Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

INFOS ET ACTUALITES

A lire - Du slam à l’âme...

Publié le 23/11/2012
Édito – Du slam à l’âme...

Édito – Du slam à l’âme...

Fabien Marsaud a vingt ans lorsqu’un grave accident le cloue sur un fauteuil roulant. On lui annonce qu’il restera probablement paralysé à vie... Après un an passé en centre de rééducation, c’est « debout » qu’il regagnera le monde des vivants. Bien des années après, devenu le talentueux slameur Grand Corps Malade, il fait un retour en prose vers le passé et au fil d’une narration à la folle humanité, au-delà de sa propre expérience, il rend un vibrant hommage à tous ses potes d’alors qui aujourd’hui encore dans leur fauteuil roulant ne se lèveront jamais...

Le livre commence ainsi : « Je sors tout juste de l’hôpital où j’étais en réanimation ces dernières semaines. On me conduit aujourd’hui dans un grand centre de rééducation qui regroupe toute la crème du handicap bien lourd : paraplégiques, tétraplégiques, traumatisés crâniens, amputés, grands brûlés... Bref, je sens qu’on va bien s’amuser. »

Quelques semaine auparavant, Fabien Marsaud1, pas encore vingt ans, chahute avec des amis et fait un plongeon dans une piscine. Il heurte le fond du bassin, dont l’eau n’est pas assez profonde, et se déplace les vertèbres. Coma, réanimation, verdict : tétraplégie. On lui annonce qu’il restera probablement paralysé à vie... Direction un centre de rééducation.

Dans cet ouvrage intitulé « Patients », Fabien Marsaud, devenu slameur de génie Grand Corps Malade - référence aux séquelles de cet accident mais aussi à sa grande taille (1,94 m) - y raconte le quotidien d’un gamin cloué sur un lit de misère où le moindre geste doit passer par un tiers : boire un verre d’eau, changer de chaîne de télévision, manger, faire pipi... et plus si affinités...

« Le premier jour, à l’aube, je fais la connaissance de l’aide-soignant qui s’occupera de moi tous les matins. C’est un petit homme d’une quarantaine d’années (cinquante peut-être). Ernest est antillais et on me le présente tout de suite comme le meilleur aide-soignant de l’étage. On me dit qu’il est très doux... (…) C’est Ernest qui va gérer ma vie quotidienne du matin et, en quelques jours, notre degré d’intimité va dépasser tout ce que j’imaginais. Dès lors, ce n’est quand même pas plus mal qu’il soit doux. »

« Quand tu n’es plus autonome, tu passes plus de temps à attendre qu’à faire des choses. Un bon patient sait patienter. »

Avec un sens aigu de l’observation, à rebours de toute narration complaisante, Grand Corps Malade fait un usage effréné de l’autodérision, seule arme pour supporter le quotidien, ses douloureuses pensées et toutes les frustrations qui l’accompagnent. « Les gens qui venaient me voir ne pouvaient entrer dans la pièce que un par un. (…) J’avais un pote, chaque fois qu’il s’apprêtait à sortir de la salle pour laisser entrer quelqu’un d’autre, il avait ce putain de réflexe, il disait : « Bon, je vais y aller, ne bouge pas, je vais dire au suivant qu’il peut entrer ». Ah ! Bah merci de me rappeler de ne pas bouger, j’allais justement faire quelques pas chassés dans le couloir... ».

Un an durant, il va lutter, vivant conjointement de petites améliorations et de grandes désillusions, partageant les progrès et les régressions, les siens et ceux de ses compagnons d’infortune. « Quand tu es dépendant des autres pour le moindre geste, il faut être pote avec la grande aiguille de l’horloge. La patience est un art qui s’apprend patiemment (…) Tous les jours et ce, pendant plusieurs mois, on vit avec le personnel soignant. Un rapport particulier s’installe entre nous. Ce ne sont pas nos conjoints, ce n’est pas notre famille, ce ne sont pas nos amis, on ne les a pas choisis mais nous sont indispensables. (…) Ils ont un énorme pouvoir sur nous. On dépend d’eux pour le moindre geste, c’est pour cela qu’il est important de bien apprendre à connaître chacun pour obtenir à peu près ce dont tu as besoin. (….) Pour avoir nos soins, déjeuner, changer de chaîne, se lever, se laver, s’habiller, se coucher, couper la viande, se servir de l’eau, attraper un truc dans le placard, fumer, on doit attendre notre tour. Quand tu n’es pas autonome, tu passes plus de temps à attendre qu’à faire les choses. Un bon patient sait patienter. »

