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ESI

Anciens étudiants en soins infirmiers, ils témoignent pour mieux "armer" leurs pairs à nouveau "au front"

Publié le 19/11/2020

A l'heure de la deuxième vague de la COVID-19, les étudiants en soins infirmiers (ESI) se disent prêts à soutenir les patients et le système de santé. Mais savent-ils dans quoi ils s’engagent et comment ils doivent arriver à se protéger ? De la même manière, peuvent-ils déjà imaginer les conséquences de ce renfort sur leurs futures pratiques professionnelles, qu'elles soient positives ou négatives ? Trois anciens ESI, Kevin, Antoine et Antony, partagent leur expérience de la première vague avec les étudiants en soins infirmiers aujourd'hui à nouveau mobilisés "au front". Le but : qu'ils soient mieux armés.

Aujourd'hui infirmiers, nous étions étudiants en troisième année lorsque l’épidémie de COVID-19 a frappé la France. En stage dans différents services, nous avons vu arriver les premiers cas positifs, mais nous étions encore loin d’imaginer qu'une pandémie mondiale se profilait alors. C'est lors de notre dernière semaine de stage, en mars 2020, que notre vie d'étudiant a basculé. Réquisionnés en renfort des équipes soignantes "au front", nous avons appris dans le même temps que nous ne retournerions plus à l'IFSI...

Kevin Peiro, aujourd'hui infirmier en pédopsychiatrie

Tout a commencé par un mail de l'IFSI reçu lors de ma dernière semaine de stage. Celui-ci me demandant de me rendre le lundi suivant dans un autre hôpital du département. Une fois sur place, nous étions une quinzaine d’étudiants d'IFSI différents à attendre devant les bureaux de la direction des soins. Nous avons été bien accueillis, dans une salle assez grande pour respecter les distances physiques. Lors de cette première matinée, somme toute conviviale (café et croissants d'accueil), les services nous ont été présentés et une formation sur les règles d’hygiène prodiguée. En début d’après-midi, nous avons été affectés dans nos services, où nos cadres nous ont laissé le choix de nos amplitudes horaires (de jour ou de nuit ; en 8h ou en 12h). Pour ma part, j'ai choisi d’être affecté aux urgences en 12h de jour. J'ai été missionné pour gérer, avec un interne en médecine et sous la direction d'un médecin du service, un sous-service des urgences, appelé "Accueil COVID". Cette unité, située sous une tente à l'entrée des urgences, avait pour but principal de les désengorger et d’accueillir tous les patients suspectés d'avoir le COVID venant par leurs propres moyens. Je devais dans un premier temps vérifier leurs paramètres vitaux et renseigner leur fiche d'information. Puis savoir les orienter. Pour cela, un protocole avait été mis en place reposant presque uniquement sur la mesure de la saturation en oxygène. Si le patient avait moins de 95% d’oxygène dans le sang, je l’orientais vers les urgences ; si la valeur de sa saturation était égale ou supérieure à 95% il passait dans le deuxième sas de la tente où l'interne le prenait alors en consultation pour l'orienter à son tour soit vers un retour à domicile, soit vers les urgences. A cette époque, les test PCR étaient rares et nous n'en faisions pas. Je devais également assurer l’hygiène et la sécurité des locaux du personnel et des patients. Pour cela, je devais désinfecter tout mon matériel et celui de l'interne entre chaque patient. De plus, je devais m'assurer de la disponibilité des équipements de protection. Enfin, j’équipais de masque les patients qui n'en avaient pas. Enfin, pour éviter les vols dans la nuit je devais, chaque soir, ranger le matériel et chaque matin le réinstaller sous la tente. De plus, je devais faire un inventaire quotidien du matériel de protection afin d'assurer un réassort quotidien.

Ce fut une expérience assez enrichissante grâce à laquelle j'ai pu acquérir une certaine autonomie. Pour ce qui est du matériel de protection, nous n'avons manqué de rien grâce à une gestion "au cordeau" par les cadres du service. La collaboration avec les internes fut passionnante ; nous étions "dans le même bateau" et échangions souvent sur les cas difficiles ou particuliers afin de déterminer au mieux leurs orientations. J'ai travaillé trois semaines dans cette unité. Par la suite étant en formation professionnelle, j’ai été réaffecté en psychiatrie jusqu'à mon stage pré-pro. J'y travaille aujourd'hui en tant qu'infirmier. Je ne suis donc jamais retourné à l'IFSI si ce n'est que pour aller chercher mon diplôme. J'ai eu la chance de toucher la prime COVID dans son intégralité.

