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Quand la question du manque de temps cache autre chose...

Publié le 23/07/2018
sablier, temps

sablier, temps

Il ne suffit pas de donner du temps supplémentaire (et indiscutablement nécessaire) aux professionnels de santé, faut-il aussi leur donner des armes et des outils pour en faire quelque chose ! Une réflexion à lire... et à discuter !

Le manque de temps est la réalité indiscutable sur laquelle les professionnels peuvent s’appuyer inconsciemment pour exprimer, de manière détournée, cette difficulté (inavouable) à voir leur idéal soignant malmené par la réalité.

A l’occasion du mouvement social inédit que vient de connaître le secteur gérontologique , la question du manque de temps a été mise au devant de la scène, avec parfois des dialogues surréalistes par micro interposés entre les professionnels criant leur détresse et certains de leurs interlocuteurs répondant par mauvaise organisation , mauvaise gestion du temps et sensibilisme...

De nombreux soignants et professionnels de la gérontologie expriment leur mal-être et leur souffrance au travail : le manque de temps est souvent invoqué comme première cause de cette souffrance. Le temps est de plus en plus contracté, le rythme de travail soutenu, le nombre de personnes à « enchaîner » dans une même matinée impressionnant. Il en devient effectivement difficile, d’être attentif à chacun, de ne pas transformer l’autre en objet de soin .

Face à cette plainte temps , les personnes chargées de l’encadrement, peuvent avoir deux attitudes parfois contradictoires : considérer ce manque de temps comme un obstacle majeur à la qualité , et assister avec un certain fatalisme à la dégradation de la qualité, ou parfois, considérer (expérience à l’appui) que cette plainte est récurrente, quelles que soient les conditions et nier en quelque sorte la réalité de cette difficulté.

Sans doute est-il nécessaire de considérer le manque de temps comme un vrai problème et un faux problème ! La question du manque de temps est à la fois une réalité indiscutable, mais elle cache souvent autre chose. La plainte temps est le vecteur naturel pour en exprimer d'autres : manque de temps pour entrer en relation, manque de temps pour soulager l’autre, manque de temps pour rejoindre l’autre là où il est… derrière le « je manque de temps », le psychologue peut aussi entendre :

  • je ne sais pas comment prendre le temps ;
  • je ne sais pas comment soulager l’autre ;
  • je me sens impuissant face à mon incapacité à apporter les gestes ou les paroles qui soulagent ;j’ai l’impression d’être incompétent et nul, je ne le supporte pas ;
  • ce n’est pas de ma faute, c’est la faute du temps !

Le manque de temps est alors la réalité indiscutable sur laquelle les professionnels peuvent s’appuyer inconsciemment pour exprimer, de manière détournée, cette difficulté (inavouable) à voir leur idéal soignant malmené par la réalité.

La question du manque de temps est à la fois une réalité indiscutable, mais elle cache souvent autre chose. La plainte temps est le vecteur naturel pour en exprimer d'autres...

Nous rencontrons régulièrement des institutions qui, confrontées à la plainte récurrente des aides-soignantes frustrées de ne pas avoir de temps pour "faire du relationnel" , réorganisent leur fonctionnement afin de libérer quelques aides-soignantes en début d’après-midi. Alors que tout devrait être pour le mieux dans le meilleur des mondes, les mêmes qui se plaignaient haut et fort de ne pas disposer de temps pour le relationnel, refusent apparemment d’investir ces temps d’après-midi pour effectuer des animations ou des soins relationnels invoquant diverses raisons obscures dont des tâches matérielles à effectuer ! Le risque est alors grand que l’équipe de direction y voit la preuve d’une mauvaise volonté évidente, et d’une plainte temps qui serait plus culturelle que reflétant un manque réel !

En fait, il ne suffit pas de donner du temps supplémentaire (et indiscutablement nécessaire) aux professionnels, faut-il aussi leur donner des armes et des outils pour en faire quelque chose ! Or, non seulement les professionnels sont très peu formés à la relation d’aide, confondant, la relation dans le soin avec le soin relationnel, mais les projets d’établissement négligent trop souvent la question du soin relationnel au profit d’un regard sur la vieillesse réducteur.

La vieillesse n’est pas que le temps des pertes et de la dépendance. L’accompagnement dans le soin ne peut pas se réduire à des soins techniques ou au nursing. Si les accompagnants ont le devoir d’être attentifs aux difficultés et souffrances engendrées par l’affaiblissement de l’organisme et ses conséquences sur la santé et l’autonomie, aux ruptures sociales, aux angoisses de la confrontation à la perspective de la fin, il n’est pas possible de réduire leur rôle à la prise en charge de cet unique aspect.

La vieillesse est aussi une période d’achèvement de la construction intérieure : une période majeure de la vie, où les blessures de vie, les inachevés de la vie remontent à la surface en raison de l’affaiblissement d’un corps qui ne permet plus de les enfouir au plus profond de soi ! Il est ainsi indispensable de donner aux professionnels les outils, les moyens et le soutien nécessaire pour mettre le soin relationnel au cœur de leurs pratiques. On devine à travers ces quelques lignes la mission du manager de proximité qui ne peut se réduire à une gestionite de procédures, de plannings et de stocks de changes !

Yves CLERCQ
Psychologue, formateur et consultant

Cet article et paru sur Le blog des infirmières référentes/coordinatrices en établissement gérontologique, de l'encadrement de proximité et du prendre soin en gérontologie - Prendre soin, manager, accompagner. Merci pour ce partage.


Source : infirmiers.com