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PSYCHIATRIE

Phobies d'impulsion : ce qu'il faut comprendre

Publié le 03/01/2019
phobie, impulsion

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Concrètement, les personnes souffrant de phobies d’impulsion redoutent de blesser les autres ou elles-mêmes, physiquement ou moralement. Obsédées par l'angoisse du passage à l'acte violent, elles ne peuvent utiliser les objets potentiellement dangereux du quotidien. Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie nous en dit plus... 

Concrètement, les personnes souffrant de phobies d’impulsion peuvent « se voir » agresser leurs proches ou des inconnus à l’aide d’armes ou d’objets dangereux, les précipiter dans le vide, ou, moins dramatiquement, les insulter.

Âgée de 32 ans et mère de deux enfants, Caroline est venue me consulter car elle souffrait d’une phobie particulièrement handicapante : il lui était impossible de manipuler des couteaux ou des objets dangereux à proximité d’autres personnes. Elle m’a expliqué que tout avait commencé trois ans auparavant, par un fait divers tragique. Un jour, j’ai entendu à la radio qu’une mère de famille avait soudainement poignardé ses enfants avant de mettre fin à ses jours. Rien ne pouvait expliquer ni faire craindre cet acte, la femme n’étant pas connue comme malade ou violente. Depuis, Caroline se trouve envahie par la peur de céder elle-même à un tel coup de folie. « Si cela peut arriver, pourquoi pas à moi ? ». La jeune femme souffre d’une forme particulière de trouble obsessionnel compulsif (TOC), les phobies d’impulsion (ou obsessions impulsives).

La peur de la perte de contrôle

Caroline n’est pas atteinte d’une simple phobie des couteaux ou des ciseaux. Contrairement à ce que ressentent les personnes souffrant de phobies d’animaux ou de lieux clos, elle ne redoute pas ces objets en eux-mêmes. En revanche, elle craint les actes qu’elle pourrait commettre avec ces instruments dangereux si elle était prise d’une pulsion violente, soudaine et irrépressible. Cette peur extrêmement douloureuse appartient à la catégorie des troubles obsessionnels-compulsifs (TOC). Toutes ces pathologies sont liées à une crainte profonde de ne pas contrôler suffisamment son comportement ou sa pensée, et de commettre ainsi des erreurs, voire des fautes graves (TOC dits de « vérification » ou de « mauvaises pensées »), de se contaminer en raison d’une mauvaise protection ou d’un mauvais nettoyage (TOC de « lavage »), ou encore de mal maîtriser son environnement (TOC « d’ordre et de rangement »).

Concrètement, les personnes souffrant de phobies d’impulsion redoutent de blesser les autres ou elles-mêmes, physiquement ou moralement. Elles peuvent ainsi « se voir » agresser leurs proches ou des inconnus à l’aide d’armes ou d’objets dangereux, les précipiter dans le vide, ou, moins dramatiquement, les insulter. Ces pulsions inadmissibles sont souvent reliées aux valeurs morales et aux peurs sociétales et culturelles. Aujourd’hui, on constate par exemple que les thématiques sexuelles sont de plus en plus présentes dans les phobies d’impulsion, notamment en ce qui concerne la crainte d’actes sur des enfants. Les mêmes types de pulsions agressives peuvent être redoutées envers soi-même, sous la forme de gestes suicidaires impulsifs. En réponse, les patients cherchent des stratagèmes pour s’éloigner des lieux ou des objets dangereux (fenêtres, métro, aiguilles, lames, etc.) ou pour neutraliser symboliquement leurs « mauvaises pensées » (répétition de phrases, de chiffres ou d’actes conjuratoires). Tout ceci provoque des angoisses très fortes, à la hauteur de la gravité des malheurs redoutés.

Il n’y a pas une cause unique et clairement identifiée pouvant expliquer la survenue de phobies d’impulsions. Celles-ci résultent probablement d’une conjonction de facteurs de vulnérabilité.

Plusieurs centaines de milliers de personnes concernées en France

On ne dispose pas de statistiques précises sur le nombre de personnes souffrant de phobies d’impulsion. Il faut d’ailleurs bien distinguer cette pathologie, définie par un niveau important d’angoisse et de perturbations dans la vie quotidienne, de peurs du même type mais légères et transitoires, qui peuvent concerner quasiment tout un chacun, sans gravité. Environ 2 % des adultes font l’objet d’un diagnostic de TOC avéré. Environ un quart de ces cas concernent des phobies d’impulsion. Plusieurs centaines de milliers de personnes seraient donc touchées en France par ce type de TOC, qui touche à peu près autant d’hommes que de femmes.