Une expérience assez enrichissante grâce à laquelle j'ai pu acquérir une certaine autonomie.

Antoine Petit, aujourd’hui infirmier en oncologie médicale

Mon histoire commence également par un mail reçu de notre IFSI lors de ma dernière semaine de stage ; une semaine après la décision prise par notre gouvernement de nous confiner au niveau national. Ce mail me demandait également de me rendre dans un hôpital du département pour venir en aide au personnel médical dès le lundi de la semaine suivante. Je m'y suis donc présenté en ne sachant quasiment rien de ce que seraient mes missions. Je n’étais pas le seul étudiant infirmier présent ce jour-là. Il y en avait issus de ma promotion, mais aussi venant d'ailleurs. Nos niveaux de formation n'étaient pas homogènes. Certains étaient en dernière année, comme moi, d’autres débutaient juste. Nous avons été reçus dans une grande salle de réunion, tous autour d’une énorme table ronde. Nous nous y sommes placés spontanément en instaurant une distance physique équivalente à une chaise sur deux.  Le directeur de l’hôpital est passé nous voir pour nous souhaiter rapidement la bienvenue. Nous avons eu ensuite une brève formation sur le protocole d'habillage/deshabillage, sur comment entrer dans une chambre COVID-19. L'heure du choix de l'affectation a suivi. La cadre a très vite été dépassée par la situation et ne savait pas comment répondre à nos multiples questions. Quels seront nos horaires ? Pourquoi vous nous réaffectez, sachant que la direction nous avait déjà appelés auparavant pour nous placer directement dans un service ? En ce qui me concerne, je devais être affecté "d’office" aux urgences. Oui, mais la cadre n’était pas du tout au courant. Elle avait seulement reçu une liste de services en manque de personnels avec un nombre de places à combler. Nous nous sommes vite rendu compte que l’organisation concernant l’accueil et l’orientation des étudiants en soins infirmiers avait été négligée. A la fin de cette matinée nous n’étions pas plus renseignés qu’au moment de notre arrivée. Nous savions seulement vers quel service nous diriger. J’ai réussi pour ma part à récupérer ma place aux urgences car j'avais fait précemment un stage dans ce service et je me sentais tout à fait apte pour ma nouvelle affectation. Je me suis donc rendu aux urgences pour y rencontrer la cadre de santé avec quatre autres étudiants. Très pressée, répondant toutes les cinq minutes au téléphone, elle n'avait que très peu de temps à nous accorder et nous disait en substance "qu’il lui manquait trois soignants le jour et deux la nuit". Elle nous a demandé de lui fournir nos conventions de stage fournis par notre IFSI ; conventions qui nous permettent d’effectuer notre stage dans un cadre légal et nous protègent en cas d’accident . Mes camarades et moi nous nous sommes regardés car aucun des étudiants de mon IFSI n’avait reçu ces fameuses conventions. La cadre nous a rappelé l'importance d’en avoir une mais nous a tout de même inscrits à son planning. J’ai été affecté de nuit, ce que je voulais.

A la fin de cette journée nous nous sommes tous réunis mes camarades de l’IFSI et moi pour en parler. Nous avons très vite pris la décision d’appeler notre institut pour disposer des conventions de stage adaptées à la situation. Nous avons eu la directrice au téléphone qui nous a signalé qu’elle avait communiqué nos noms à l’Agence Régionale de Santé et que c’était à elle de rédiger ces conventions. Nous avons donc appelé l’ARS qui nous a certifié que c’était à notre IFSI de régler ce problème. Ne voulant, ni l’une ni l’autre, rédiger nos conventions de stage, nous avons décidé d’un commun accord d'arrêter, au bout de plusieurs jours, de nous rendre sur notre lieu d’affectation. Nous avons donc tous contacté à la fois notre IFSI et les cadres de santé de nos services en leur annonçant que, sans conventions, pour nous pas de possibilité de stage. Nous avons attendu plusieurs jours que la situation se régularise. Au bout d’une semaine, n’ayant de nouvelles ni de l’Hôpital ni de l’ARS et ne voulant pas rester inactifs pendant cette période plus que compliqué, nous nous sommes tous inscrits sur une plateforme en ligne pour nous rendre disponibles auprès de différents services ayant besoin d’aide.

