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AU COEUR DU METIER

L'Ordre infirmier répond à notre article sur le projet de code de déontologie

Publié le 21/02/2011

Dans un courrier adressé à notre directeur de publication, la présidente du Conseil national exprime son désaccord avec plusieurs points de cet article.

Lettre de Madame Dominique Le Boeuf, présidente du Conseil National de l'Ordre infirmier, adressée à Monsieur Antoine Huron, directeur de publication d'Infirmiers.com.

Monsieur le Directeur,

Infirmiers.com a mis en ligne le 12 janvier dernier un article de votre collaboratrice Mme Nathalie LELIÈVRE intitulé : « Le projet d’un code de déontologie de la profession IDE : une véritable réforme ? »

Cet article se livre à un commentaire du projet préparé et adopté par notre Conseil national, qui doit, conformément à l‘article L. 4311-1 du code de la santé publique, être édicté sous la forme d’un décret en Conseil d’Etat.

Nous attendons avec beaucoup d’intérêt les éventuelles observations du Conseil d’Etat sur ce texte, lorsque le ministère de la santé voudra bien le lui communiquer comme le veut la loi, ce que nous attendons depuis un an.

L’auteure de votre article, pour sa part, après diverses critiques sur certaines dispositions du projet, conclut: « Mais soyons rassurés ! » car, en citant Mme BACHELOT, « (Le ministère de la santé) procède à son analyse et apporte les adaptations nécessaires, notamment sur le plan juridique. »

Cette conclusion révèle un net défaut d’information et une candeur proche de la naïveté. En effet, jamais ce ministère n’a pris contact avec nous dans cette perspective. Il n’a pas non plus énoncé la moindre remarque suggérant qu’il en aurait seulement entrepris l’examen.

En attendant qu’il le fasse, certaines opinions de l’auteure de votre article méritent quelques mises au point.

D’emblée, la question posée dans son titre (« une véritable réforme ? ») révèle une méprise sur la nature et la finalité de ce code. Il ne vise nullement à bouleverser les règles professionnelles existantes, qui datent de 1993. Il s’agit de les enrichir pour prendre en compte des situations et des lois de portée générale nouvelles apparues depuis dix-huit ans, en précisant et en complétant au besoin ces dernières lois en fonction des problématiques proprement infirmières. Le projet s’appuie pour cela sur l’expérience et la réflexion de la profession elle-même, dans toutes ses composantes  ̶  ce qui, pour le coup, est une nouveauté radicale, permise par l’existence de l’Ordre.

C’est pourquoi le code de déontologie comprendra un nombre d’articles (et d’alinéas) quasiment doublé par rapport aux règles professionnelles de 1993. Il se veut ainsi la synthèse, sous une forme enfin à jour et facilement accessible, de tous les repères aujourd’hui nécessaires pour éclairer les consœurs et les confrères en vue d’une pratique quotidienne éthique. Il leur permettra aussi, sur bien des points, de défendre cette éthique contre toutes les tentations ou pressions qui pourraient risquer de les en écarter. Ils trouveront pour cette défense leur Ordre à leurs côtés.

Il n’y a pas là, vous le voyez, de quoi « créer beaucoup d’émoi dans la profession », comme l’article l’affirme à la fois dans son introduction et sa conclusion, alors même qu’il ne mentionne nulle part la moindre disposition qui aurait pu provoquer un tel résultat. Si émotion il y a (en dehors d’une certaine frustration, due au blocage incompréhensible d’un texte destiné à servir l’intérêt des patients comme celui des infirmiers eux-mêmes), elle ne peut être due qu’à une désinformation délibérément répandue par certains sur tout ce qui concerne l’Ordre et son action.

J’en viens aux analyses figurant dans l’article. Elles apparaissent souvent, à la fois, trop systématiquement centrées sur la pratique à l'hôpital et trop oublieuses du rôle propre de l’infirmier.
Or, une forte minorité d’infirmiers exerce soit en libéral, soit dans des structures autres que les établissements de santé (établissements médico-sociaux, collectivités territoriales, Education nationale, santé au travail, etc.). Dans tous ces cas, le recours au médecin est moins aisé qu’à l’hôpital, voire difficile ou très difficile. C’est la réalité d’aujourd’hui, notamment avec la fréquente pénurie de médecins, et notre code de déontologie doit prendre en compte toutes les situations. L'infirmier doit alors délivrer les soins indispensables, même si l’information du médecin n’a pu être préalable.

