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"Pour soigner les soignants, il faut soigner le travail..."

Publié le 03/05/2017
Infirmière fatiguée en colère

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Hospimedia

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Trouver des solutions pour vaincre la souffrance des soignants au travail. C'est l'ambition de la journée "Prendre soin des soignants". Elle s'est tenue ce 25 avril à Paris, sous l'impulsion de l'Association d'aide aux professionnels de santé et médecins libéraux . Face à l'urgence de la situation, elle sera amenée à devenir un rendez-vous annuel. Merci à Hospimedia de partager avec la communauté d'infirmiers.com cet article.

Les nouvelles organisations du travail sont l'une des causes de la souffrance des soignants.

"Prendre soin des soignants". C'est l'enjeu de la conférence qui s'est tenue à Paris ce 25 avril. À l'initiative de l'Association d'aide aux professionnels de santé et médecins libéraux (AAPML), associations, syndicats et institutions, tous acteurs de l'entraide, se sont retrouvés pour échanger autour du délicat sujet de la santé des soignants.

Et les chiffres sont éloquents : toutes les enquêtes présentées ce 25 avril - de celles encore en cours au sein de l'Ordre des médecins (lire l'encadré) aux constats relatés par l'AAPML, en passant par le cas des internes évoqués Valérie Auslender (auteur de l'ouvrage Omerta à l'hôpital)-en - s'accordent sur l'inquiétante situation que subissent les soignants et l'urgence d'y remédier. Le besoin de coopération et de dialogue fait consensus. Il faut mettre en commun les expertises et les actions, a débuté le Dr Régis Mouriès, président de l'AAPML. La journée Prendre soin des soignantsdeviendra donc un rendez-vous annuel pour suivre l'évolution de la situation. C'est aussi dans cette logique qu'est née, impulsée par l'AAPML toujours, une nouvelle fédération. Elle rassemble sept associations1 et vise à l'entraide.

Une fédération pour soigner les soignants

La qualité de vie au travail est une question dont se sont saisies les institutions. Véronique Ghadi et Anne-Marie Gallet, respectivement représentant la Haute Autorité de santé (HAS) et l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), ont présenté leur démarche commune pour améliorer la qualité de vie au travail. Elle repose sur la mise en place d'expérimentations impliquant les professionnels. La DGOS, par la voix de son représentant, Pierre-Benjamin Gracia, a également rappelé les grandes lignes de la stratégie nationale "Prendre soin de ceux qui nous soignent". Elle comprend un volet hospitalier, dévoilé par la ministre des Affaires sociales et de la Santé en décembre 2016, ainsi qu'un volet ambulatoire , présenté en mars dernier.

Les nouvelles organisations du travail en cause

À travers la souffrance des soignants, c'est aussi la qualité des soins qui est en danger : Les experts pointent tous du doigt les nouvelles organisations managériales à l'hôpital. Elles détruisent le travail et la qualité du soin. Si des soignants ne sont pas soignés correctement, on peut facilement imaginer qu'il est d'autant plus difficile pour eux de soigner correctement les patients, illustre le Dr Valérie Auslender. Le défi est de taille. Comme le confirme le Pr Jean-Marc Soulat, chef de pôle santé publique au CHU de Toulouse (Haute-Garonne) : La question de la qualité de vie au travail est une démarche périlleuse car il faut combiner le bien-être des patients avec la qualité des soins et la contrainte économique.

Pour soigner les soignants, il faut soigner le travail et y remettre du sens."- Marie Pezé, psychanalyste et fondatrice de Souffrance et travail

Pour la psychanalyste et fondatrice de Souffrance et travail , Marie Pezé, les nouvelles organisations du travail compromettent en effet la reconnaissance et l'estime de soi. Les objectifs chiffrés ne font pas forcément bien faire le travail. Il existe aujourd'hui tout un tas d'outils de "grammaire chiffrée", algorithme et autre reporting, confirme-t-elle. Marie Pezé a rappelé l'existence des enquêtes de Sumer (pour surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels), qui, tous les deux ans, publie une évaluation chiffrée de la situation. La dernière relate notamment que 30% des salariés estiment être concernés par des comportements hostiles. Pour soigner les soignants, il faut soigner le travail et y remettre du sens, lance la psychanalyste. Elle en appelle au "courage collectif". Un conseil ? "Apprendre à dire non", insiste-t-elle. Et ne pas hésiter à tendre la main pour sortir ou faire sortir de l'isolement.

Vaincre la solitude

Plusieurs initiatives locales ont ainsi pu être mises en lumière ce 25 avril. Des retours d'expériences précieux, pour comprendre un phénomène qui touche aussi bien les libéraux que les hospitaliers. La gestion des événements indésirables graves semble symptomatique de la souffrance des soignants.

