À la différence du tutorat, qui suppose un encadrement pédagogique de l’étudiant lors d’un stage par un professionnel de santé, qui va ensuite l’évaluer, le mentorat est une « relation interpersonnelle finalisée » qui se construit dans la durée. « Dans la mythologie grecque, le mentor était une personne dotée de sagesse qui venait en aide au héros », relate Marielle Boissart, directrice des soins au CHU de Rennes et coordinatrice paramédicale de la recherche en soins*. Dans le champ des soins infirmiers, le mentor est en premier lieu « un professionnel porteur d’une expérience professionnelle qui va assurer un soutien à l’étudiant », sur la base du volontariat. Pas question ici d’évaluer l’étudiant mais bien de le consolider dans son parcours, quel qu’il soit.
On est sur une relation intergénérationnelle, qui permet au jeune de se créer un réseau pour construire son projet professionnel ou de vie.
Une solution pour limiter les abandons
La relation entre mentor et mentoré, construite sur « la confiance, l’empathie, l’entente mutuelle », facilite ainsi l’intégration de l’étudiant et renforce le développement des compétences psycho-sociales. « Sur le plan cognitif, elle fait émerger un processus complexe, mais nécessaire, dans la prise de décision et la résolution de problème », poursuit Marielle Broissart. Autre avantage : un sentiment d’appartenance au métier qui gagne lui aussi en puissance. « On est sur une relation intergénérationnelle, qui permet au jeune de se créer un réseau pour construire son projet professionnel ou de vie. »
Et il ne s’agit pas d’un gadget. Avec le vieillissement de la population et l’augmentation du nombre de maladies chroniques, les besoins en infirmiers dans la fonction publique vont croître de 50% d’ici 2040 . Ce que ne pourra pas combler l’augmentation de la démographie infirmière estimée à seulement 25% sur cette période.Et pour cause : selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) parue en mai 2023, les étudiants en soins infirmiers (ESI) étaient trois fois plus nombreux à abandonner leurs études en 2021 qu’en 2011. La profession infirmière est donc actuellement confrontée à un véritable enjeu d’attractivité. Or le dispositif du mentorat est l’une des solutions qui permettraient de limiter le taux d’attrition, avance Marielle Broissart. « Les bénéfices sont triples pour les mentorés », entre développement des compétences et du sentiment de confiance en soi, et plus forte professionnalisation. Les mentors en tirent également des avantages, à commencer par un plus fort sentiment d’appartenance au collectif mais aussi d’utilité. De quoi « redonner du sens » à un métier qui a l’impression d’en avoir perdu en raison de conditions de travail et d’exercice dégradées.
L’exemple du CH de Saverne
Les bénéfices du mentorat, le centre hospitalier de Saverne (Bas-Rhin) espère pouvoir en témoigner. En décembre 2023, l’établissement a lancé un projet pour y développer le dispositif, réunissant trois acteurs dans un groupe pilote : les directions des soins des établissements du groupe hospitalier Saverne-Sarrebourg, et les directions de deux instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). « Le projet s’est construit en plusieurs étapes », explique Laetitia Dietemann, coordinatrice pédagogique de l’IFSI et IFAS (institut de formation d’aide-soignant) de Saverne. Il se structure autour de 4 axes, précise Isabelle Royer, cadre supérieur de santé du CH de Saverne. Le premier est stratégique et consiste à le décliner dans les projets de service, via la valorisation du mentorat auprès des équipes. Vient ensuite l’axe structurel, avec la désignation d’un référent pour chaque site et au sein de chaque IFSI et l’élaboration des modes de collaboration (réunions d’information, retours d’expérience, participation aux bilans, numéro d’appel pour contacter les référents en IFSI). Ensuite l’axe technique consiste, lui, à former les futurs mentors, à co-construire une charte qui cadre leur exercice, ou encore à répertorier les lieux de rencontre dans les services. Le dernier axe, enfin, est culturel : identification des valeurs partagées autour du soin, moyen de les concrétiser, intégration d’une responsabilité sociétale de former et d’intégrer les nouvelles générations…
La première phase a donc été celle de l’information et de la communication, afin de « ne pas induire de confusion avec les notions de tutorat, de compagnonnage. On a expliqué que le mentorat venait en soutien à la formation mais qu’il ne s’y substituait pas », souligne Laetitia Dietemann. Les premiers volontaires, mentors comme mentorés, ont ensuite été reçus au cours du mois d’avril. « La fonction de mentor a été proposée à tous les professionnels de santé en activité au sein du groupe hospitalier. Ce qui comptait, c’était leur engagement, avec des profils plutôt infirmiers et aides-soignants. » Au moment où la coordinatrice a présenté le projet, 97 professionnels s’étaient portés volontaires pour devenir mentors, et 13 étudiants pour être mentorés.
L’objectif : transmettre le métier
Soutien aux futurs collègues, remise en question, curiosité, partage du métier font partie « des éléments qui animent majoritairement » les futurs mentors. « Ils attendent de pouvoir échanger, de rencontrer les nouvelles générations, de leur donner une chance qu’ils n’ont pas eue quand ils étaient, eux, en formation », rapporte Laetitia Dietemann. Même si certains ont fait part, lorsqu’ils ont été reçus par les membres du groupe pilote, de leur appréhension, entre crainte de ne pas être disponibles quand ce sera nécessaire, d’une mauvaise entente dans le binôme mentor/mentoré, ou encore d’un envahissement de leur espace personnel. Aussi, les appareillages entre étudiants et professionnels devraient se faire en fonction des personnalités, centres d’intérêt et valeurs de chacun. L’idée n’étant pas pour autant que la carrière du mentor corresponde forcément aux perspectives futures de l’étudiant, puisqu’il s’agit de transmettre le métier et non pas « le métier dans un service. » « Nous ne sommes pas à l’abri d’une erreur », prévient la coordinatrice pédagogique. « Si la relation n’apporte pas les bénéfices espérés, les deux parties peuvent y mettre fin. »
Le sens du travail est majoré, avec des gens qui se sentent responsables.
« Nous avons tout de suite perçu les bénéfices pour le groupe hospitalier et pour le bassin de population », relate Isabelle Royer. Le dispositif s’inscrit dans « le projet médico-soignant » qui entend développer les compétences et l’expertise soignante, et soutenir l’attractivité. Il entre aussi « en résonance » avec les valeurs soignantes qui président à l’élaboration des projets de soin : esprit d’équipe et transversalité, respect et bienveillance, égalité et équité dans les pratiques managériales, énumère-t-elle. De ce projet, le CH de Saverne attend qu’il facilite l’intégration, en douceur, des nouvelles générations et participe à la valorisation des métiers du soin et à la fidélisation des professionnels. « Le sens du travail y est majoré, avec des gens qui se sentent responsables. Le regard sur la formation infirmière en sera modifiée », conclut-elle. L’établissement se donne entre un an et un an et demi avant de tirer le bilan de cette première expérience. Et de la transposer ensuite aux futurs arrivants.
*Informations et propos recueillis lors d’une table ronde organisée lors de la dernière édition du Salon Infirmier à Paris, qui s’est tenue du 21 au 23 mai 2024.
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