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A voir – L'ordre des médecins : un film qui ébranle la toute-puissance médicale

Publié le 22/01/2019
Marthe Keller - L

Marthe Keller - L

Jérémie Renier - L

Jérémie Renier - L

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Dans la vie d'un soignant, des événements personnels peuvent le faire vaciller, aussi vaillant soit-il, aussi intouchable se croit-il. Souvent alors, tout se complexifie. Il faut tout revoir, analyser l'impact émotionnel des situations de soins douloureuses, définir de nouvelles priorités, évoluer dans son attitude professionnelle et son approche du patient. Le film L'ordre des médecins en salle le mercredi 23 janvier 2019, nous montre que quand la frontière entre l'intime et le professionnel se brouille, ce sont les certitudes et les convictions du soignant qui chancellent. Changer est alors la seule planche de salut pour continuer à exercer et à grandir.

L'univers hospitalier est vorace, car il prend tout au soignant qui en fait souvent l'essentiel de son existence, au détriment de sa vie privée, et Simon n'y échappe pas… Mais pour lui, face à un événement personnel, changer devient un impératif à la fois difficile et douloureux.

Certitudes, convictions, engagement… lorsque l'on est un médecin aguerri, comme l'est Simon, pneumologue hospitalier de 37 ans interprété par l'acteur Jérémie Renier, on soigne pour guérir, dans la toute-puissance, sans trop se poser de questions. D'ailleurs, Simon ne se pose pas, il impose. Il impose sa façon de voir les choses, convaincu de ses choix, souvent au détriment de ceux du patient. Il n'écoute pas - ou peu - car s'il le faisait, ses certitudes et ses convictions de praticien seraient mises en péril, ébranlées quand la logique d'une prise en charge ne va pas vers le mieux mais vers une issue fatale, quand le désir d'un patient le conduit à refuser un traitement parce qu'il a décidé qu'il ne servait plus à rien… Face à la maladie, la souffrance et la mort, la blouse blanche de Simon est là pour imposer une distance avec le patient, une distance qui le protège d'un trop-plein d'émotions. Pas question donc de s'émouvoir. Pour les professionnels de santé hospitaliers, qu'ils soient médecins, infirmiers, aides-soignants, brancardiers…, la vie hospitalière, ils le savent bien, oscille entre gravité et légèreté, drames et franches rigolades et parfois même excès quand quelques produits addictifs s'invitent à la fête…

Une certaine distance est nécessaire pour rester lucide, prendre de bonnes décisions, exercer son métier de médecin sans souffrir… Mais quand l'intime s'invite dans le professionnel , tout vacille !

Changer. Voilà à quoi Simon va être confronté. Sa mère (Marthe Keller dans le film) malade - une rechute de son cancer traité et guéri quelques années auparavant - est hospitalisée dans une unité proche de la sienne. C'est une femme très positive, malgré sa souffrance et son réalisme. Contrairement à Simon qui est dans le déni d'un échec thérapeutique, elle sait que sa fin est proche et refuse tout traitement invasif qui pourrait lui être proposé. Pour elle, c'est clair et net, c'est non. Pour Simon, tout se complique alors. Il voudrait que tout ce à quoi il a dédié sa vie depuis vingt ans - soigner et guérir -  puisse avoir un sens. Faire l'expérience de son impuissance à cet endroit précis où il a tout investi et trouvé sa place est très douloureux pour lui. Il est donc totalement perdu, tourmenté par les affres du doute et de la remise en question qui s'en suivent.

Simon vit une crise de foi. Il a consacré sa vie à la médecine et se rend compte soudain qu’elle ne peut pas tout.

