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« Il a fallu l'immobiliser… »

Publié le 18/11/2016
contention lit psychiatrie

contention lit psychiatrie

« Le stage de mon semestre 5 se déroule en santé mentale, dans une clinique qui accueille des patients souffrant de troubles anxieux et de dépression. Pas de la « grosse psychiatrie », mais assez pour vous faire vivre des situations qui vous poussent à la réflexion. Et cette situation, de nombreux soignants l'ont vécue et je pense qu'elle interpelle à chaque fois ». Etudiant en soins infirmier et blogueur Monsieur Piqûre Futur infirmier, il nous livre son témoigne.

Contenir avec humanité… c'est possible

Je suis d'après-midi, on approche les 20h30 et le poste a été mouvementé. On profite que les patients soient au self pour, nous aussi, nous retrouver autour d'un dîner - dit comme ça, on se croirait au restau alors qu'en fait, on se retrouve autour de deux sandwichs et d'un paquet de chips. On avait ouïe dire que les collègues du pavillon d'en face avaient été eux aussi débordés. L'une des infirmières du service leur passe un coup de téléphone pour savoir s'ils avaient besoin de nous. La collègue répond qu'il se peut qu'elle nous recontacte très prochainement parce qu'en effet, le boulot ne manque pas. On raccroche, ça sonne: Il faut venir immédiatement, on a une patiente qui s'agite, vite ! L'infirmière avec qui je suis en poste me demande de venir avec elle et nous voilà partis à toute vitesse à travers les couloirs et les extérieurs en direction de la chambre de la patiente.

On entre dans la chambre de Mme R., la cinquantaine, admise il y a de nombreux mois dans la clinique et que j'ai eu l'occasion de rencontrer lors d'un atelier dédiée aux jeux de société. J'avais le contact facile avec elle, elle discutait facilement mais présentait une personnalité très, très histrionique, simulant souvent des malaises dans les lieux de collectivité. Ce soir-là, elle était agitée au possible, dans un coin de sa chambre. Elle hurlait à la mort, pleurait et évoquait des idées suicidaires. L'équipe essayait de la rassurer et de la calmer depuis de nombreuses minutes mais rien n'y faisait, l'agitation montait en flèche jusqu'à devenir dangereuse : Madame s'arrachait littéralement les cheveux, par poignées.

Le médecin d'astreinte était sur place et il avait prescrit un anxiolytique en intramusculaire, certes à un dosage moindre, mais de quoi essayer de soulager Mme R. qui refusait de coopérer. Après de nouvelles nombreuses minutes de négociation à tenter de la raisonner, la situation n'évoluait pas dans le bon sens, voire empirait. Mme se mordait maintenant les poignets jusqu'au sang. La décision était prise : il fallait utiliser les contentions pour éviter que Mme ne se fasse plus de mal. Problème : les liens se trouvent à la pharmacie qui se trouve à l'autre bout de la clinique, à un bon cinq minutes de marche, à l'autre bout du parc. Nous décidons donc de nous mettre à plusieurs pour immobiliser Madame sur le ventre, sur son lit.

La situation est violente : je suis soignant et je dois utiliser la force. Il y a quelque chose qui sonne faux, un truc qui n'est pas dans l'ordre des choses.

Je voyais bien que personne n'était à l'aise, que personne n'avait envie de faire ça, mais que c'était la seule solution. L'une des infirmières immobilise la patiente en la maintenant au niveau de ses omoplates. Quant à moi, je dois immobiliser le bas de son corps en maintenant fermement ses jambes. La situation est violente : je suis soignant et je dois utiliser la force. Il y a quelque chose qui sonne faux, un truc qui n'est pas dans l'ordre des choses. Plusieurs fois l'équipe me lance des regards et me demande si ça va, je répond que oui : dans le feu de l'action, je suis concentré à ma tâche. Les infirmières, les plus humaines que j'ai pu rencontrer sur mes terrains de stage, rassurent la patiente, s'excusent, lui disent que l'on fait ça pour son bien, pour éviter qu'elle ne se fasse du mal, ont des gestes doux envers elle, renforçant l'ambivalence de la situation.

Les pompiers finissent par arriver, 45 minutes après le début de l'immobilisation. La patiente s'est calmée, elle finit par coopérer et s'en va avec les pompiers, dans un secteur fermée qui sera plus adaptée à son état de santé. On sort de la chambre. J'ai fini depuis trente minutes mais je ne me sens pas vraiment capable de reprendre la route vers mon domicile, pas tout de suite. Je décide de rester un peu dans le service. La pression redescend, et le contre-coup pointe le bout de son nez.

C'est pas la première fois que je suis confronté à la contention, mais je crois que c'est un acte que j'aurais toujours du mal à mettre en place. Et pourtant, je suis conscient que c'est dans l'intérêt du patient et si j'avais été infirmier diplômé en poste, j'aurais fait pareil, mais y'a quelque chose qui me perturbera toujours, quelque chose d'illogique dans mon esprit.

J'admire les infirmières présentes ce jour-là, elles ont su rendre tout cela moins violent, elles ont été d'une si grande humanité envers la patiente et j'ai bien compris qu'on avait tous agit sans gaité de coeur. Elles m'ont aussi permis de débriefer, de verbaliser, elles ont compris mon ressenti…

Cet article est paru sur le blog Monsieur Piqûre Futur infirmier le 8 novembre 2016 que nous remercions de ce partage.

https://twitter.com/monsieurpiqure


Source : infirmiers.com