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Les EHPAD ne brillent pas aux couleurs de l'arc-en-ciel

Publié le 08/03/2019

Les feux de l'amour en EHPAD... Et pourquoi non ? La passion se vit à tout âge ! Dans une maison de retraite médicalisée de la région parisienne, deux femmes de 89 et 100 ans ont décidé de vivre leur histoire au grand jour. Cela peut paraître normal, mais apparemment, en EHPAD, les seniors LGBT ne sont pas forcément bien acceptés. Au contraire, discriminés par les autres résidents, et aussi par le personnel ils finissent par se replier sur eux-même, jusqu'à devenir invisible.

Charlotte et Jeanne se sont rencontrées en EHPAD et ont décidé de finir leur vie ensemble. Elles sont même parties en vacances au bord de mer pour échapper aux messes basses des résidents.

Le Verger de Vincennes est une maison de retraite comme on en voit beaucoup, pourtant le journal Le Monde a ouvert les portes de cet établissement et décrit dans un bel article la romance entre deux femmes qui comptent bien passer les années qui leur restent à vivre ensemble et ce, quoi que les autres en disent. Jeanne Dobbs et Charlotte Gussdorf, 89 et 100 ans, passent le plus clair de leur temps ensemble.Il faut le voir pour le croire, s’exclame Anita nouvellement responsable des aides-soignantes du 5e étage et interrogée par le quotidien du soir. Ça se passe tous les jours, du lundi au dimanche. L’une ne reste pas sans l’autre. C’est rare, surtout en maison de retraite. Avant, je travaillais au 4e. Mes collègues du 5e me racontaient. Mais je disais : “Ce n’est pas possible. Ce n’est pas vrai.” Il fallait que je monte à cet étage pour voir ça ! Normalement, nos pensionnaires, ils se crêpent le chignon. Là, c’est comme si elles se connaissaient depuis toujours.

Je sais que ça jase, qu’on parle de nous dans les couloirs. Et cela m’empêche de vivre cette histoire comme je le souhaiterais

Une histoire qui "fait jaser"

Chaque soir, après le dîner avec les autres résidents, les deux complices se réfugient dans la chambre de Charlotte, un cocon qui peut parfois être perturbé par les entrées intempestives du personnel. Je déteste cette manière qu’ont les aides-soignants d’entrer sans frapper, s’agace Jeanne Dobbs. La dernière fois, un homme du personnel a sursauté en nous voyant toutes les deux. J’étais très énervée. Je lui ai dit que j’allais rejoindre ma chambre et lui ai demandé de partir. Malgré mon âge, je ne suis pas libérée du jugement des autres. Je sais que ça jase, qu’on parle de nous dans les couloirs. Et cela m’empêche de vivre cette histoire comme je le souhaiterais, s'énerve Jeanne.

Leur histoire a débuté suite à l'AVC de Charlotte le 1er janvier 2018. Celle-ci s'était réveillée à l'hôpital, non sans séquelles. Autrefois psychiatre à l'hôpital Saint-Anne, cette femme cultivée et indépendante s'est retrouvée en EHPAD se sentant diminuée. Les premiers jours, elle aurait été agressive avec le personnel soignant et refusait de s'alimenter, jusqu'à ce qu'elle rencontre Jeanne. Depuis, elle sont inséparables. Et, si elle participent à plusieurs activités organisées par l'établissement ensemble, il leur arrive aussi quelque fois de fuger. Ce sont deux femmes incroyablement alertes et autonomes pour leur âge, résume Sophie, leur professeure de yoga. Ce qui leur permet d'aller et venir comme bon leur semble, une situation difficile à gérer pour le personnel. Laurent Garcia, ancien cadre de santé du Verger de Vincennes, raconte : un soir, elles ont dit à tout le monde qu’elles sortaient se balader. Et à 22 heures, elles n’étaient toujours pas rentrées. L’Ehpad était en ébullition. Moi, je savais qu’elles étaient au resto. Mais, elles m’avaient fait promettre de ne pas le dire.

L'ancien cadre se souvient comment il s'est rendu compte du lien qui unissait les deux résidentes. Alors qu'elle n'était arrivée que depuis quelques semaines, Charlotte Gussdorf est victime d'un nouvel AVC et doit être hospitalisée. Il raconte au Monde avoir retrouvé Jeanne Dobbs en larmes, dans un état de déprime absolu. Elle me disait que Charlotte était toute sa vie. Les soignantes ne comprenaient pas son attitude. Je les ai entendues la rembarrer lorsqu’elle demandait des nouvelles de son amie. Et je trouvais ça malsain. Alors, j’ai décidé d’organiser une réunion avec tout le personnel. Je leur ai dit : “Madame Dobbs est amoureuse de Charlotte ! Point barre.” Vous auriez vu leur réaction. Elles étaient en état de choc. Déjà, les histoires d’amour classiques en maison de retraite, c’est impensable. Parce qu’on est vieux et moches, il paraît qu’on n’aurait pas le droit de tomber amoureux. Mais alors, deux femmes, vous n’imaginez pas !

