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Pédiadol : la phobie des soins chez l’enfant

Publié le 03/01/2019

À l’occasion d’une journée plénière qui se tenait à l’Unesco le 6 décembre 2018, des professionnels de santé et de l’enfance, ont réfléchi ensemble à la prise en charge de la douleur chez l’enfant dans le cadre des 25èmes Journées de l’association Pédiadol. Pour cette nouvelle édition, l’accent a notamment été mis sur la phobie des soins.

Pour Bénédicte Lombart, infirmière, docteure en philosophie pratique et éthique hospitalière, il faut "s’arrêter quelques instants, faire formuler la peur à l’enfant, l’aider à exprimer ce qu’il appréhende".

La douleur chez l’enfant, il y a 30 ans, était absente et "n’existait pas" dans la pratique médicale . Aujourd’hui, nous pouvons mieux la comprendre et mieux la soulager, explique en préambule l’association Pédiadol. Pourtant, trop d’enfants sont encore exposés à la violence des soins. La résistance au changement, le déni et l’inertie demeurent des freins trop présents. Pédiatres, neurologues, psychologues, puéricultrices, infirmiers, sages-femmes... se sont succédés à la tribune lors des 25èmes Journées de la douleur de l’enfant. Ils ont présenté des méthodes pour la soulager et promu "les bonnes pratiques". Un certain nombre d’enfants exposés à des soins, à des actes douloureux ou stressants vont développer lors de leurs rencontres avec les blouses blanches des comportements d’agitation, voir de panique, qui vont générer de la part des soignants, une contention souvent massive qui va elle-même renforcer ces comportements phobiques de l’enfant. Au vu de ce constat, certaines équipes soignantes mettent en place des méthodes permettant de limiter la douleur provoquée par les soins et tentent de prévenir l’installation de la phobie. Florence Reiter, psychologue à l’hôpital Armand-Trousseau (Paris) et Bénédicte Lombart, infirmière, cadre de santé, docteure en philosophie pratique et éthique hospitalière à l’hôpital Saint-Antoine (Paris), ont exposé leurs travaux sur le thème " Phobie des soins : Que pouvons-nous faire ?".

Reconnaître l’expérience de l’enfant, arrêter de disqualifier ses peurs, sa parole

La peur fait partie du développement de l’enfant et évolue avec l’âge. C’est une émotion utile qui apprend à l’enfant à s’adapter, rappelle en introduction Florence Reiter. Vient ensuite la phobie que la psychologue définie ainsi : C’est l’intensité de la peur, le fait que ça dure longtemps. La phobie de l’enfant bloque son apprentissage, sa capacité de penser. L’hôpital est un lieu hostile dans lequel il est important d’établir un lien de confiance, d’expliquer ce qu’il va se passer. Face à la phobie des soins chez l’enfant, quel rôle doit alors avoir le soignant ? Dans son exposé, Bénédicte Lombart, docteure en philosophie, délivre quelques repères concrets : Quand tu es pressé, prends ton temps ! Reconnaître l’expérience de l’enfant, arrêter de disqualifier ses peurs, sa parole et l’inviter à nous raconter permettent de "perdre" moins de temps et de "gagner" en qualité. Après avoir reconnu l’expérience de l’enfant, il est plus simple de distinguer la peur pathologique ou normale de la phobie pour pouvoir s’interroger : Est-ce une réaction isolée, est-ce une ponctuelle ? Y a-t-il des précédents dans l’histoire de l’enfant ? La phobie avérée se travaille en conjuguant les regards (patients, soignants, psychologues etc.) pour prendre en compte le parent, lui permettre d’être présent, éviter la précipitation, analyser les peurs (éviter de combattre toutes les peurs en même temps), parler au corps (utiliser les registres sensoriels), reporter le soin lorsque c’est possible et recourir à la sédation si possible, utiliser systématiquement les moyens d’analgésie adaptés et performants. Dans un second temps, se "mettre en mouvement vers l’enfant" en rejoignant son univers : rechercher ce qui l’anime (centres d’intérêt), introduire le jeu dans un environnement biomédical inquiétant. La confiance est centrale dans la relation soignant-soigné autour de l’enfant. Obtenir sa confiance mais aussi celle des parents, avoir confiance en ses compétences, conduit à preuve de conviction : L’une des clés de la réussite !

