Le contact quotidien avec les patients permet aux infirmier(e)s et aides-soignant(e)s une appréciation subjective de leur état de santé. Sa validité vient d’être montrée chez des patients dont l’état de conscience est altéré, dans une démarche associant soignants et experts.
L’évaluation de l’état de conscience de patients atteints de lésions cérébrales graves est cruciale pour établir leur pronostic et, en conséquence, informer leurs proches. Dans un certain nombre de cas, elle hésite entre état végétatif
et état de conscience minimal
, ce dernier étant de meilleur pronostic.
Deux méthodes sont classiquement utilisées pour réaliser cette évaluation : l’expertise clinique, au moyen d’une échelle spécifique (Coma Recovery Scale – Revised
- CRS-R), et les examens d’imagerie cérébrale spécialisés (électroencéphalogrammes, potentiels évoqués cognitifs, PET-scan et IRM fonctionnelle). La première nécessite d’être répétée et faite par des cliniciens très expérimentés, mais à la disponibilité limitée. Les seconds sont indispensables mais insuffisants. En conséquence, le taux d’erreurs lié à l’utilisation conjointe des deux méthodes peut être assez élevé.
Deux infirmières du Département de neurologie du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière (AP-HP) ont eu l’idée de compléter cette évaluation par celle des infirmier(e)s et des aides-soignant(e)s s’occupant quotidiennement des malades concernés, basée sur leur ressenti subjectif de l’état du malade. L’approche suivie a été celle dite d’intelligence collective
(ou sagesse des foules
– wisdom of the crowds
dans la terminologie anglaise).
Le plus souvent possible, chaque soignant évalue subjectivement l’état de conscience du patient au moyen d’une échelle visuelle analogique notée de 0 à 10, proche de celle utilisée dans l’appréciation de la douleur. Puis les données obtenues sont rassemblées pour un même patient.
L’outil, baptisé DoC-feeling (Disorders of consciousness
) a été testé 692 fois chez 47 patients hospitalisés pour évaluation de leur état de conscience, par 83 infirmier(e)s et aides-soignant(e)s. Ses résultats étaient concordants avec ceux obtenus par examen CRS-R et par imagerie. Ils ont été publiés dans le prestigieux British Medical Journal (Open).
Ce travail met de plus en avant l’intérêt de l’intelligence collective et d’une approche collaborative face à une question clinique réputée complexe.
Les auteurs de l’article sont bien entendu les deux infirmières, mais aussi l’équipe médicale qui a contribué à la validation scientifique de la démarche : médecins du service hospitalier, INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), Institut du Cerveau et de la Moelle Épinière (CNRS – Centre national de la recherche scientifique ; Sorbonne Université).
Ils concluent que ce nouvel outil n’a pas pour vocation de remplacer les outils existants, mais qu’il en constitue un complément précieux. En effet, une des principales limites des méthodes existantes est la grande variabilité dans le temps des états de conscience d’un même patient : elles ne peuvent les évaluer qu’à un instant précis, alors que le DoC-feeling permet une appréciation sinon en continu, du moins répétée.
L’outil demande à être soumis à d’autres travaux pour confirmer sa validité, mais les auteurs pensent que la démarche d’intelligence collective associant les paramédicaux
peut être étendu à d’autres pathologies. Surtout, ils insistent en conclusion sur la nécessité d’encourager la recherche "paramédicale"
. Non seulement elle obtient des résultats tangibles, mais elle est un puissant facteur de reconnaissance des équipes.
Références
- INSERM. DoC Feeling : l’expertise des soignants contribue aÌ€ ameÌÂliorer le diagnostic des patients en eÌÂtat de conscience alteÌÂreÌÂe. Communiqué de presse, 22 février 2019.
- Hermann B*, Goudard G*, Courcoux K*, Valente M, Labat S, Despois L, Bourmaleau J, Richard-Gilis L, Faugeras F, Demeret S, Sitt JD, Naccache L & Rohaut B. Wisdom of the caregivers : pooling individual subjective reports to diagnose states of consciousness in brain-injured patients, a monocentric prospective study. BMJopen 2018-026211.
* premiers auteurs ex æquo
Serge CANNASSE
serge.cannasse@mac.com
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