Le rapport des Pr Bernard Debré et Philippe Even propose une modification des périmètres d'activité de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et de la Haute autorité de santé (HAS), avec notamment un regroupement AMM-transparence. Il recommande également un changement radical du mode d'expertise, avec une réduction très importante du nombre d'experts, ceux-ci étant recrutés par appels d'offres, rémunérés à un niveau élevé et ayant un statut protégé
Les auteurs se montrent très critiques sur le fonctionnement actuel des agences, en premier de l'Afssaps, "monde clos, fermé sur lui-même, sans contact avec les instances professionnelles et universitaires médicales et pharmaceutiques et avec les praticiens". Ils déplorent un manque de "cohérence générale" entre les agences et d'"adaptation des structures aux missions", et la production d'une "médecine administrative de Journal Officiel."
Allant à l'encontre d'une "réinterprétation" de l'affaire conduisant à ne voir qu'une "conjonction malheureuse des fautes quasi-criminelles d'un laboratoire félon, bien différent des autres, et d'une molécule sournoise", et d'un discours qui "enfle" visant à dire qu'il ne faudrait "rien changer", ils répondent : "c'est pourtant de réformer qu'il s'agit maintenant. D'urgence, sans quoi les mêmes causes produiront les mêmes effets".
Fusion AMM-transparence
"L'HAS doit être recentrée sur la mission stratégique globale pour laquelle elle a été conçue et qui vise à élaborer, inspirer, susciter et conduire ou au moins guider et réguler l'exercice pratique de la médecine, l'organisation des soins et les actions collectives de santé publique et de prévention", estiment les auteurs du rapport.
"Les commissions dites de la transparence et des dispositifs médicaux, qui doublonnaient des structures équivalentes à l'Afssaps, doivent quitter l'HAS et rejoindre" l'Afssaps, celle-ci changeant de nom pour revenir à celui d'Agence du médicament (bien qu'elle inclurait aussi les produits biologiques et les dispositifs médicaux)." Cette agence "rassemblerait en son sein et coordonnerait deux agences autonomes, mais complémentaires, pour deux missions bien différentes" : l'"Agence d'évaluation du médicament et des produits de santé" (AEM (PS)) et une agence nommée selon les pages "Agence française de pharmacovigilance" (AFPV) ou "Agence nationale de pharmacovigilance" (ANPV).
L'AEM "réunirait les missions des commissions d'AMM et de la transparence, c'est-à-dire des missions d'analyse scientifique de haut niveau des dossiers et essais cliniques". Les auteurs évoquent une "fusion AMM-transparence", estimant en particulier que le travail de la commission d'AMM étant désormais fait à 80% au niveau européen, c'est donc l'évaluation du service médical rendu qui devient prépondérant au niveau national. "L'AEM aurait surtout en charge la mission d'évaluation comparative et de classement de toutes les molécules autorisées par elle ou par le CHMP [comité des médicaments à usage humain de l'Agence européenne du médicament]".
"La mission actuelle de la Commission d'AMM, simple évaluation du rapport bénéfice-risque propre des nouvelles molécules, sans comparaison avec les thérapeutiques existantes, n'a aucun sens et n'a pour conséquence, avec peut-être pour but, que d'autoriser toutes les molécules un peu plus actives qu'un verre d'eau-placebo", affirment Philippe Even et Bernard Debré.
Privilégier l'amélioration du service médical rendu (ASMR)
"De même, l'évaluation du simple SMR [service médical rendu] par la commission de la transparence est un leurre, de facto au service de l'industrie et non des malades, puisque ce SMR détermine le niveau de remboursement des médicaments". La nouvelle agence d'évaluation du médicament aurait donc pour rôle principal "d'établir l'ASMR [amélioration du service médical rendu], c'est-à-dire la valeur ajoutée des molécules nouvelles pour leur accorder ou non leur remboursement aux différents taux de 0%, 35%, 65% et 100% après classement des molécules en cinq classe d'ASMR de I à V.
L'agence devra "exiger le plus grand nombre possible d'essais comparatifs contre une des molécules antérieures déjà disponibles (...) plutôt que contre placebo", ajoutent les auteurs, en reconnaissant que d'ores et déjà "l'abandon des comparaisons contre placebo s'est beaucoup étendu". "L'industrie sera avertie que les molécules n'apportant rien de plus que les traitements antérieurs seront refusées au remboursement, et a fortiori celles dont aura seulement été montrée la 'non-infériorité'". Les molécules sans supériorité sur les traitements antérieurs ne seraient pas remboursées, "sauf si elles acceptent un prix inférieur aux molécules déjà commercialisées et à leurs génériques éventuels".
"Naturellement, l'industrie pharmaceutique se montre très opposée à cette fusion AMM-transparence et à l'évaluation de l'ASMR et non plus du SMR (...) Cette opposition est justement l'un des arguments les plus forts qui nous conduisent au contraire à la proposer (...) L'ASMR, qui détermine les taux de remboursement et en partie les prix accordés, est la seule arme de l'Etat pour mener une politique nationale du médicament".
