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A lire - Ni nurse, ni nonne : le mythe infirmier

Publié le 03/01/2013
Le mythe infirmier

Le mythe infirmier

A lire - Ni nurse, ni nonne : le mythe infirmier

A lire - Ni nurse, ni nonne : le mythe infirmier


Les infirmières seraient les héritières à la fois des religieuses hospitalières et des « nurses » de la Croix Rouge créées par Florence Nightingale pendant la guerre de Crimée. Pour le théoricien, des soins infirmiers Michel Nadot, il s’agit d’un mythe préjudiciable à la mise en évidence et en valeur du véritable travail infirmier. Celui-ci est certes au service des malades et des médecins, mais aussi des collectivités et établissements dans lesquels il s’effectue. C’est essentiellement un travail de médiation entre ces différentes sphères d’action dans le but d’assurer le bon fonctionnement de l’ensemble.
Merci à Serge Cannasse de partager avec la communauté d’Infirmiers.com cet intéressant décryptage publié récemment sur son blog Carnets de santé.

Parmi les théoriciens des soins infirmiers, Michel Nadot est incontestablement un auteur important, sinon le plus important, au moins dans l’espace francophone. Le point de départ de son travail est une interrogation sur leur spécificité : « en quoi les soins infirmiers sont ils infirmiers  ? », selon une formule qu’il affectionne. Pour y répondre, son travail articule une observation minutieuse des pratiques infirmières dans les services hospitaliers (suisses) et une recherche historique poussée. Celle-ci aboutit aujourd’hui à un livre qui se veut un « pavé dans la mare », qui « est cette espèce d’insouciance angélique, cette eau dormante, cette forme d’indifférence représentée par l’absence de sens critique chez certaines infirmières par rapport à l’identité de leur discipline » (qui peut aller de pair avec un sens aigu de la critique du système de soins).

Pour répondre à la question de départ, il faut se débarrasser de deux « faux parents » : la médecine et les églises (catholiques et protestantes) n’ont pas engendré le métier. Celui-ci est fondé sur des pratiques et des savoirs qui le rangent du côté des sciences humaines.

Soumises, dévouées, disponibles, peu coûteuses

Le mot « infirmier » est d’origine religieuse. Sa prééminence correspond historiquement à une époque qui va en gros de la deuxième moitié du 18ème siècle à la fin du suivant : celle qui voit les médecins et les ordres religieux unis pour s’approprier l’hôpital et le réorganiser en un établissement proche d’une « maison monacale » (c’est-à-dire, entre autres, fermé).

Pour les médecins et les directions hospitalières, même laïques, les religieuses ont plusieurs avantages : elles sont soumises (une infirmière se doit d’être obéissante au médecin et à sa hiérarchie), elles sont dévouées (elles répondent à une vocation qui doit leur assurer un salut éternel), elles sont formées conformément à leurs attentes, elles ne coûtent pas cher, elles sont disponibles en nombre, alors que les besoins en personnels augmentent, et enfin ce sont d’excellentes administratrices. Ce sont elles, les infirmières. Le mot associe deux étymologies, infirme et enfer, c’est-à-dire en allant vite « faible, malade, mauvais, malsain », que ce soit le corps ou l’âme, et « damnation », les maux du corps ou de l’âme étant la conséquence d’une faute, d’un pêché. Les infirmières sont les religieuses qui prennent en charge les personnes atteintes dans le but d’assurer leur salut.

« Les infirmières détiennent des savoirs qui se transmettent et s’affinent de génération en génération, mais qui sont invisibles, y compris souvent à leurs propres yeux, comme aujourd’hui. »

Des savoirs populaires, non écrits, invisibles, ignorés

Elles vont progressivement remplacer l’ancien personnel ou le mettre sous leur coupe, lui déléguant notamment toutes les tâches ingrates « indignes » de leur état, puis bien plus tard, lui imposant d’être « infirmier ». Ce personnel exerce depuis au moins le 12éme siècle dans des établissements en grande partie publics, largement autonomes dans leur gestion et leurs ressources (les hospices, hôpitaux, etc ne sont pas seulement religieux, contrairement à une légende coriace). On dirait aujourd’hui que ce sont des entreprises, dont les ressources sont essentiellement agricoles et dont le but n’est pas le profit, mais le service aux indigents. En poursuivant l’analogie, son « conseil d’administration » serait issu de la bourgeoisie locale, l’encadrement serait assuré par un ou une « cadre de santé » chargé(e) de la gestion et de la supervision du personnel et plutôt issu(e) des couches favorisées de la ville, alors que ce personnel est issu des classes populaires.