Au CHRU de Montpellier (Hérault), un dispositif d'aide aux secondes victimes a été mis en place dès 2013. Son responsable, le Pr Sébastien Guillaume, est venu le présenter. Celui-ci s'inspire des méthodes de prévention et sensibilisation de la filière du nucléaire. L'objectif ? Mettre fin à la culture du silence. Comment récupérer psychologiquement d'une erreur ? Le dispositif y répond, in situ, c'est-à-dire avec des référents au CHU qui sont formés tout spécialement, poursuit Sébastien Guillaume. Visite médicale obligatoire chez les jeunes médecins, formalisation de la conduite à tenir au moment des événements indésirables ou encore intégration dans la formation initiale et continue des professionnels sont des pistes de réflexion suivies à Montpellier. Le mot d'ordre de ce dispositif ? Ne jamais être seul face à une erreur, insiste Sébastien Guillaume.

La gestion des événements indésirables doit être enseignée et protocolisée. Mais il ne faut pas non plus oublier l'impact positif sur nos pratiques." - Jean Thévenot, président du conseil départemental de l'ordre des médecins de Haute-Garonne

Un point de vue partagé par la salle : On a parfois l'impression que l'on est responsable d'une faute, alors qu'on ne l'est pas. L'une des premières mesures mise en place par la commission santé des médecins anesthésistes-réanimateurs au travail (Smart) du Collège français des anesthésistes-réanimateurs (Cfar) a été, après la survenue d'un événement indésirable grave, de permettre au collègue mis en cause d'être raccompagné chez lui, témoigne le Dr Max-André Doppia, le président de la commission Smart. L'initiative "Dis doc, t'as ton doc ?", qui incite les médecins à avoir un médecin traitant et à mieux se soigner, a d'ailleurs été mise à l'honneur le même jour, lors du congrès de l'EAPH (European Association for Physicians Health). Elle a reçu le prix du meilleur poster, dans sa version anglaise. Le dispositif a en effet vocation à s'étendre à d'autres pays.

Créer des protocoles

Les professionnels libéraux aussi ont parfois ce sentiment de solitude au quotidien. Le Dr Jean Thévenot, président du conseil départemental de l'ordre des médecins de Haute-Garonne et gynécologue-obstétricien à Toulouse a souligné la nécessité du compagnonnage et de la confraternité. La gestion des événements indésirables doit être enseignée et protocolisée. Mais il ne faut pas non plus oublier l'impact positif sur nos pratiques, explique Jean Thévenot.

Et le phénomène de la souffrance au travail inquiète toutes les professions de santé. John Pinte, président de l'union régionale des professionnels de santé (URPS) des infirmiers libéraux en Île-de-France, a présenté l'initiative dans la région. Une enquête lancée en 2014 par l'URPS et l'AAPML met en lumière les causes de mal-être chez ces professionnels : d'abord la non-reconnaissance à leur juste valeur, l'excès de paperasse et également des patients de plus en plus exigeants, a-t-il illustré. Les URPS doivent jouer un rôle d'orientation vers les interlocuteurs dédiés, tels que l'AAPML et autres plateformes d'appels, poursuit John Pinte. C'est un travail qui doit être collectif, c'est une mobilisation que l'on doit impulser ensemble et qui nous permettra de faire émerger des solutions, conclut-il.

L'ordre enquête sur la santé des médecins

Consciente des difficultés du quotidien, la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf) souhaite développer les dispositifs de soutien, en collaboration avec l'Ordre des médecins. Son président, le Dr Thierry Lardenois, a présenté le dispositif d'entraide de la caisse et détaillé les prérogatives de la commission du fonds d'action social de la Carmf. Un soutien mené en partenariat également avec le Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom) et ses représentants dans les territoires. Représentant le Cnom, le Dr Jacques Morali a détaillé les premières données de l'Observatoire de la santé des médecins. Du 13 février au 24 avril, l'ordre a interrogé par mails ses membres. Professionnels de médecine générale, anesthésie-réanimation, gynécologie-obstétrique, médecine du travail et psychiatrie ont ainsi été questionnés. L'étude révèle des chiffres inquiétants : sur 10 854 réponses, pas moins de 2 786 médecins estiment être en moyenne ou mauvaise santé. Près de 30% des médecins répondants confient en outre avoir déjà eu des idées suicidaires. Le détail de cette enquête sera dévoilé par le Cnom courant 2017.

Note

  1. Association d'aide aux professionnels de santé et médecins libéraux (AAPML), Commission nationale d'entraide de l'ordre des médecins, l'association Association Médecin organisation travail santé (Mots), réseau Aide aux soignants de Rhône-Alpes (Asra), Association santé des soignants en Poitou-Charentes (ACPSC), entraide régionale des médecins de Bretagne (ERMB), Association pour les soins aux soignants (APSS).

Clémence NAYRAC

Cet article a été publié sur HOSPIMEDIA le 26 avril 2017. Tous droits réservés 2001/2017 - HOSPIMEDIA


Source : infirmiers.com