Améliorer la réactivité de l'agence d'évaluation des médicaments
De l'autre côté, l'agence chargée de la pharmacovigilance "aurait, comme le département et la commission nationale de pharmacovigilance actuels, une mission d'analyse rapide et réactive de terrain". Les auteurs insistent sur cette nécessaire "réactivité", qui devrait être améliorée notamment par le fait qu'elle sera sur le même plan que l'AEM, contrairement à la commission de pharmacovigilance actuelle placée hiérarchiquement en-dessous de la commission d'AMM.
Les alertes graves et urgentes "devraient être traitées immédiatement et prises en charge par une mission spéciale". Et pour traiter la masse de données de pharmacovigilance qui arrivent à l'agence, soit "une toutes les 30 secondes", il faut mettre au point un "algorithme informatique adapté", fonctionnant "sur le principe des bases de données et moteurs de recherche de Google, Yahoo, etc". Au-delà d'un nombre d'alertes déterminé pour une molécule, un groupe d'analystes serait constitué.
Les centres régionaux de pharmacovigilance "ne seraient plus impliqués dans le processus déclaratif, qu'ils ne peuvent que ralentir, mais ils resteraient chargés de missions d'expertise complémentaires".
Par ailleurs, le rapport prône la sortie du sang et des dérivés du sang de la future Agence du médicament, car ces produits "constituent des problèmes hautement spécifiques, en particulier en termes de risque, bien distincts de ceux du médicament". L'Etablissement français du sang (EFS) étant chargé comme aujourd'hui de la collecte, la production et la vente, l'Institut national de la transfusion sanguine (INTS) serait en charge de l'hémovigilance.
Des "superexperts" en nombre réduit (environ 40 contre 3 500 actuellement !)
Les deux professeurs se montrent également très critiques envers le système actuel d'expertise. Il y a actuellement à l'Afssaps "3.500 experts internes et externes" dont la compétence est jugée "très insuffisante (même si une dizaine sont d'un très bon niveau scientifique)", et qui sont "souvent en situation de conflit d'intérêt". Ils proposent de passer à "un modèle d'agence s'appuyant sur un petit nombre de 'superexperts' internes sans conflit d'intérêt, un à deux par grande discipline médicale, soit 20 à 40 de haut niveau, bien rémunérés, détachés des universités et protégés par un statut". Ces "superexperts" choisiraient eux-mêmes "selon la complexité et le caractère exceptionnel du dossier, un ou deux experts éventuellement extérieurs".
Les experts seraient recrutés, "non par les procédures opaques, imprécises, non codifiées et surtout relationnelles, mais par appel d'offres sur des critères scientifiques, biologiques ou cliniques d'excellence". Ces experts seraient détachés à plein-temps ou mi-temps pour des périodes de trois ans renouvelables. "Très bien rémunérés par l'agence, à hauteur de l'importance de leur mission", ils gagneraient 10.000 euros par mois. Cela impliquerait de dégager un budget de 10 millions d'euros par an. "Il suffirait de réduire le nombre excessif des fonctionnaires de l'Afssaps de 1.000 à 860 pour l'assurer à budget constant".
La direction de l'évaluation du médicament qui, de département au service des commissions, s'est peu à peu emparée d'une "partie du pouvoir décisionnel", doit être "remise à sa place", estiment les auteurs. Pour chaque dossier, l'expert désigné formerait un "groupe d'expertise" avec un ou deux autres experts internes ou externes, qui rendrait un avis après avoir fait des auditions ouvertes au public avec "les médecins et pharmaciens de terrain, les organisations de patients, les organismes payeurs et les représentants des firmes impliquées, mais non celui du Leem".
Les firmes auraient "une possibilité de recours scientifique, mais sans possibilité de recours juridique pour ce qui est des suspensions et des retraits, les AMM françaises et les taux de remboursement attribués à toutes les molécules n'étant accordés que sous condition de renonciation des firmes à tout recours juridique".
(Rapport téléchargeable)
La "virulence" du rapport et la "radicalité" de ses propositions sont soulignées par la plupart des médias. Notons que celles qui portent sur l'expertise reprennent en grande partie des recommandations formulées par des rapports antérieurs (par exemple, rapport de l'IGAS de septembre 2007 sur l'information aux médecins généralistes).
Jean-Pierre Door, député UMP et rapporteur de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le Mediator* (benfluorex, Servier) et la pharmacovigilance, s'interroge sur " la légitimité des auteurs de ce rapport qui relève d'individus qui ne représentent qu'eux-mêmes et l'Institut Necker". Pour lui, beaucoup de ses propositions ne sont pas réalistes, notamment le retour à l'Agence du médicament. Rappellant que plusieurs travaux parlementaires et sénatoriaux sont en cours, il souhaite que ce rapport ne vienne pas les "troubler". (source : dépêche APM du 17 mars 2010).
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