Les fonctions de ces « servant(e)s » sont multiples : s’occuper de l’institution (le domaine), de la collectivité (le groupe humain) et de l’homme ou la femme recueilli(e). Avant même de répondre aux prescriptions des « institutionnels » ou des médecins, leur rôle essentiel est d’être au cœur des échanges dans l’établissement. Ce sont avant tout des médiatrices (car ce sont surtout des femmes), entre humains de différents statuts et entre humains et objets (par exemple, savoir réapprovisionner une denrée manquante), indispensables à la vie de l’établissement. Les véritables ancêtres des infirmières actuelles, ce sont elles.

Elles détiennent des savoirs qui se transmettent et s’affinent de génération en génération, mais qui sont invisibles, y compris souvent à leurs propres yeux, comme aujourd’hui. Ainsi, une étude internationale menée par Michel Nadot a montré qu’en moyenne 72 % du temps de travail des infirmières actuelles n’est pas dévolu aux soins « médicaux », prescrits ou non (qui n’occupent que 12 % de leur temps), mais au recueil et à la gestion de l’information, à la gestion administrative, à la coordination, à la régulation et aux relations (entre professionnels et entre professionnels et malades). L’infirmière n’est pas présente que pour le malade, loin de là ! ce qui implique que les indicateurs de charge de son travail doivent tenir compte des véritables fonctions qu’elle exerce et pas seulement se baser sur ce que les médecins, les gestionnaires et les consultants en perçoivent.

« Michel Nadot tente de sortir du « mythe » et d’en tirer les conséquences, éminemment pratiques, sur la nature même du travail infirmier. »

Valérie de Gasparin, pour la laïcité et la liberté

Comment ce travail a-t-il été occulté ? D’une part, on l’a vu, médecins et ordres religieux ont pris le pouvoir dans les hôpitaux. Ils ont pu y imposer leurs discours et leurs points de vue, y compris sur ce que doit être le rôle infirmier. Au passage Michel Nadot écorne singulièrement la figure de Florence Nightingale, l’icône fondatrice du mythe infirmier, vénérée par toute la profession. Malgré sa volonté d’élever le niveau d’instruction des infirmières, il préfère à cette dévote et affiliée à une organisation de type militaire (la Croix Rouge d’alors) la figure de sa rivale Valérie de Gasparin, qui a perdu la bataille, fondatrice d’une école laïque pour les soignantes, dont elle voulait qu’elles exercent un métier « normal », sans obligation de vocation, et qu’elles soient « libres ».

D’autre part, les « servantes » (en fait, leurs noms ont été multiples) sont le plus souvent illettrées, donc dans l’incapacité d’écrire leurs savoirs et de contrecarrer les règles savamment rédigées des ordres religieux, à supposer qu’elles en aient eu l’idée, ce qui est hautement improbable. L’époque n’était pas encore mûre pour cela.

En définitive, l’objet du travail de Michel Nadot n’est pas tant de fonder abstraitement une identité « infirmière » (qui a bien du mal à se constituer) dans un but louable de « reconnaissance ». Il est de sortir du « mythe » et d’en tirer les conséquences, éminemment pratiques, sur la nature même du travail infirmier, par exemple en donnant un soubassement rationnel solide aux revendications sur les conditions de travail (au-delà de la pénibilité et de ses conséquences) et en engageant l’efficacité du système de soins.

Un travail précurseur

Voici résumé à grands traits (trop grands traits) un livre riche, dont les multiples citations de textes anciens donnent de la chair au propos. Il faut cependant, et à mon grand regret, apporter une mise en garde : sa lecture n’est pas facile. Pas seulement par l’abondance des extraits de règlements hospitaliers, contrats d’embauche et autres, qui font la matière même du travail d’historien, mais aussi par une langue abrupte, dont la sémantique est souvent imprécise, la syntaxe hasardeuse et la construction bancale. Le livre a manifestement manqué de relecteurs bienveillants, donc cruels, attentifs à chasser les maladresses de style et les approximations des énoncés. Il a sans doute manqué aussi de confrontations scientifiques. Les référents théoriques de Michel Nadot sont très clairs, et c’est une grande qualité : Michel Foucault, Paul Ricoeur, Régis Debray, pour les principaux. Mais bien souvent, ils encombrent plus son propos qu’ils ne le clarifient.

Qu’on ne se méprenne pas sur ce qui précède : Michel Nadot est un auteur important, mais c’est un auteur encore bien seul, au milieu d’un champ théorique immense, qui apparaît à beaucoup comme un désert quand ils ne l’ignorent pas purement et simplement. Avec les qualités et les défauts des précurseurs, il a le mérite de s’avancer dans une question cruciale de notre époque : si tous les savoirs ne sont pas scientifiques, qu’est-ce qui fonde leur validité, y compris celle des plus modestes en apparence ?

  • Michel Nadot. Le mythe infirmier ou le pavé dans la mare. L’Harmattan, 2012. 256 pages, 25,50 euros.

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Serge CANNASSE
Carnets de Santé
http://www.carnetsdesante.fr
serge.cannasse@mac.com


Source : infirmiers.com