Quinze ans après la réforme de la formation infirmière et son inscription dans le cursus Licence-Master-Doctorat, où en est-on dans son intégration à l’université et dans la formation de ses enseignants ? C’est à cette question que cherche à répondre le rapport « Ressources humaines et statuts des encadrants et enseignants-chercheurs dans les formations paramédicales universitarisées » de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale éducation, sport et recherche (IGESR), publié mardi 19 mars. Le document présente un état des lieux de l’universitarisation de la formation, dans l’objectif de nourrir le volet « Recherche et encadrement » de la mission confiée au professeur Christine Ammirati. Sont ciblées les formations paramédicales en sciences infirmières, en rééducation et réadaptation et en maïeutique.
Depuis la réforme de 2009, ces cursus ont en effet connu des évolutions qui « entraînent des transformations profondes » dans leurs organisations. Transformations qui « font émerger le besoin de nouvelles compétences et amènent à interroger les impacts sur les ressources humaines des acteurs impliqués dans le large champ des formations paramédicales. » Se pose ainsi la nécessité, constate le rapport, de constituer un vivier de formateurs et d’enseignants-chercheurs capables d’accompagner cette universitarisation.
Sur l'universitarisation, des enjeux de mutualisation qui persistent
En 2021, « l’universitarisation des formations paramédicales [concernait] plus de 140 000 étudiants paramédicaux, dont 10 à 20% étaient exclusivement universitaires », décompte le rapport. En 2023, plus de 95% de ces étudiants bénéficient d’ECTS délivrés par l’université – et non plus par les préfets de région comme c’était le cas auparavant – et disposent du droit de vote. S’il dresse un bilan « globalement positif » de l’intégration des instituts de formation paramédicales à l’université, le document souligne toutefois l’existence de questions rémanentes sur la gouvernance, sur les approches transdisciplinaires entre les cursus et sur l’harmonisation des droits des étudiants. À l’heure actuelle, juge-t-il, « les enjeux de mutualisation » des compétences de chaque acteur de la formation (Agences régionales de santé, universités, lieux de stage, régions académiques…) sont certes « structurants mais faiblement pilotés » et manquent de ressources humaines.
On compte aujourd'hui 5000 formateurs paramédicaux, dont 4 000 rien que dans les IFSI
Un exemple : l’application fonctionnelle de la coopération entre instituts et universités prend souvent la forme de la création d’un département dédié à la formation paramédicale (sciences infirmières, métiers de la santé, orthophonie…) au sein de ces dernières. Or, les moyens logistiques et pédagogiques sont limités et les locaux, parfois inexistants. Plus largement, d’un point de vue purement pragmatique, l’intégration de ces effectifs étudiants demeure complexe. Elle nécessiterait une anticipation de ses conséquences, en ressources humaines et financière, en gestion immobilière. Soit une perspective qui s’inscrit « au mieux dans le très long terme, supérieur à dix ans », prévient le document.
Pour les formateurs, un statut de mono-appartenant peu attractif
L’autre problématique concerne les formateurs, dont le nombre est estimé à 5 000 pour l’ensemble des formations paramédicales concernées, dont 4 000 rien que dans les IFSI. Dans le détail, note le rapport, ces derniers disposent à 85% du diplôme de cadre de santé (qu’ils exercent dans le public ou le privé) et 90% justifient d’une expérience de cadre en unité de soin. Ils ne sont que la moitié à indiquer détenir un Master 2. « Parmi ces masters 2, 68 % relèvent du domaine des sciences de l’éducation.
Des problèmes de rémunération et de conditions d'exercice
Par ailleurs, 1,2 % des formateurs ont un doctorat (18 dont 11 en sciences de l’éducation, 3 en philosophie, 3 en santé publique, un en biologie cellulaire) », détaille le document. Ces enseignants possèdent un statut de mono-appartenant, qu’ils cumulent avec une activité de soin, et ne sont donc rémunérés qu’en fonction de leur activité hospitalière. Une situation qui « répond mal à des problématiques de rémunération pour les plus anciens d’entre eux, mais aussi à leurs attentes de conditions d’exercice satisfaisantes pour réaliser l’ensemble de leurs missions ». La mise à disposition, poursuit-il, représente l’unique outil « facilement mobilisable » pour ces professionnels, notamment dans le cadre des collaborations qui s’instaurent entre universités et IFSI. Or, celle-ci, en plus d’être difficilement utilisable à grande échelle, s’assortit d’un autre frein : la non-éligibilité des personnels en mise à disposition pour percevoir le complément de traitement indiciaire issu des accords du Ségur, qui provoque un déficit d’attractivité.
Conséquence : c’est aussi le développement de la recherche qui en pâtit. Alors que dans d’autres pays, en particulièrement anglo-saxons, où la recherche infirmière bénéficie de réels programmes d’accompagnement et de financement, en France, elle n’est encore qu’émergente. « En France, les infirmiers effectuent leur recherche dans d’autres disciplines que celles des sciences infirmières et s’appuient sur des champs disciplinaires tels que l’épidémiologie, la santé publique, la biologie, la philosophie, l’éducation pour la santé pour conduire leurs travaux », relève le rapport.
