réaliser une piqûre d’insuline. Il est essentiel de préciser que si ces patients sont opérés pour des pathologies différentes, la surveillance post-opératoire reste identique pour tous. Alors que les soins s’enchaînent, je constate que le plateau de soin ne fait pas l’objet d’un nettoyage systématique entre les différentes chambres des patients.

Durant la tournée, l’infirmière et moi-même arrivons dans la chambre de Madame Y après avoir frictionné nos mains avec une solution hydro-alcoolique. Madame Y a subi une opération il y a deux jours, ne ressent pas de douleurs, arrive à se déplacer dans sa chambre, a un bon appétit et dort bien. Au moment où nous entrons dans la chambre, elle se repose, tranquillement allongée sur son lit tout en regardant son téléphone portable. Sa sortie est prévue pour le lendemain matin. L’infirmière lui  demande comment elle se sent. Elle lui prend la tension et la température et se rappelle sur le moment que cette patiente est diabétique et qu'un dextro est nécessaire avant de lui servir son repas. Elle sort donc de la chambre et revient peu de temps après avec un plateau sur lequel elle a posé un appareil à glycémie, une bandelette réactive, un stylo piqueur et une compresse non stérile. Je constate immédiatemment que l’infirmière ne prévoit pas de porter une paire de gants à usage unique pour ce soin, ni d’apporter un collecteur à aiguilles.

A la fin de l’acte, une compresse est donnée à la patiente afin d’arrêter le saignement au bout de son majeur. L’infirmière récupère cette compresse sans gants et la dépose directement sur le plateau. Les résultats de ce contrôle sont satisfaisants, l’infirmière demande alors à une aide-soignante de servir le repas à la patiente. Notre travail terminé, nous sortons de la chambre et je constate une légère trace de sang dans le plateau. L’infirmière dépose ensuite ce matériel sur le chariot de soins du couloir pour vider son contenu. Nous terminons l’acte de soins en frictionnant à nouveau nos mains avec une solution hydro-alcoolique.

Nous poursuivons notre tour dans la chambre voisine pour enlever le cathéter de Monsieur Z, dont le départ est également prévu le lendemain matin. L’infirmière  récupère le même plateau pour y déposer une compresse non stérile et un collecteur à aiguilles. Nous informons le patient du soin que nous allons effectuer. Il s'assied sur le bord de son lit et remonte la manche de son haut de pyjama. L’infirmière enlève le ruban adhésif qui fixe le cathéter puis le retire délicatement de la main du patient. Son premier reflexe est de déposer le cathéter utilisé dans le collecteur. Ensuite, avec ses doigts (sans gants), elle prend la compresse non stérile posée sur la trace de sang qui se trouve dans le plateau. Elle comprime légèrement le point de ponction et fixe la compresse avec un bout de sparadrap. J'avais pour ma part comme mission de discuter avec le patient afin "d’humaniser l’acte de soin". Nous sortons ensuite de la chambre de Monsieur Z pour déposer le collecteur sur le chariot et nous frictionner les mains d’une solution hydro-alcoolique. Cette situation se répète durant tout le temps de la tournée et pour toutes les chambres.

Le matériel utilisé, plus précisément le plateau, ne fait l’objet d’aucun traitement d’hygiène particulier et est  utilisé pour l’ensemble des patients du service. A la fin de la tournée, l’infirmière me demande simplement de le nettoyer d'un simple petit coup de spray désinfectant et d'un bout de papier.

Quelle analyse de la situation ?

Je me pose donc la question suivante : dans quelle mesure l’utilisation d’un matériel réutilisable, qui n’est pas nettoyé ou désinfecté, peut-il représenter un risque pour le patient et le soignant ? Mon analyse a débuté par une recherche des causes d’un tel comportement pour aboutir, dans une seconde partie, à une recherche des conséquences que cela peut engendrer.

Dans un premier temps, j’ai décidé de comprendre l’origine de cet agissement et chercher des raisons valables qui justifient l’utilisation d’un matériel non désinfecté. A la fin de notre service, j’ai donc interrogé l’infirmière sur ses pratiques. Elle m’a répondu qu’elle avait estimé qu'il n'y avait aucun danger tant pour les patients, que pour le personnel. Elle m’a expliqué qu’elle avait pleinement conscience de ses actes mais, qu'au regard des patients et de leurs pathologies, il n’existait pas un risque suffisant pour justifier le nettoyage et la désinfection du plateau. Pour compléter son argumentation, elle m’a précisé qu’elle ne disposait pas d’un temps suffisant pour nettoyer et désinfecter le matériel à chaque utilisation. Elle a rajouté qu’elle ne disposait pas non plus de plateaux suffisants pour en changer à chaque patient. Nous pouvons mettre en évidence l’importance de la conscience professionnelle dont doit disposer le personnel soignant dans un tel service.