« Quand tu passes plusieurs mois en milieu hospitalier, le mythe de l’infirmière, tu en reviens très vite... »

C’est ainsi que l’auteur raconte le quotidien de ces jeunes, si jeunes et déjà en « galère ». Car « à vingt ans, on a rien à faire à l’hosto », « d’un autre côté, vu le contexte du centre, heureusement qu’il y a des jeunes pour mettre un peu de vie, un peu de bordel dans cet univers si dur . (…) Quoi qu’il en soit, ici, je me suis fait deux vrais potes et je suis ravi qu’ils soient là ».

Ce centre de rééducation, Grand Corps Malade le compare à un « grand paquebot » : « personne dans ce bateau ne sait vraiment quand le voyage s’arrêtera et jusqu’où il va nous mener... ». Le récit nous fait vivre les séances de kiné, les exercices en piscine, les heures passées devant la télé devant les « clips de M6 », les déconnades entre potes, les vannes entre « tétra », les soirées glauques, les rencontres et les désirs, car à vingt ans... « Et jusqu’à preuve du contraire, si quelqu’un peut aider une personne handicapée à manger ou à fumer, personne n’a trouvé de solutions pour t’aider à échanger un baiser. »

Grand Corps Malade s’en sortira debout, une sorte de « miraculé ». « Moi qui ai eu la chance, malgré quelques grosses séquelles, de me relever et de retrouver une autonomie totale, je pense souvent à cette incroyable période de ma vie et surtout à mes compagnons d’infortune. (…) les autres sont toujours dans leur fauteuil, contraints à une assistance permanente, ayant toujours droit aux sondages urinaires, aux transferts, aux fauteuils-douches, aux séances de verticalisation... »

« Le récit d’une aventure collective, celle de tous ses frères d’arme et de larmes.
Des larmes de sang, dont il a fait des larmes de slam... »

Ce livre, à distance de son traumatisme tant physique que psychique, Fabien, devenu Grand Corps Malade, ne l’a pas écrit pour lui seul, il a d’ailleurs mis un « s » à « Patients ». Il n’a jamais revu Samia, Fred, Steeve, Eddy, José, Alain, Dallou, Richard... « parfaits témoins des coups de crasse et des injustices de l’existence. Je les verrai toujours comme des icônes de courage, mais pas un courage de héros, non un courage subi, forcé, imposé par l’envie de vivre. » Au-delà de sa seule expérience de vie, il raconte une aventure collective, celle de tous ses frères d’arme et de larmes ; des larmes de sang, dont il a fait plus tard des larmes de slam... Son hommage est celui d’un homme « debout » à tous ses potes qui aujourd’hui encore dans leur fauteuil roulant ne se lèveront jamais...

Note

  1. Grand Corps Malade, de son vrai nom Fabien Marsaud, est né un 31 juillet 1977, sous le soleil de la Seine-Saint-Denis. Enfant, Fabien veut devenir prof de sport. Mais la vie lui réserve un autre destin. C’est armé d’une béquille et d’un stylo qu’il se lance dans la musique. En 2006, son premier album, Midi 20, se vend à plus de 600.000 exemplaires et l’artiste est primé deux fois aux Victoires de la musique (« album révélation » et « révélation scène » de l’année).
  • Grand Corps Malade, Patients, Éditions Don Quichotte, octobre 2012, 15 euros.

Bernadette FABREGAS
Rédactrice en chef Infirmiers.com
bernadette.fabnregas@infirmiers.com


Source : infirmiers.com