Le réalisateur David Roux pour qui ce film est très personnel - son frère aîné est médecin pneumologue en soins intensifs et le film est directement inspiré de la période où sa mère était malade – l'explique. Je ne voulais pas faire un film réaliste pour autant. La justesse de la reconstitution était un impératif pour que, sur ce socle, une fiction plus intime puisse de déployer. Face à cette situation familiale douloureuse qui lui impose dans un premier temps le déni, Simon, très vite, n'a pas d'autre choix que de se mettre en vacances. David Roux poursuit : la question qui se pose pour lui est alors d’ordre presque philosophique : qui est-il s’il ne peut plus être médecin ?  Il va certes continuer à déambuler dans cet hôpital mais sans cette blouse blanche qui le définissait. Maintenant qu’il ne la porte plus, qu’est-ce qu’il fait, qu’est-ce que ça change, qui est-il ? Simon vit alors une crise de foi. Il a consacré sa vie à la médecine et se rend compte soudain qu’elle ne peut pas tout.

Les sous-sols de l'hôpital, tristes, voir glauques, où les néons constituent une lumière jaunâtre peu hospitalière, occupent une place particulière dans la narration. Simon y rôde en permanence, déambule, comme pour nourrir sa réflexion qui l'entraîne au plus profond de son être. Pour le réalisateur, ces souterrains techniques me semblaient en effet une matière symboliquement formidable. Il y a dans ce dédale et toute cette tuyauterie quelque chose de trsè organique, comme si on plongeait au coeur d'une matière très charnelle. Ils sont vite devenus un motif récurrent du film, un peu comme s'ils étaient l'espace mental de Simon.

Un film comme un huis-clos dans l'univers gigantesque, complexe et vorace de l'hôpital…

Oui, l'univers hospitalier est vorace, car il prend tout au soignant qui en fait souvent l'essentiel de son existence, au détriment de sa vie privée, et Simon n'y échappe pas…  Mais pour lui, changer devient un impératif à la fois difficile et douloureux. Prendre de la distance le lui permet, en se donnant le temps, ce temps dont les soignants ne disposent que trop peu pour se laisser aller à leurs états d'âme. Tomber la blouse. Regarder, parler, éprouver, vivre…  L'heure est alors à soigner le temps qui reste, renoncer à guérir, profiter de jolis moments partagés sans l'ombre d'un non-dit, tomber le masque de la toute-puissance, accepter que la mort soit là, proche, et la vivre jusqu'au bout en toute humanité.

Quand Simon réinvestira son rôle de médecin, revêtant à nouveau cette blouse qui lui est si chère car essentielle à sa vie, c'est avec une vision plus large de son métier, une perception plus fine des relations humaines qui l'enrichissent et moins d'intranquillité - malgré les épreuves et les deuils – qu'il le fera. Il aura soigné sa toute puissance, devenu plus humaniste par la force des choses. Médecin parmi les hommes, homme parmi les médecins, Simon l'aura compris, chacun soigne avec ce qu'il est, ce qu'il a vécu et ce qu'il a compris du sens de son exercice.

Au final, ce film d’initiés au casting impeccable parlera beaucoup aux soignants qui s’y reconnaîtront. Il devrait être projeté à tous les étudiants en médecine, à tous les étudiants en santé, pour qu’ils comprennent la portée des sciences humaines, de la relation, de la juste distance et de l’impact émotionnel des situations de soins sur l’attitude professionnelle du soignant et ce, tout au long de sa vie.

Le titre L'ordre des médecins, bien que peu explicite pour le profane, induit d'emblée un double sens et notamment, au-delà du nom de la structure ordinale, celui de l’ordre des choses pour un médecin qui est de soigner et de guérir. Mais l'ordre des choses peut devenir désordre, tout soignant ne le sait que trop. Ce film le lui rappelle et en ce sens, prend soin de lui.

Tomber le masque de la toute-puissante… L'heure est alors à soigner le temps qui reste, renoncer à guérir, profiter de jolis moments partagés sans l'ombre d'un non-dit...

Regarder la bande-annonce de L’ordre des médecins et vous ne visualisez pas cette vidéo, rendez-vous sur youtube !

• L'ordre des médecins, un film de David Roux, durée 1h33, France, 2018, au cinéma le 23 janvier 2019, distribution Pyramide

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com