A l’occasion des Journées Françaises de la Recherche en Soins (JFRS) , qui se sont tenues en avril 2018 à Angers, nous avons d’ailleurs eu le privilège, au nom d’infirmiers.com et de cadredesante.com, partenaires comme chaque année de cette manifestation, de décerner le Prix de la meilleure communication orale à François Gernier, cadre de santé et Chef de projet pour la promotion de la recherche en soins infirmiers et paramédicaux du Centre François Baclesse de Caen. Voici la synthèse du travail de recherche de son équipe qui a été récompensé. Il s'agit de l’étude CLODIS qui a pour but de comparer le nombre de ponctions de sérome1 entre les patientes qui bénéficient d’une compression locale par bandage thoracique avec possibilité de ponction(s), versus une prise en charge standard uniquement par ponctions de séromes.
Dans notre pratique soignante, nous observons beaucoup. Nous sommes au plus près des préoccupations des patients, il arrive que nous agissions selon des protocoles et habitudes sans pour autant connaitre leur genèse.
Les grandes étapes de la recherche en soins
Dans chaque service, nous avons quotidiennement des questionnements, des réflexions sur nos pratiques, des souhaits d'amélioration. Ces interrogations peuvent trouver des réponses dans les recommandations des sociétés savantes ou encore dans des articles scientifiques ayant traité d'un sujet que nous avons identifié. Dans le cas où aucune étude antérieure ne permet d'apporter des éléments de réponse, que les études précédentes sont contradictoires ou que le sujet n'est pas entièrement traité, la recherche en soins peut (doit) être évoquée. Celle-ci améliore les connaissances sur une thématique, en apportant des résultats probants (des preuves scientifiques) et guide nos choix dans nos techniques de soins, concrètement, au plus près des patients. C'est ce que l'on appelle les soins basés sur les preuves (Evidence Based Nursing EBN).
Réflexion initiale, hypothèse, critères d'inclusion
Il s'agit tout d'abord de réaliser une revue minutieuse et exhaustive de la littérature scientifique traitant du sujet, afin de décrire le contexte dans lequel se déroulera l'étude (état actuel des connaissances, description des prises en charge existantes et leurs limites). La réflexion initiale éclairée des études antérieures nous entraine à affiner notre hypothèse de recherche. Ensuite, l'objectif principal et le ou les objectifs secondaires sont élaborés afin de répondre à l'hypothèse. A chaque objectif doit correspondre un critère de jugement (durée de survie, score de douleur, score de qualité de vie etc.).
Les résultats d'une étude sont uniquement valides pour la population incluse dans celle-ci. Il est donc important de définir les critères d'inclusion et de non inclusion de la population ciblée par l'étude (par exemple : Patiente âgée de plus de 18 ans, suivie pour un cancer du sein opérée d'une mastectomie). Le nombre de patients (sujets) nécessaires est calculé en autre en fonction du critère de jugement principal et des caractéristiques de la population ciblée.
Un travail d'équipe
Par la suite, une description du protocole de recherche (appelé aussi plan expérimental) est détaillée afin de décrire le déroulement de chaque étape de l'étude. La recherche en soin, comme toute recherche, exige rigueur et méthodologie. C'est un travail d'équipe, il est nécessaire de s'entourer de personnes qualifiées (méthodologiste, biostatisticien, chef de projet). Un financement est recherché par réponse d'appel à projet (PHRIP Programme Hospitalier de Recherche Infirmière et Paramédicale, GIRCI Groupement Interrégional de Recherche Clinique et d'Innovation, Fondation de France). Avant de débuter une recherche sur la personne humaine, certaines démarches réglementaires (avis de la Commission de Protection des Personnes (CPP), information ou autorisation de l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé) sont obligatoires.
Une fois toutes ces étapes réalisées, l'étude peut être mise en place ! Les données sont alors recueillies, puis traitées et vérifiées avant d'être analysées. Les résultats de l'étude confirment ou pas l'hypothèse de recherche. Il est alors important de faire connaitre ces résultats en publiant dans des revues scientifiques et professionnelles.
Un travail sur les séromes en oncologie
Julie travaille en tant qu'IDE dans le service de soins externes de chirurgie, au centre de lutte contre le cancer de Caen en Normandie. La prise en charge et l'accompagnement des patientes présentant des séromes représentent une part importante de l'activité de ce service de soins. En 2016, elle réalise lors de son DU de Lymphologie un stage en service de lymphologie (CHU de Toulouse) où elle observe la pose de bandage de contention thoracique.
En France, 58 968 femmes sont atteintes d'un cancer du sein (INVS 2017) dont 20 000 sont traitées par une mastectomie totale. La complication la plus fréquente induite par cette chirurgie est la constitution de sérome. Ce sérome, appelé aussi lymphocèle est un épanchement sérolymphatique qui se créer dans les jours qui suivent l'intervention chirurgicale sous la cicatrice de la mastectomie. Il occasionne une zone de décollement sous-cutanée appelé « espace mort ». Malgré le développement des techniques de capitonnage, et du ganglion sentinelle, il représente encore une incidence de 20 à 50%.