Stop (arrêter), think (penser), observe (observer), proceed (procéder)

Afin d’éviter la contention forte, Bénédicte Lombart préconise de proposer à l’enfant certains choix (sa position, le bon moment), d’éviter de contenir d’emblée (plus un enfant est maintenu fermement, plus il va chercher à se débattre), d’éviter d’allonger l’enfant systématiquement (la perte de la maitrise entraine l’agitation). Face aux signaux d’alerte, la docteure en philosophie "pratique et éthique hospitalière" suggère d’appliquer la méthode Stop (arrêter), think (penser), observe (observer), proceed (procéder) : s’arrêter quelques instants, prendre le recul nécessaire, réinterroger certains points, faire formuler la peur à l’enfant, l’aider à exprimer ce qu’il appréhende. Cette méthode donne à voir à l’enfant, l’attention, l’effort du soignant, pour le rejoindre là où il est . En l’occurrence, coincé dans sa peur.

Dans une vidéo projetée en amont des interventions de Florence Reiter et de Bénédicte Lombart, la mère d’Agathe, phobique des soins, raconte: Agathe a fait un AVC suite à une rupture d’anévrisme à l’âge de cinq ans. Ce qui a nécessité une opération urgente. Pendant son coma, elle recevait des soins toutes les trois heures et quand elle s’est réveillée, elle était paniquée. Le fait que mon compagnon et moi, ne puissions pas participer à tous les soins, a généré encore plus d’angoisse chez elle. Elle était terrorisée dès qu’il y avait quelque chose de nouveau. Il fallait tout expliquer, prendre du temps pour tout et le summum, c’était lors les soins invasifs comme les prises de sang, les perfusions. Des longs moments (2h-2h30) où nous devions contenir Agathe par force car les équipes nous faisaient comprendre que le temps était précieux. Au début, les soignants étaient compréhensifs puis très rapidement ils disaient à Agathe : "écoute ça suffit, il faudrait y mettre un peu du tien.

Devant ces situations difficiles au moment des soins, rien n’a été proposé à la mère d’Agathe qui s’est sentie "très seule", "incomprise" :Quand j’en ai parlé au neurologue, au médecin, ils disaient que j’exagérais. Personne n’imaginait à quel point, toutes ces séances, toutes ces piqûres, étaient horribles à vivre pour elle, pour moi, pour mon conjoint, pour l’équipe soignante aussi. On était complétement dépassés, confie-t-elle avec émotion. Face à la phobie de sa fille, la mère d'Agathe décide de consulter une hypnothérapeute: C’était une femme avait une robe fleurie, qui parlait avec une voix douce et qui a trouvé des techniques pour défocaliser, décentrer et amener ma fille dans un autre monde. L'hypnothérapeute a proposé de nous accompagner pendant une IRM. On n’a pas forcé Agathe à s’allonger, ça a été détourné de façon ludique, adapter à une fille de 5 ans et à la fin, Agathe n’avait plus peur des piqûres. Elle s’est sentie en confiance, elle s’est laissée apprivoiser car l’hypnothérapeute faisait sentir à ma fille, qu’elle savait ce qu’elle faisait.

Comment soulager la douleur de l’enfant ?

L’association Sparadrap aide les enfants à avoir moins peur et moins mal lors des soins à l’hôpital. L'association agit pour que les enfants soignés et hospitalisés comprennent ce qu'on va leur faire, bénéficient de tous les moyens pour soulager leur douleur, aient leurs proches à leurs côtés dans ces moments difficiles.

Interrogée à la fin de sa présentation sur le manque de moyen, de temps et la difficulté de mettre en place les conseils prodigués tout au long de son intervention, Bénédicte Lombart invite les soignants à, malgré tout,éviter de démissionner de la pensée en raison des contraintes qui pèsent à l’hôpital. Avant de conclure : C’est nous les opprimés du système institutionnel, obligés de nous débattre, mais je crois qu’il n’y a pas d’autres solutions. Il faut qu’on fasse avec ce que l’on a pour investir le mouvement psychique qui nous permet de nous mettre en mouvement et trouver des alternatives. Si nous disons que c’est à cause de l’institution, nous risquons d’attendre longtemps. En parallèle, on est obligés d’investir notre propre responsabilité vis-à-vis de cette transformation des pratiques.

Inès KheireddineJournaliste infirmiers.com ines.kheireddine@infirmiers.com  @Ineskheireddine


Source : infirmiers.com