L’Inspection générale des affaires sociales (Igas) constate des "dysfonctionnements systémiques" et "quotidiens" dans la gestion des agressions et des fugues de patients dans les services de psychiatrie, dans un rapport rendu public le 31 mai dernier.
Le rapport "Analyse d'accidents en psychiatrie et propositions pour les éviter" de 200 pages, rédigé par Françoise Lalande et Carole Lépine,a été mis en ligne le 31 mai dernier sur le site de la Documentation française. Le quotidien Le Parisien y a consacré deux pages dans son édition du même jour. Il présente 66 recommandations.
L'Igas a repris ses propres rapports d'enquête sur des "événements graves" survenus durant les cinq dernières années dans des hôpitaux psychiatriques et les a complétés avec des informations fournies par les agences régionales de santé (ARS), des visites dans des établissements et des données statistiques.
Le rapport traite à la fois d'agressions commises par des patients à l'extérieur, sur d'autres patients hospitalisés (y compris des agressions sexuelles) ou sur des personnels, de maltraitances physiques commises par des soignants sur les patients, et des fugues de patients, avec comme point la gestion de la sécurité dans les hôpitaux psychiatriques.
L'igas recommande un "changement d'état d'esprit"
Les auteurs tempèrent leurs propos, parfois très sévères, en indiquant qu'ils ont enquêté sur "des services qui fonctionnent mal" et les accidents présentés "ne forment pas un échantillon représentatif".
Le rapport se base notamment sur l'analyse de 19 homicides ou tentatives d'homicide (trois meurtres au cours de fugues, sept à l'intérieur d'un établissement hospitalier, cinq en sortie d'essai, quatre immédiatement après la sortie), d'une dizaine d'agressions sexuelles à l'intérieur de l'hôpital, des agressions de personnels recensées par l'Observatoire national des violences hospitalières (ONVH) et de témoignages.
La mission a par ailleurs évalué que de 8.000 à 14.000 fugues de patients en hospitalisation d'office (HO) ou à la demande d'un tiers (HDT) avaient lieu chaque année, ainsi qu'une quarantaine d'évasions de détenus hospitalisés.Ces chiffres témoignent "des difficultés de l'hôpital à répondre aux besoins de sécurité". Concernant les agressions sexuelles, l'Igas constate un "déni" de ces actes par les personnels avec pour conséquence la dégradation de la situation de la victime.
Les agressions envers les personnels et les malades sont plus nombreuses que l'ONVH ne le recense (entre 20 et 70 par an concernant les professionnels dans quatre établissements de taille moyenne selon l'estimation de l'Igas). La maltraitance physique des patients reste "un phénomène caché" les collègues "ferment les yeux" venant d'agents "peu formés, souvent livrés à eux-mêmes" du fait d'une "présence médicale lointaine", d'un "encadrement défaillant", de locaux vétustes et d'un "enfermement des malades".
L'Igas constate qu'une fugue est facile à entreprendre "à pied, en plein jour par le portail central" et, "dans la quasi-totalité des cas, le retour est rapide" et les fugues "n'ont pas de conséquences graves". Cependant elle entraîne une "rupture thérapeutique" préjudiciable au patient, un risque de rechutes des addictions, plusieurs décès (trois meurtres récents et "une quinzaine de suicides par an") et des conséquences judiciaires pour le détenu évadé et pour l'établissement de santé.
Mauvais usages hospitaliers et mauvaise conception des locaux
Les auteurs constatent que des "mauvais usages hospitaliers" ne respectant pas le droit des malades "créent des conditions favorables au passage à l'acte".
Ils citent "le confinement dans des espaces étroits de personnes de tous âges présentant des pathologies et des origines diverses", la négation de la vie privée (chambres communes, port du pyjama obligatoire en journée, repas en commun, chaîne de télévision imposée, absence de distraction) et "l'utilisation abusive des chambres d'isolement".
Ils critiquent aussi le manque de cohérence vis-à-vis des addictions: alcool prohibé, tabac consommé par 60% à 80% des malades et par un personnel "fortement fumeur" et des trafics de cannabis que les directions se disent "impuissantes à empêcher" alors qu'il est "un facteur contribuant à la survenue ou à la décompensation de certaines psychoses".
L'Igas constate que les accès des hôpitaux sont "mal aménagés et peu surveillés": "l'hôpital laisse entrer et sortir n'importe qui" et les unités sont mal conçues, ne permettant pas de séparer patients en hospitalisation libre et en hospitalisation sous contrainte, ne permettant pas une bonne surveillance ou mélangeant des profils très différents ("sujets fragiles, parfois âgés, apaisés ou proches de la sortie avec des jeunes entrants en crise souvent violents").
Elle ajoute que les taux d'occupation de 100% s'expliquent "parfois" par une "utilisation peu dynamique des lits".Elle pointe aussi, à la sortie de l'hôpital, l'absence de suivi des effets secondaires somatiques des médicaments et l'absence de contrôle de la non-reprise d'addictions.
L'Igas met aussi en avant la mauvaise gestion des ressources humaines conduisant à une moindre présence des personnels auprès des malades. Il n'y a pas de problèmes d'effectifs puisqu'on observe "une croissance régulière du nombre de soignants par lit" depuis 1989 mais "une présence médicale insuffisante", un absentéisme des soignants élevé, une réduction du temps effectif de travail en raison d'accords "négociés de façon anormalement libérale" et "des trop nombreuses pauses des fumeurs". L'Igas pointe aussi dans certaines régions le cumul d'emploi des personnels travaillant de nuit.
L'Igas constate également que la direction générale de l'offre de soins (DGOS), la direction générale de la santé (DGS) et les agences régionales de santé (ARS) n'ont pas désigné la sécurisation et l'amélioration de la qualité des soins comme priorité stratégique. Il n'existe "aucune incitation financière" pour distinguer un projet spécifique.
Rapport "Analyse d'accidents en psychiatrie et propositions pour les éviter" disponible ici
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