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ETHIQUE

De l'art de manier la "confiance inquiète"...

Publié le 23/01/2015
Tag ange et démon

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Comment aurions-nous soigné un terroriste s’il était arrivé blessé aux urgences ? Sommes-nous capable de soigner sans discrimination ? Sans nous faire déborder par l’opinion que nous nous faisons de l’autre ? Un soignant ne peut se satisfaire d’une pensée médiocre ou d’une opinion populiste. Un soignant doit mériter sa majuscule en "visant une vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes" (1). Bon, mais quand on a dit ça on fait quoi….

L'auteur, en tant que soignant et en tant qu’humain, ne peut se résoudre à penser autrui simplement comme un ange ou un démon. Il nous engage à en faire de même...

Difficile de faire fi de nos émotions dans des situations exceptionnelles comme celles qui ont ébranlé le monde ces derniers jours. Ce statut de soignant demande à chacun d’entre nous de nous déplier et de donner le meilleur de nous-même par le seul fait qu’autrui se présente devant nous comme un être vulnérable.  Oui, mais si ce patient est un salaud… vulnérable, certes, mais un vrai salaud ? Ce sont ces épreuves qui nous obligent à donner le meilleur de nous-même, à travailler sur nous pour que l’excellence professionnelle transcende nos faiblesses humaines. La réflexion et la recherche d’universalité doit viser l’humanité plus que l’homme. C’est ce qu’Emmanuel Kant nous propose pour nous détacher du cas particulier et viser une relation supérieure, morale, un soin excellent à prodiguer à mon frère comme à celui qui l’a blessé. Il est reproché à Kant de s’éloigner de la vraie vie en ne visant que l’idéal, néanmoins il nous tire vers le haut et je crois sincèrement qu’il vaut mieux lever le nez pour viser les étoiles que de se satisfaire des horizons bouchés du moindre mal.

Ce sont ces épreuves qui nous obligent à donner le meilleur de nous-même, à travailler sur nous pour que l’excellence professionnelle transcende nos faiblesses humaines.

Farid Benyettou, ange ou démon ?

Je suis consterné par la difficulté que nous avons aujourd’hui à penser autrui, par la facilité que nous avons à l’adorer ou à l’éliminer. Serait-il nécessaire aujourd’hui de ranger nos vieux repères et reconsidérer l’altérité ? Jankélévitch et Ricœur nous avaient pourtant invités à penser l’autre en même temps comme "même et différent". Avant eux, Robert Louis Stevenson avait évoqué "l’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde." Je ne peux me résoudre, en tant que soignant et en tant qu’humain, à penser autrui simplement comme un ange ou un démon. Se satisfaire de regarder autrui uniquement comme un alter ego parce qu’il nous est sympathique est insuffisant de la même manière que de le regarder comme un alien parce qu’il nous semble menaçant. C’est en pensant les choses uniquement d’une certaine façon que les certitudes s’enracinent aux tréfonds des âmes en forgeant les opinions. Je parle ici de l’opinion facile, celle qui racle le fond et réagit au mal par le mal, c’est l’opinion du vulgum pecus. Il s’agit d’une opinion low cost que notre société vend de mieux en mieux grâce aux émissions TV lobotomisantes où règnent le vide et la lacune. Le livre disparaît au profit de l’image rapide et du prêt-à-penser. L’esprit critique, la logique et la rhétorique ne sont que trop rarement évoqués, le vivre-ensemble et l’amour ne sont toujours pas des concepts enseignés ni dans les lycées, ni dans les formations initiales. Alors, le mal a toute latitude pour s’infiltrer et faire œuvre de normalité. Les pressions sociétales nourrissent la peur, la peur enfante des mécanismes de défense primaires et s’exprime en termes de violence. L’individualisation, l’isolement et le manque de culture font le lit de la récupération sectaire. Les réseaux intégristes savent valoriser la vulnérabilité des anonymes acculturés en leur mettant entre les mains des armes, des filles contraintes et une promesse de reconnaissance divine immédiate.