Le rôle propre de l’infirmier est également sous-estimé par l’auteure de l’article, comme par beaucoup de commentateurs qui sont peu au fait des pratiques réelles sur le terrain, et des nombreuses dispositions du "décret d’actes" qui les légitiment pleinement. Si ces dispositions sont inégalement mises en œuvre selon les contextes d’exercice, c’est par la force d’habitudes "médico-centrées", notamment à l’hôpital, au contraire de ce qu’on observe dans les autres pays avancés. Notre Ordre, lui, est chargé par la loi de contribuer à la promotion de la profession comme à la qualité des soins. Il entend donc tirer parti sans réserve de la réglementation existante à cet égard, et soutenir l’infirmier dans cette voie, sans naturellement jamais s’écarter ni de la loi ni de l’intérêt du patient.
Paradoxalement, l’article critique le fait que le projet prescrive à l'infirmier de consacrer aux soins « le temps nécessaire ». Il lui objecte les « tendances actuelles » au « rendement et à la rentabilité depuis la nouvelle tarification hospitalière et les réductions de personnel... ». Faut-il rappeler que le rôle de la déontologie est justement de consacrer un certain nombre de principes qui permettent de faire barrière à de telles évolutions pour préserver l'intérêt du patient ?

L’analyse critique aussi la disposition selon laquelle « conformément à l'article L. 1110-4 du code de la santé publique, en cas de diagnostic ou de pronostic grave, l'infirmier peut être chargé par le médecin, de délivrer à la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l'article L. 1111-6, les informations nécessaires destinées à leur permettre d'apporter un soutien direct à la personne malade ». Or, ce sont là les termes mêmes de l’article L. 1110-4 ! Ce texte ajoute, s’agissant des informations proprement médicales, « Seul un médecin est habilité à délivrer, ou à faire délivrer sous sa responsabilité, ces informations ». Par qui donc votre collaboratrice pense-t-elle que le médecin peut faire délivrer lesdites informations sous sa responsabilité, sinon par l’infirmier présent au chevet du malade et accessible à ses proches ?

Elle qualifie de « faute de frappe » la formule « consentement libre et informé » au prétexte que la « coutume » consiste à dire « libre et éclairé ». Cette coutume n’a aucunement force de droit. En outre, l'expression « consentement libre et éclairé » se rapporte à l'annulation des conventions et est utilisée dans le cadre de la responsabilité civile professionnelle. Or, tel n'est pas le registre du code de déontologie. Celui-ci peut parfaitement choisir les vocables qui lui paraissent pertinents dans le cadre de la délégation partielle de pouvoir réglementaire qui lui est accordée par la loi.

Quant aux remarques sur le secret professionnel permettant à l'infirmier de dénoncer des maltraitances contre des personnes privées de liberté (dont la définition ne semble pas poser de grandes difficultés...), l'interprétation des articles 226-14 (que l'auteure cite) et 434-3 (qu’elle ne cite pas) du code pénal fait l'objet de débats chez les spécialistes. Le rôle du code de déontologie, comme norme d'application et de précision de la loi, est justement de prendre position sur cette interprétation.

On s'étonne, pour terminer, du commentaire relatif à la publicité, estimant que les dispositions déontologiques devraient être aménagées eu égard « aux directives » (sic) services. Il ignore en effet l’arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 19 mai 2009 (affaire C-531/06).

Selon cet arrêt, « le pharmacien de profession, (…) est censé exploiter la pharmacie non pas dans un objectif purement économique, mais également dans une optique professionnelle. Son intérêt privé lié à la réalisation de bénéfices se trouve ainsi tempéré par sa formation, par son expérience professionnelle et par la responsabilité qui lui incombe, étant donné qu’une éventuelle violation des règles légales ou déontologiques fragilise non seulement la valeur de son investissement, mais également sa propre existence professionnelle ». La Cour s’appuie ici sur des exigences propres aux professions de santé réglementées.

Elle admet, dans la droite ligne de sa jurisprudence antérieure, que la protection de la santé publique figure parmi les raisons impérieuses d’intérêt général qui peuvent justifier des restrictions aux libertés économiques de droit commun garanties par
le traité de l’Union.

Il y aurait encore des remarques à formuler sur d’autres points, mais je m’en tiens ici aux sujets principaux. Compte tenu de leur importance, il nous semblerait utile à vos lecteurs internautes que vous leur permettiez de prendre connaissance de la présente lettre.

Je vous en remercie à l’avance et vous prie de recevoir, Monsieur le Directeur, l’assurance de mes meilleures salutations.

Dominique LE BŒUF
Présidente de l'ONI


Source : infirmiers.com