J’ai très vite été contacté par un EHPAD en manque de personnel de nuit. J’ai convenu d’un rendez-vous avec l’infirmière coordinatrice. Nous nous sommes rencontrés et j’ai signé un contrat d’un mois pour travailler en tant que faisant fonction d’aide-soignant la nuit. Mes rôles étaient de surveiller, de protéger ainsi que d’effectuer des soins d’hygiène aux résidents. Ce fut une expérience riche et nouvelle pour moi. En effet c’était la première fois que je travaillais de nuit. C’est un rythme particulier à prendre. Il faut un certain temps d’adaptation. Le métier d’aide-soignant la nuit en EHPAD est difficile. Nous sommes souvent très peu de soignants pour un grand nombre de résidents à prendre en charge ; l'effectif ayant déjà fondu avec les professionnels en arrêt positifs à la COVID-19. Je ne suis également jamais retourné à l’IFSI depuis le premier confinement de mars, sauf pour récupérer mon diplôme. J’ai pu toucher une prime COVID accordée par la région Ile-de-France.

Ni notre IFSI, ni l'ARS ne voulant rédiger nos conventions de stage, nous avons décidé d’un commun accord d'arrêter, au bout de plusieurs jours, de nous rendre sur notre lieu d’affectation

Anthony Nardy aujourd’hui infirmier en oncologie

Alors que l'épidémie de COVID-19 prend de plus en plus d’ampleur en France, l'annonce du Chef de l'Etat, le 17 mars me fait prendre conscience de la gravité de la situation. La France va être à l'arrêt, confinée, les personnels de santé sous pression et les étudiants en santé mobilisés. J’étais encore étudiant infirmier en troisième année, effectuant mon avant-dernier stage en oncologie d'une durée de dix semaines. Fin avril, j’allais entamer mon dernier jour de stage mais celui-ci a été interrompu la veille. Les premiers cas de contamination du virus augmentaient alors dans l’hôpital et un étudiant infirmier d’un autre service en était affecté. Par mesure de sécurité, tous les stages en cours ont donc été annulés. J’ai quand même pu revenir quelques jours après dans l’hôpital, après confirmation d’une cadre de santé que j’ai eu au téléphone, pour faire l’évaluation finale de mon stage.

Contrairement à une partie de mes collègues et amis de mon IFSI, je n’ai pas reçu de mail de "réquisition". Je n’en ai jamais connu la raison, mais c'est probablement parce que j’habite un peu loin de la région parisienne. Confiné chez mes parents, je prenais donc régulièrement des nouvelles de mes collègues partis au "front" pour aider le personnel hospitalier. Pour certains, tout se passait bien, selon les consignes de notre IFSI. Pour d’autres, l’organisation était anarchique : manque d’informations, incohérences, rôles complètement différents donnés aux ESI par rapport à ce qui leur avait été annoncé au préalable. Certains ont dû arrêter leurs interventions par manque de sécurité et de reconnaissance.

Me sentant inutile, je me suis donc inscrit sur une plateforme afin de connaître les postes disponibles dans les établissements de santé et y venir en renfort. C’est alors que l’EHPAD dans lequel j’ai effectué un stage en deuxième année et plusieurs "vacations" durant mes études, m’appelle pour me proposer un CDD. J’ai accepté mais en demandant préalablement quelques informations, notamment le nombre des personnes ayant contracté le virus dans l'établissement et à quel étage j'allais travailler. J'ai annoncé la nouvelle à mes parents. Le climat anxiogène qui s’était installé partout et le fait de savoir que j’allais m’exposer directement au virus ne les rassuraient pas du tout. Je leur ai donc fait comprendre que je ne pouvais pas rester sans rien faire alors que mes amis travaillaient dur et qu’un établissement de santé avait besoin de moi. J’ai donc décidé de vivre un mois dans un logement proche de mon lieu de travail pour éviter que mes parents ne soient exposés au virus directement si jamais je l’attrapais moi-même.