En ce qui nous concerne, nous sommes rompus à l’exercice d’une pensée dualiste depuis plusieurs millénaires et cela nous empêche de penser les contraires ensemble : une chose est vraie ou une chose est fausse, elle ne peut pas être vraie et fausse en même temps (principe de non contradiction d’Aristote). Farid Benyettou est une bonne ou une mauvaise personne, il ne peut pas être une bonne et une mauvaise personne en même temps… Depuis 2500 ans, nous sommes incapables d’imaginer que les choses contraires puissent s’assembler pour constituer un tout. Pourtant, il suffit de se regarder dans le miroir, sincèrement, sans fard, et contempler ce curieux mélange de danger et de sécurité qui ne dépend que de nous. Le libre arbitre est bien ce qui nous encombre parce qu’il nous rend responsable de nos décisions. Farid Benyettou a un passé, il a aussi un avenir et il en est le maître d’œuvre. Certains l’accueillent chaleureusement quand d’autres le rejettent sans scrupule. Il a choisi une profession qui s’organise autour du souci de l’autre. A lui de nous montrer que l’instruction et la culture soignante permettent de sortir de l’obscurantisme et que le Soin est une lumière en soi. A nous de promouvoir ces lumières et que jamais elles ne s’éteignent.

Farid Benyettou a un passé, il a aussi un avenir et il en est le maître d’œuvre.

Se mobiliser autour des nouvelles formes d’obscurantisme

Comment définir ces situations quand un soignant met son libre arbitre au service d’une idéologie médiocre en tuant les patients qu’il pense devoir mourir ? La menace est ici voilée par la figure du soignant dont on ne se méfie pas. Ces derniers mois une infirmière libérale italienne tue 37 patients pour la seule raison qu’elle les trouvait ennuyeux… Trop de procès en France racontent des histoires sordides d’infirmières enfermées dans une forme d’obscurantisme du fait de leur isolement et des réponses médiocres qu’elles ont donné à des situations de vulnérabilité. Nous devons rester vigilants sans pour autant développer une paranoïa contre nos confrères. Une « confiance inquiète » semble être judicieuse et professionnelle en rassemblant par exemple les soignants autour d’analyses de pratiques et d’EPP. Contre l’isolement des professionnels, la formation, la nécessaire subversion de la réflexion éthique et tout ce qui peut promouvoir une culture professionnelle doit être mis à disposition des soignants comme autant d’outils.

Contre l’obscurité, la Lumière !

Rappelons-nous qu’il convient de réinterroger les certitudes encore et toujours, c’est une démarche éthique qui garantit un conflit sain, démocratique et dont les seules armes acceptables sont l’encre et la plume…

Rappelons-nous de ceci : Jean Calas était marchand d’étoffe à Toulouse, en 1762, quand il fut accusé à tort de l’assassinat de son fils. Il fut condamné à la roue, à la question, étranglé puis finalement brûlé. C’est Voltaire qui inventera le journalisme d’investigation et qui réussira à faire réviser le procès et à réhabiliter la famille Calas. Jean Calas était innocent…

Des arguments philosophiques, des mots et des idées ont été plus fort que la peur et que la haine. Contre l’obscurantisme c’est la lumière de Voltaire qui éclaira la voie du juste. Il évoquait même que le ridicule est une puissante barrière contre les extravagances de tous les sectaires pour un peu, il aurait fait quelques dessins pour se moquer…

Note

  1. Art. 25. - L’infirmier ou l’infirmière doit dispenser ses soins à toute personne avec la même conscience quels que soient les sentiments qu’il peut éprouver à son égard et quels que soient l’origine de cette personne, son sexe, son âge, son appartenance ou non-appartenance à une ethnie, à une nation ou à une religion déterminée, ses mœurs, sa situation de famille, sa maladie ou son handicap et sa réputation.

Christophe PACIFIC  Cadre supérieur de santéDocteur en philosophiechristophe.pacific@orange.fr


Source : infirmiers.com