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COURS IFSI

La relation soignant-soigné : le « non-jugement »

Publié le 16/08/2023
Marteau et balance de la justice

Marteau et balance de la justice

Christine Paillard, documentaliste et lexicographe en sciences infirmières, propose d'analyser un concept et son application dans le champ infirmier, à partir de son Dictionnaire des concepts en soins infirmiers, utile pour les Analyses de pratiques professionnelles et pour le Mémoire de fin d’études et l’exercice de la profession soignante.


Comment vient-on au concept du non-jugement ?

Les étudiants infirmiers décrivent des situations de soins et développent des concepts pour mener ensuite une enquête permettant d’analyser l’écart entre la théorie et la pratique. Au fil de leur cheminement, parfois, intervient le jugement. Ceci pour illustrer une situation leur semblant inacceptable. Juger des pairs pour des actes incompris est une réaction logique, c’est même une étape nécessaire avec son dialogue intérieur, afin d'élaborer le mémoire de fin d’études. Celui-ci contribue à construire son identité professionnelle. Ce type de jugement peut être caractérisé par le jugement temporel. Pour D. Zakay1, le traitement de l'information temporelle des durées relativement courtes est une fonction essentielle influençant de nombreux aspects de nos comportements quotidiens. D’autre part, les aspects contextuels de la situation dans laquelle un jugement temporel est requis déterminent si le jugement sera prospectif ou rétrospectif.

 

Le tribunal intérieur à l’épreuve des valeurs

L’action de juger relève naturellement du tribunal, de l’accusation. Une affaire est jugée en public, en secret, au pénal, en dernier ressort. Ce n’est pas une mince affaire. Le jugement ne fait pas toujours appel, il peut être définitif, rédhibitoire, solennel, éclairé, sans pitié, exigeant, silencieux, bruyant, rarement emprunt de douceur. Un esprit vif s'emporte aux jugements de valeurs sans détour. Le jugement relève donc d’une compétence spéciale, d’une juridiction impartiale. Notre tribunal intérieur est-il le reflet de tant de sévérité ? La justice, l’équité motive-t-elle un jugement éclairé et constructif ?  Le jugement, dérivé du verbe juger, est attesté en 1100 comme une sentence prononcée par un tribunal ou un juge, puis, comme un jugement par lequel Dieu jugera les vivants et les morts, à la fin du monde2. Cela devient une décision mentale en 1637 décision mentale par laquelle le contenu d'une assertion est posé à titre de vérité; cette assertion elle-même3. Cit. On oublie qu'un jugement de valeur n'a de raison d'être que comme la préparation d'un acte et de sens seulement par rapport à un système de références morales, délibérément accepté4

 

L’approche humaniste en soins infirmiers

Pour Carl Rogers (développement de la personne), le non jugement est une  démarche intellectuelle qui induit l’expression d’opinions forgées sur des valeurs personnelles dominantes, ce qui peut être un obstacle à la progression de l’autre dans une relation d'aide. Celle-ci doit s'établir sans jugement de valeur, dans un climat de confiance pour réduire cette crainte naturelle d’être jugé par une personne représentante de l’autorité. Pour aider la personne à se libérer, le soignant peut verbaliser, par exemple des  valeurs  positives. Pour Pierre Philippot, « cette attitude de non-jugement implique le fait d’accueillir toutes les facettes de l’expérience présente, qu’elles semblent a priori agréables ou désagréables, et de les explorer avec la même curiosité bienveillante. En effet, notre tendance naturelle est de rechercher les aspects plaisants de nos expériences et de rejeter, minimiser ou de nier les aspects déplaisants » (5) . D’après Margot Phaneuf (6), « le non-jugement est une qualité de l’écoute propre à la relation d’aide qui conduit la soignante à se laisser pénétrer, sans préjugé, ni réserve, par ce qu'exprime l'aidé, par son comportement verbal et non verbal et ce, sans évaluer la valeur morale de ses paroles et de ses gestes. Cette attitude repose sur l'acceptation inconditionnelle du client, sur le respect de sa dignité et sur une compréhension profonde de ce qu’il est et ce qu’il vit.

Dans le domaine de la petite enfance, le non- jugement est aussi une attitude fondée sur des compétences relationnelles particulières, comme la juste distance dans les situations professionnelles. Pour Christine Schuhl7, l’objectivité, dans la lecture des faits, la distance par rapport à ses propres émotions, et l’acceptation de la différence possible de l’autre dans ce qu’il est, dans ce qu’il vit ou ressent, construit un jugement pertinent et riche de propositions professionnelles.

Ici, le non jugement ne relève pas du jugement clinique. De même, le non-jugement ne justifie pas le silence sur des attitudes maltraitantes. Ne pas juger, dans la relation d‘aide , un outil de communication non violente, un respect de l’autre, une expression de l’humanitude), c’est-à-dire de souci de l’humain pour l’humain. Le non jugement caractérise la relation soignant-soigné .

Pour aller plus loin: Albert Ciccone, Catherine Bonnefoy et al. La violence dans le soin. Paris: Dunod. 2014

Notes

  1. Zakay. D. Attention et jugement temporel. Psychologie française. Volume 50, numéro 1. mars 2005.pages 65-79
  2. St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 1565
  3. Descartes, Discours de la Méthode, seconde partie ds Œuvres, éd. F. Alquié, t. 1, p. 586
  4. M. Bloch, Apologie. pour l’histoire,1944, p. 70.
  5. Philippot Pierre. Chapitre 7. Les interventions basées sur l'acceptation des émotions IN Émotion et psychothérapie. Wavre, Mardaga.  PSY-Émotion, intervention, santé.  2011, p. 213-251.
  6. La relation soignant-soigné - Rencontre et accompagnement. Canada: Chenelière Education. 2011
  7. Christine Schuhl. Les mots des professionnelles de la petite enfance: Le jugement. Métiers de la petite enfance. Vol 16, N° 165  - octobre 2010. p. 7

Christine Paillard
Docteure en sciences du langage, diplômée en ingénierie pédagogique et licenciée en sciences de l’information et de la communication, elle accompagne les étudiant.es infirmier.ières (Ifsi, IPA) à l'acquisition de compétences informationnelles, linguistiques pour remobiliser une démarche documentaire  scientifique.


Source : infirmiers.com