Les choses ne sont pas passées comme je l’imaginais. Avant de débuter ma mission, on m’avait indiqué qu’il y avait deux personnes travaillant dans l’établissement qui avaient été contaminées ; en réalité, il y en avait plus d’une dizaine. On m’avait également dit que j’allais occuper le poste d’aide-soignant au deuxième étage... j’étais finalement au troisième. Lorsque je commence les toilettes, la directrice de l’établissement, accompagnée de la cadre de santé, vient me dire que je suis actuellement dans l’aile où il y a le plus de "cas" de COVID positif et que, par conséquent, il faut sectoriser l’étage, confiner l’aile dans laquelle je me trouve actuellement pour la transformer en "unité COVID", où il y faudra un infirmier. Elle m’a donc proposé d’exercer en tant que "faisant fonction d'IDE" le temps de trouver une IDE disponible. Sachant que c’est illégal et que je m'expose en termes de responsabilité, j’accepte quand même pour un "dépannage ponctuel". Le deuxième jour, je me retrouve au même étage, dans la même unité, mais avec une infirmière libérale retraitée venue en renfort. Connaissant bien l’établissement, j’ai dû la guider les premiers jours pour qu’elle puisse prendre ses repères. J'ai du également gérer la liste de matériels indispensables à notre journée de travail. L’infirmière en a également profité pour me former sur quelques actes infirmiers. Durant ma période de travail, plusieurs protocoles de prise en charge de patients atteints de COVID ont été modifiés, ce qui parfois aurait pu nous mettre en danger. Je repense à ce moment où je m’occupais d’un résident qui n’était pas diagnostiqué porteur du virus mais qui en avait les symptômes. On devait porter une tenue spéciale pour les patients atteints mais seulement le masque FFP2 pour les autres. Ce résident m’avait toussé sur le bras et je n’avais rien pour me protéger. Le lendemain j’apprenais qu’il était positif...

Plusieurs jours après, l’organisation de l’EHPAD avait encore changé. Tous les résidents porteurs du virus ainsi que les soignants l’ayant contracté ont été mis au deuxième étage. Après un dépistage général du personnel, je suis donc resté au troisième étage, redevenu un secteur normal de soin avec la même infirmière et le même collègue aide-soignant. Dans le même temps, j'ai dû travailler mes partiels et mon mémoire de fin d’étude (TFE), un stress supplémentaire dans mon quotidien. Après la fin de mon CDD, je suis resté un peu de temps dans la ville où je résidais pour être sûr de ne pas transmettre le virus à mes parents si jamais je l’avais contracté après mon dépistage. Cette expérience m’a permis de voir à quel point une catastrophe inattendue qui frappe la population peut désorganiser tout un établissement de santé, avoir un impact psychologique sur nous et notre entourage mais aussi créer la solidarité pour combattre l’ennemi. J’ai pu toucher une petite partie de la prime COVID étant donné que je n’étais pas en CDI (Contrat à Durée Indéterminé). Je n’ai pas pu retourner à l’IFSI depuis l’annonce de reconfinement, si ce n’est pour récupérer mon diplôme.

Cette expérience m’a permis de voir à quel point une catastrophe inattendue qui frappe la population peut désorganiser tout un établissement de santé, avoir un impact psychologique sur nous et notre entourage mais aussi créer la solidarité pour combattre l’ennemi.

Comme vous venez de le voir, malgré le fait que nous étions tous trois dans le même IFSI, nous avons vécu des expériences bien différentes. Nous sommes néanmoins d'accord sur le fait que ce fut une expérience éprouvante à cause du manque d'organisation mais aussi d'un statut mal défini, créant chez certains d'entre nous un sentiment d’insécurité. Mais ce que nous retiendrons par dessus tout, c'est le sentiment d'avoir participé à une aventure humaine inédite qui nous a permis de découvrir nos capacités de travail en équipe, notre autonomie ainsi que notre capacité à faire face à nos responsabilités. Enfin, même si nous avons l'impression d'avoir parfois "bâclé" notre fin de formation d'un point de vue théorique, nous sommes conscients d'avoir vécu une expérience enrichissante qui a fait de nous les professionnels que nous sommes aujourd'hui. C'est parce que nous en sommes conscients, que nous souhaitions la partager avec tous ceux qui, très bientôt, seront eux aussi des soignants diplômés.

Kévin Peiro
Infirmier en Pédopsychiatrie
kevinpeiro95@gmail.com

Antoine Petit
Infirmier en Oncologie Médicale
petitantoine93@googlemail.com

Anthony Nardy
Infirmier en Oncologie


Source : infirmiers.com