Tout d’abord, comme dans tous les TOC, il doit exister une certaine prédisposition interne, d’ordre psychologique mais reposant sans doute sur des particularités cérébrales. Ces dernières concernent les systèmes cognitifs du contrôle de l’action ou de la pensée, trop exigeants et générateurs de doutes et de besoins excessifs de maîtrise. Ceci explique qu’une personne souffrant de phobies d’impulsion peut avoir, en même temps ou à une autre période de sa vie, d’autres types de TOC, de vérification, d’ordre ou de lavage. À cette vulnérabilité psycho-biologique s’ajoutent des facteurs émotionnels et les événements perturbateurs, stress divers et, parfois, véritables traumatismes. Les changements de vie, surtout quand ils s’accompagnent d’une augmentation de la responsabilité personnelle ou professionnelle, peuvent conduire à l’éclosion du trouble. Un exemple typique est la maternité, avec des formes transitoires ou plus durables de phobies d’impulsions des jeunes mères à l’égard de leurs nouveau-nés, probablement liées à l’addition des facteurs hormonaux, émotionnels et psychologiques du post-partum.

Les phobies d’impulsions peuvent par ailleurs être favorisées par l’existence d’autres troubles psychiques, notamment la dépression ou les troubles anxieux sévères.

Des traitements existent

Comme tous les TOC, les phobies d’impulsion peuvent être traitées efficacement. Les personnes touchées mettent souvent du temps à consulter pour demander de l’aide, car elles ont du mal à comprendre ce qui leur arrive. De plus, elles ont généralement honte d’en parler. Par ailleurs, le diagnostic n’est pas toujours facile à poser : une ou plusieurs consultations avec un psychiatre sont souvent nécessaires pour évaluer les symptômes de manière minutieuse, et identifier le trouble ainsi que les éventuelles autres problématiques associées. Les traitements sont surtout psychologiques et comportementaux, mais une prescription médicamenteuse peut s’avérer très utile en complément. Les antidépresseurs sont efficaces, même sans dépression associée - lire aussi : Les antidépresseurs sont-ils de dangereuses drogues ? - Ils permettent de réduire progressivement le niveau d’envahissement mental par les obsessions, ainsi que le niveau d’angoisse. Ils peuvent être prescrits sur de longues durées, sans risque de dépendance et, en général, sans effets secondaires trop gênants. Mais l’essentiel de la prise en charge repose sur les psychothérapies, et le plus souvent sur une thérapie comportementale et cognitive. Celle-ci consiste surtout à analyser les réactions du sujet face aux idées obsédantes, puis à les modifier progressivement grâce à une compréhension de ce qu’elles sont : des peurs, et rien d’autre. En effet, les phobies d’impulsion ne comportent en elles-mêmes aucun risque, et notamment aucun des risques redoutés. Les personnes souffrant de phobies d’impulsion n’effectuent jamais de passage à l’acte dangereux, pour elles-mêmes ou pour les autres (sauf, bien sûr, si ces actes sont provoqués par d’autres pathologies telles qu’une dépression ou une psychose, ou encore en cas de prise d’alcool).

Avoir peur de commettre un acte violent, alors qu’on ne le souhaite pas, ne provoque en aucun cas une perte de contrôle. La thérapie permet de prendre conscience de cette différence essentielle entre peurs et désirs, et de retrouver confiance en soi en adoptant des attitudes plus saines et sereines face aux obsessions. Ainsi, celles-ci vont peu à peu s’atténuer.

Antoine PELISSOLO
Professeur de psychiatrie, Inserm, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC). Auteur, en 2017, de l'ouvrage "Vous êtes votre meilleur psy", Flammarion.

Déclaration d’intérêts
Antoine Pelissolo a reçu ces trois dernières années des financements (rémunérations pour des travaux de recherche ou de formation, ou invitations à des réunions scientifiques) des laboratoires pharmaceutiques Biocodex, Otsuka et Janssen-Cilag.

Cet article a été publié par The Conversation le 5 décembre 2018.


Source : infirmiers.com