Le capitonnage est une technique chirurgicale visant à réduire « l'espace mort » qui est créé par l'exérèse chirurgicale. La technique du ganglion sentinelle consiste à enlever le ou les premiers ganglion(s) lymphatique(s) de l'aisselle (le(s) plus proche(s) de la tumeur) pour vérifier, par analyse anatomopathologique, s'ils contiennent ou non des cellules cancéreuses. Cette technique permet de réserver le curage axillaire aux seules tumeurs qui le nécessitent, en cas d'envahissement ganglionnaire. Le sérome entraîne un inconfort pour la patiente, un retard de cicatrisation, un risque infectieux associé aux soins ainsi qu'un retard dans les traitements complémentaires (chimiothérapie, radiothérapie).
Quelle prise en charge pour les séromes ?
Les ponctions itératives sont le seul traitement évoqué dans la littérature. C'est-à-dire que l'on ponctionne l'épanchement sérolymphatique avec une aiguille reliée avec un drain de Redon®. Toutefois la durée des ponctions n'est pas prédéfinie dans le temps et peut aller jusqu'à plusieurs mois. Ces ponctions à répétition engendrent un risque accru d'une formation de coque fibrineuse où la seule option de traitement est une reprise chirurgicale.
Une étude rétrospective, dans notre établissement, sur 1800 patientes, a permis de déterminer qu'une seconde ponction supérieure à 250ml est prédictive d'une chronicisation des ponctions. Face à ce constat, nous avons réfléchi afin de trouver une alternative. À l'occasion d'un stage d'observation lors du D.U. de lymphologie, Julie a pu observer la mise ne place d'une compression locale par bandage thoracique chez une patiente présentant un sérome.
De l'état des lieux à l'écriture du plan expérimental
Fort de cette expérience, Julie a exposé cette technique à l'équipe médicale et soignante. Nous avons alors réalisé un état des lieux en interrogeant les autres centres français de référence en chirurgie mammaire. Il nous ait alors apparu que des pratiques de compression locale par bandage thoracique existaient dans d'autres établissements. Malgré tout, aucune recommandation n'existaient à ce sujet, la littérature traitant des séromes demeurant pauvre, et aucun dispositif médical n'avait d'autorisation de mise sur le marché (AMM) correspondant à cette pratique.
L'hypothèse de recherche est qu'en appliquant une compression locale par bandage thoracique à l'aide du kit Urgo® K2, l'« espace mort » créé par la chirurgie serait supprimé. Ce qui favoriserait la résorption du sérome et diminuerait le nombre de ponctions. Pour tenter de répondre à cette hypothèse, une étude de « phase 3, prospective, contrôlée et randomisée » a donc été construite, permettant de comparer deux groupes de patientes, l'un avec bandage thoracique (groupe expérimental) et l'autre uniquement avec ponction de sérome (prise en charge standard, groupe contrôle). La répartition des patientes entre les deux groupes est réalisée par tirage au sort, c'est ce que l'on appelle la randomisation.
Comparer le nombre de ponctions entre les deux populations
L'objectif principal de l'étude CLODIS est de comparer le nombre de ponctions de sérome entre les patientes qui bénéficient d'une compression locale par bandage thoracique avec possibilité de ponction(s), versus une prise en charge standard uniquement par ponctions de séromes. Le critère de jugement principal est le nombre de ponction(s) après inclusion entre les deux groupes de patientes. Afin de pouvoir observer une différence entre les deux groupes, la méthodologiste / biostatisticienne a calculé le nombre de sujets nécessaires à inclure. Elle a donc identifié deux groupes de 30 soit 60 patientes pour l'ensemble de l'étude.
De plus, l'étude présente des objectifs secondaires : comparaison du délai de prise en charge des traitements adjuvants, du volume des ponctions, de la qualité de vie, de l'anxiété, de l'intensité de la douleur entre les deux groupes et d'autre part valider une échelle permettant d'indiquer l'indication de la ponction de sérome.
Les bénéfices attendus de ce travail de recherche
Les bénéfices attendus à l'issue de cette procédure sont la diminution du nombre de ponctions de sérome, de la durée de PEC des séromes en post opératoires, du nombre d'infections associées aux soins ou du risque de constitution d'une coque fibreuse ou collagénique sur la loge des séromes. Sont espérés également, pour le patient, l'amélioration de la qualité de vie, la diminution des douleurs liées aux soins ou l'amélioration de l'aspect esthétique des cicatrices. Pour l'équipe inter-disciplinaire, cette recherche de rait aboutir à une meilleure description et évaluation des séromes et la création d'un score permettant le diagnostic du sérome et l'indication d'une ponction
Cette étude a été financée par le GIRCI Nord-Ouest. Nous avons reçu les accords du CPP et de l'ANSM. Les inclusions débuteront en septembre 2018 au Centre François Baclesse de Caen.
François Gernier cadre de Santé Chef de projet pour la promotion de la recherche en soins M2 Santé Publique et méthodologie en recherche Master2 Hygiène et Qualité des soinsf.gernier@baclesse.unicancer.fr
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