Il va falloir que les gens comprennent que toutes les personnes LGBT vieillissent. C’est un fait. On n’a pas tous été contaminés par le sida

En EHPAD, il faut être "dans la norme"

Laurent Garcia se remémore d'autres histoires stigmatisantes envers les membres de la communauté LGBT dont il a été témoin notamment dans un autre établissement à Neuilly. Un ancien PDG y était pensionnaire et recevait la visite plusieurs fois par semaine de son compagnon. Le personnel soignant n'avait pas fait preuve d'une grande tolérance. Les filles ne l’appelaient pas M. Untel. Elles disaient qu’elles allaient voir “le pédé”. 

Stéphane Sauvé, un ancien directeur d'EHPAD également homosexuel s'est aussi confié au Monde. Il a lui aussi remarqué que dans ce microcosme que sont les maisons de retraite les comportements peuvent s'avérer extrêmement hostiles pour les personnes homosexuelles. Je me rappelle une lesbienne de 80 ans environ. A chaque fois que ses copines venaient lui rendre visite, c’était la cour de récré. J’entendais les messes basses des autres résidents, les moqueries. On la montrait du doigt. Et l’après-midi, lorsqu’on lançait une animation danse et qu’il n’y avait pas assez d’hommes, aucune femme ne voulait danser avec elle. Alors, elle restait seule dans son coin. Certains résidents peuvent énormément souffrir de cette mise à l'écart et des messes basses dans leur dos, comme si, après avoir atteint un certain âge, on devrait être tous pareil, effacer ses différences. Les pensionnaires cachent leur orientation sexuelle une fois arrivés en EHPAD.

Dans l'esprit des gens, comme dans les procédures d'accompagnement des maisons de retraite, les personnes âgées LGBT n'existent pas. Or selon un rapport de 2013 effectué par la ministre déléguée aux personnes âgées, la France compterait un million de seniors homosexuels ! Pourquoi est-ce un sujet tabou ? Parce que, dans l’imaginaire collectif, les homos sont jeunes. Ils font la fête, enchaînent les partenaires, ne fondent pas de famille. On ne les imagine pas vieillir, se désole Yannick Kerlogot, député (LREM) des Côtes-d’Armor, membre du groupe d’études discriminations et LGBTQI-phobies dans le monde à l’Assemblée nationale. Pour Stéphane Sauvé, il va falloir que les gens comprennent que toutes les personnes LGBT vieillissent. C’est un fait. On n’a pas tous été contaminés par le sida. C'est pourquoi, l'ancien directeur d'EHPAD a pour projet d'ouvrir un habitat participatif réservé à la communauté gay. Si cela peut paraître ghettoïsant, cela se pratique déjà dans beaucoup d'autres pays notamment en Allemagne, au Danemark ou en Suède des strucutres privées pour résidents homosexuels existent depuis des années. Aux Etats-Unis, si tu n’es pas dans un label “gay friendly”, tu perds des parts de marché ! Il est temps que l’on rattrape notre retard. Ces homosexuels ne demandent rien à personne, juste le droit d’être dans un lieu sécurisant pour finir leurs jours, argumente-t-il.

D'autre part, si les anciennes générations sont toujours restées discrètes et se cachaient, celles à venir n'ont pas ce reflexe et n'auront aucune envie de se dissimuler d'autant plus qu'elles ne l'ont jamais fait. Après avoir vécu de manière assumé, s'être marié, pourquoi changer ?

Du côté de nos deux résidentes, depuis le rétablissement de Charlotte, elle ont décidé de vivre leur passion comme elle l'entendait. Elles se sont d'ailleurs offert des vacances au bord de mer cet été loin des remarques des autres pensionnaires. En effet, Charlotte Gussdorf possède une maison à Saint-Tropez et son neveu lui a proposé de l'aider pour qu'elle y passe quelques jours en août avec une amie. Pendant près de trois semaines, les deux femmes n'ont plus entendu que le flux et le reflux des vagues à défaut des ricanements. Espérons que ce simple souvenir puisse faire oublier les regards en coin.

Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com  @roxane0706


Source : infirmiers.com