Le statut de bi-appartenant permettrait de mieux articuler les activités de soins, d’enseignement et de recherche.
Un statut bi-appartenant pour les enseignants-chercheurs nécessaire
Face à ces constats, l’IGAS soumet un certain nombre de propositions pour renforcer l’attractivité des trajectoires universitaires pour les professionnels paramédicaux. Et le premier angle d’attaque consiste en la création, jugée nécessaire, d’un statut bi-appartenant pour les enseignants-chercheurs paramédicaux, qu’ils soient titulaires ou non, en exercice hospitalier ou ambulatoire. Celui-ci permettrait de « mieux articuler les activités de soins, d’enseignement et de recherche. » Supposant en effet la possibilité d’exercer à la fois une activité universitaire d’enseignant-chercheur et une activité de soins (ambulatoires ou hospitaliers), il serait de nature à renforcer l’attractivité du statut d’enseignant-chercheur en autorisant la reconnaissance de ces deux activités, mais aussi « la légitimité de l’enseignement délivré » grâce à son adossement à la recherche. La création de ce statut de bi-appartenance est défendue par les principaux acteurs de la formation infirmière et déjà envisagée dans le cadre de la refonte du métier et de son référentiel de formation.
Reste à définir les modalités – temps de service d’enseignement et effectifs, mais aussi profils des enseignants-chercheurs. Sur ce dernier point, l’IGAS recommande que l’accès aux fonctions de maîtres de conférences bi-appartenant soit ouvert aux candidats justifiant d’un Master 2 ; est également proposée la création d’un statut bi-appartenant d’enseignant clinique universitaire non titulaires, qui se composerait de trois valences : soins, pédagogique et recherche. Ces évolutions, précise-t-il, supposent de faire évoluer les sections 91 et 92 du Conseil national des universités (CNU) santé (voir encadré), qui regroupent respectivement les enseignants-chercheurs en sciences de la rééducation et de réadaptation et ceux en sciences infirmières, afin qu’y soient intégrés ces bi-appartenants. L’IGAS recommande ainsi « d’engager chaque année un dialogue dans le cadre de la révision des effectifs pour l’ouverture de postes d’enseignants-chercheurs relevant des disciplines paramédicales et ainsi s’inscrire dans le droit appliqué aux sections du CNU santé. »
Le rapport préconise également d’étudier la possibilité d’étendre le statut d’étudiant hospitalier aux étudiants paramédicaux de second cycle en formation initiale ou continuité d’études (hors formation professionnelle continue). Elle répondrait ainsi aux problématiques de précarité que peuvent rencontrer ces publics.
Les CNU sont des instances nationales qui se prononcent sur la qualification, le recrutement et la carrière des professeurs des universités et des maîtres de conférences. Il est composé de 11 groupes, eux-mêmes divisés en 52 sections, dont chacune correspond à une discipline. Chaque section comprend deux collèges où siègent en nombre égal d’une part, des représentants des professeurs des universités et personnels assimilés et, d’autre part, des représentants des maîtres de conférences et personnels assimilés. La section 92, créée par décret en octobre 2019, est celle dédiée aux sciences infirmières. Elle se compose de 2 collèges : un constitué de 3 représentants des professeurs d’université et personnels assimilés, et un formé de 3 représentants des maîtres de conférences et personnels assimilés.
Une nouvelle forme de gouvernance à imaginer
Ces évolutions sont corrélées au processus d’universitarisation qui, pour être complet, doit s’appuyer sur de nouvelles formes de gouvernance, actuellement tripartite (universités, instituts et conseils régionaux). L’IGAS préconise ainsi un renforcement d’un pilotage coordonné de l’universitarisation entre l’université et les instituts, auquel seraient également associés les régions. Celui-ci passerait notamment par une implication plus forte des recteurs d’université, encore peu mobilisés faute d’informations, de ressources et d’échanges avec les acteurs des formations paramédicales. Dans les universités où des départements dédiés aux formations paramédicales ont été mis en place, un travail d’identification et de développement des enseignements mutualisés avec les instituts a pu être initié, de même qu’une réflexion sur l’harmonisation des contenus des formations. Ces initiatives permettent également d’ouvrir de plus larges perspectives en recherche paramédicale, fait valoir le document. Le modèle de gouvernance initié en 2009 « s’essouffle », en conclut-il. L’universitarisation adaptée des formations paramédicales doit passer par « l’innovation pédagogique, une généralisation des outils et supports numériques déjà disponibles pour les formations médicales » et par « une mutualisation plus grande des supports et contenus pédagogiques actualisés », recommande-t-il enfin.
En tout, l’IGAS chiffre le coût de l’ensemble de ses préconisations à 100 millions d’euros, dont 39 millions d’euros dédiés à la création de postes d’enseignant-chercheur bi-appartenant clinique (titulaire ou non titulaire) sur 7 ans.
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