L’ensemble de ces réponses m’a donc permis de me concentrer sur les risques encourus par les patients et le personnel après l’utilisation d’un matériel qui n’est pas nettoyé et désinfecté. En effet, dans le cadre de l’Unité d’Enseignement "Infectiologie et Hygiène" durant le semestre 1 de la première année en Ifsi, notre formatrice a présenté aux étudiants les différentes "précautions standards" pour les dispositifs médicaux. Ces mesures ont pour objet de traiter, de manière adaptée, les matériels médicaux par le biais d’un nettoyage, d’une désinfection et d’une stérilisation pour réduire le risque d’une transmission croisée des micro-organismes. Ces précautions ont donc pour objectif d’assurer une sécurité pour les patients et le personnel soignant du risque infectieux et des accidents d’exposition au sang (AES) .

Dans cette situation, le plateau marqué d’une trace de sang aurait dû être complétement immergé dans un bac de pré-désinfection immédiatement après son utilisation après du Madame Y. Il est primordial que, dans une telle situation, le matériel utilisé soit toujours nettoyé ou désinfecté. En amont, l’infirmier doit également vérifier que le matériel a été correctement désinfecté avant son utilisation.

L'analyse de cette situation montre que les précautions standards ont été plus ou moins respectées. Le respect de ces mesures a été observé par le port, par l’infirmière, d’une tenue propre, de l’absence de bijoux ou de vernis sur les ongles, d’une hygiène des mains. Cependant, l’utilisation de gants a usage unique n’a pas été systématique. Ainsi, l’absence de ce matériel ainsi que le non-traitement du plateau pour chaque patient augmentent le risque pour l’infirmière d’un accident d’exposition au sang (AES).

L'enseignement théorique nous l'a montré, l’un des principaux risques pour le personnel soignant, est plus précisément l’infirmier, est l’accident d’exposition au sang. Ce type d’accident arrive le plus souvent lors de la manipulation du matériel médical et expose le soignant au risque d’être contaminé par le VIH ou l’hépatite B ou C. Nous pouvons constater que ce risque concerne plusieurs acteurs. Tout d’abord, un risque de contamination entre le patient et le soignant. Dans cette situation, il est cependant limité car il n’y a pas eu d’effraction cutanée et la peau de l’infirmière n’était pas lésée par une plaie ou une dermatose. D’un autre côté, le risque devient réel pour l’ensemble des patients si l’utilisation d’un matériel souillé, ni nettoyé, ni désinfecté. En effet, la présence d’une petite trace de sang sur un plateau utilisé pour plusieurs patients augmente la possibilité d’une transmission croisée de micro-organismes.  

Le plateau marqué d’une trace de sang, aurait dû être complétement immergé dans un bac de pré-désinfection immédiatement après son utilisation après du Madame Y.

En conclusion

J’ai décidé de choisir cette situation comme base de mon analyse car elle montre un réel décalage entre des procédures certifiées et la pratique du personnel soignant. En effet, le professionnel de santé a une obligation de respecter les règles nécessaires au bon fonctionnement du service, assurer la protection des patients et de son équipe. Ce devoir est d’autant plus important dans le domaine de l’hygiène et de la santé. Le personnel soignant, plus particulièrement les infirmiers, ont la responsabilité d'un bon usage des dispositifs médicaux et autres matériels de soin : une responsabilité envers eux-mêmes et les patients. Cependant, il faut être conscient que les infirmiers agissent parfois seuls, disposent d’un grand nombre de patients, subissent des pressions diverses, manquent souvent de temps et parfois de matériel. Je constate ici que l’infirmière a favorisé la rapidité des actes de soin sans prendre conscience des risques qu’elle encourait, ni ceux qu'elle faisait courir aux différents patients.

Dans le domaine du soin, il faut maintenir l'équilibre entre devoir répondre au plus grand nombre de besoins et respecter des valeurs professionnelles pour éviter de mettre en danger soi-même et autrui. 


ESI L1 (2018/2021)Croix-Rouge Formation Rhônes-Alpes, Saint-Etienne


Source : infirmiers.com