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COURS IFSI

La relation soignant-soigné : le deuil interdit

Publié le 15/08/2023

Christine Paillard, documentaliste et lexicographe en sciences infirmières, propose d'analyser un concept et son application dans le champ infirmier, à partir de son Dictionnaire des concepts en soins infirmiers, utile pour les Analyses de pratiques professionnelles et pour le Mémoire de fin d’études et l’exercice de la profession soignante.

La définition du deuil implique une réponse soignante adaptée selon les personnes, les situations de vie. Il s’agit, pour le soignant, de cheminer avec empathie avec l’autre dans cette épreuve du deuil caractérisée par les causes du décès de l’être aimé. Les soignant.es appliquent des compétences spécifiques relevant des soins relationnels pour faciliter le changement, les incertitudes, en apprivoisant les représentations des uns et des autres pour favoriser la lente progression d’une nouvelle organisation de vie. Le deuil interdit, ou empêché, est nommé  ainsi depuis les décès causé dans le contexte de la pandémie liée au Covid 19. Les soignants n’ont pas pu accompagner les familles dans les différentes phases….


Un contexte sanitaire dérangeant

Ce qui accompagne le deuil, c’est la souffrance, la peine, le chagrin, la dépression et, bien souvent, la culpabilité. C’est une sensation douloureuse et diffuse qui peut parfois se localiser mais c’est tout autant une disposition affective mal définie dans le champ de la souffrance. Le deuil est un lent processus de quête de sens, de reprise de fonctions socio-professionnelles. Il comporte des étapes qui font partie d’un processus post-traumatique. Les soignant.e.s accompagnent généralement les familles lors de la prise en charge d’une personne mourantes. Mais lors des dernières périodes de confinement, cela n’a pas été le cas ! Capucine Lefèvre, diplômée en 2023 est rédactrice de ce concept. Elle a vécu difficilement des situations de stages lors du confinement, en 2020. Elle explique comment les interdits sanitaires ont été mis en place...


Lors de la pandémie liée au virus Sars*-CoV-2 (*Syndrome Respiratoire Aigu Sévère). Dans divers services hospitaliers (soins palliatifs, réanimation…), dans certains Ehpad ou à domicile, des personnes sont décédées sans leur proche. Il y a eu 65 415 décès en 2021. (Depuis août 2023, nous atteignons même la barre des 168 000…). Les personnes soignées, les résident.e.s ont été privés de l’accompagnement de leur famille. Le droit d’être présent à une période importante de la vie d’une personne a été retiré. Comme le souligne Marie de Hennezel (1) « la crise de la Covid 19 a généré des souffrances dont nous ne mesurons pas encore les conséquences […] des décisions sanitaires, censées protéger le vivant, ont en fait généré de l’inhumanité et de l’indignité ». Cela a bouleversé le processus habituel de deuil des proches. Celui-ci est caractérisé par le déni, la colère, le marchandage, la dépression, l'acceptation. Cette complexité sociale induit une séparation violente, un état de stupeur, d’anxiété et de frustration. Dans un tel contexte, les proches n’ont plus l’occasion d’accompagner les personnes aimées jusqu’à la fin de leur vie. La confrontation à la mort est distancielle (l’annonce faite par téléphone) virtuelle (en totale absence d’existence réelle). Les familles sont dépossédées du temps consacré à la mort, des rituels liés aux croyances fondant le caractère humain des individus. Elles se sentent mises à l’écart, retranchées dans une solitude silencieuse et triste, sans la possibilité de revoir une toute dernière fois la personne défunte. La présence intime de la famille avec l’être aimé reste un levier incontournable pour favoriser le processus de deuil. Cette interruption relationnelle, spirituelle, psychosociale n’est pas dans l’ordre des choses. Cela engendre un traumatisme inattendu. Cette perte d’intimité est perturbante et vise aussi la perte de confiance (de soi, de l’institution et de la personne mourante).

La distanciation physique et psychique accentue le sentiment de culpabilité des proches

Comme le souligne Julie Rolling et Anna Barresi (2)  «Lorsqu’il s’agit d’un virus, cette question peut venir exacerber la culpabilité de l’endeuillé, compliquant ainsi le travail d’élaboration de la perte et de la culpabilité inhérente à cette dernière. S’ajoutent à ce sentiment de responsabilité les restrictions d’ordre sanitaire et l’impossibilité d’accompagner la personne aimée dans les derniers instants qui peuvent constituer des moments propices à de dernières confidences et des paroles « déculpabilisantes » pouvant aider les proches dans leur cheminement… ». De l’intime au collectif, la perte de repères a privé les familles de leur parole résiliente. Dans l’article Deuil interdit (3), les propos recueillis mettent l’accent sur cet aspect social «En général, lors de catastrophes ou d’attentats qui ébranlent le vivre-ensemble et nos repères, la société enclenche dès le départ des réponses collectives en sortant dans la rue, en allumant des bougies, en déposant des fleurs, en construisant des récits autour de la situation et des morts, en se constituant en collectifs de victimes, de proches... Tout cela a une dimension cathartique. En plus, dans ces moment-là, on se prend souvent dans les bras pour se réconforter, là où aujourd’hui, les gens sont à distance et les familles renvoyées à leur isolement. Face au désarroi, cela peut provoquer des situations délicates… ». Les interdictions et restrictions sanitaires caractérisent un deuil traumatique.

Ce contexte vise à déshumaniser la prise en soins

Les rites funéraires deviennent impossibles. Le travail de deuil doit prendre en compte l’activation des mécanismes de stress dans la phase de sidération. Ordinairement, les soignants savent apprécier l’influence de l’entourage (4) en situation de fin de vie pour mettre en place des rendez-vous, débuter l’accompagnement si une absence rend la présence impossible (selon les circonstances). En période pandémique, les familles pourraient bénéficier de ce processus avec un accompagnement psychologique spécifique. Malgré les contraintes sanitaires, le contact relationnel pourrait être privilégié, autorisé. Rencontrer les équipes soignantes dans une phase terminale influence l’entourage qui s’habitue à la perte physique d’une personne qui a compté dans sa vie. La nature des soins, selon Florence Nightingale contribue à « s’efforcer de mettre le malade dans les meilleures conditions pour permettre à la nature d’agir (5) ». En situation de crise sanitaire, les lois semblent converger vers l’expression d’une indifférence empêchant les infirmier.ière.s de se préoccuper de l’adaptation des personnes endeuillées.


Capucine Lefèvre, infirmière


Notes
1.    DE HENNEZEL, Marie. L’adieu interdit. Paris : Plon. 2020
2.    ROLLING Julie, BARRESI Anna, « Quel(s) deuil(s) en période de pandémie liée à la Covid-19 ? Du deuil traumatique au deuil de nos représentations… », Jusqu’à la mort accompagner la vie, 2021/1 (N° 144), p. 57-68.
3.    CLAVANDIER, Gaëlle et LEHOUX, Valérie. Deuil interdit. Autrement. Télérama. 3665. 08/04/20. pp. 31-33. Disponible sur Hypotheses.org
4.    De BROCA, Alain. Deuils et endeuillés. Masson. 4 ed. 2010. Chap.7.
5.    SAUNDERS Cicely, Chapitre 2 - Nature du soin infirmier, L'infirmier(e) et les soins palliatifs. Elsevier-Masson, 6e éd. 2021, Pages 33-45

Pour aller plus loin : Dictionnaire des concepts en sciences infirmières : Vocabulaire professionnel de la relation soignant-soigné. Gournay-sur-Marne : Setes édition. 2023. 6e éd.

 


Source : infirmiers.com