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« Fugue en papi majeur », récit humanisé d’un fait divers

Publié le 28/08/2017
Personne âgée assis sur un banc dans un parc

Personne âgée assis sur un banc dans un parc

C'est un petit récit qui commence avec douceur. Un billet publié sur le blog « Soignante en devenir », tenu par Florence Braud, blogueuse et aide-soignante. Nous avons choisi de partager ce joli texte. Nous remercions son auteure pour sa publication.

Il regarde par la fenêtre. Il fait beau, seuls quelques petits nuages décorent délicatement le ciel bleu breton. C'est une belle journée, il est de bonne humeur, tout va bien.

Dans le miroir de la salle de bain, il vérifie son rasage, impeccable, sa coiffure, soignée, et sa tenue, parfaite pour l'occasion. Ne manque que la touche finale, un peu de parfum, celui que son fils lui a offert à Noël dernier. Il le porte rarement, mais aujourd'hui est un jour spécial. Aujourd'hui, il va voir Louise.

Il sort de chez lui sans fermer à clé. Inutile, tout est toujours tellement calme ici. Personne dans le couloir, comme toujours. Cette résidence est décidément d'un ennui mortel.

« Et pendant qu'ils se parlent sans se quitter des yeux, pendant qu'ils se perdent dans la contemplation de cette belle après-midi d'été, dans ce parc, sur ce banc, ils ne voient rien venir. »

Il habite au premier étage mais il prend quand même l'ascenseur pour descendre. Il a toujours trouvé les escaliers trop sombres pour sa vue défaillante, et il ne faudrait pas risquer de se casser une jambe. Pas aujourd'hui en tout cas.
Personne dans le hall d'entrée. Personne sauf Marie, la fille de Michel. Michel est mort il y a deux jours, et la famille vient déjà vider les lieux. Il est peiné, il aimait bien Michel. C'était un vieux taiseux pas commode, pas très aimé par ici, mais ils étaient voisins depuis quelques années déjà et, au gré des parties de belote et de quelques repas pris en commun, ils avaient appris à s'apprécier.

Mais l'heure n'est pas à la mélancolie. Louise va l'attendre, et les heures leur sont comptées. Idéalement, il aimerait être rentré pour 18h, et Louise a un emploi du temps assez chargé elle aussi.

Les affaires de son défunt voisin sont embarquées dans une petite voiture garée devant l'entrée. Les portes sont ouvertes et il se faufile entre deux cartons. En passant, il se demande comment sera le prochain locataire. Encore un vieux, sans doute.

La résidence est loin de tout, il faut marcher un bon moment avant d'atteindre le centre-ville. Il marche à petits pas, sans trop se presser, et profite même de la promenade pour cueillir discrètement une rose dans le parc. Louise sera contente, elle qui aime tant les fleurs.

Louise, justement, est là, devant lui. Radieuse, comme toujours. Ils se fréquentent depuis peu, quelques semaines à peine, c'est une histoire débutante, un peu hésitante, mais quoi qu'il en soit palpitante. Quel bonheur que ces retrouvailles hors de la monotonie de leurs vies respectives, lui dans sa résidence trop calme, elle dans sa famille envahissante. Comme à chaque fois, ils ont mille choses à se raconter, l'après-midi n'y suffira jamais! Alors ils parlent, un peu vite et un peu fort, pour ne pas perdre une miette de ce qu'ils ont à se dire. Ils parlent de leurs enfants, trop présents ou trop absents, de leurs voisins, trop bruyants ou trop calmes, de leurs vies, trop vides, là-dessus ils sont d'accord. Ils parlent aussi des nouvelles du monde, de ces menaces de guerre qui les inquiètent, leur rappelant les heures sombres de l'Histoire, et de ce président nouvellement élu, il est si jeune, que connaît-il de la vie?

Et pendant qu'ils se parlent sans se quitter des yeux, pendant qu'ils se perdent dans la contemplation de cette belle après-midi d'été, dans ce parc, sur ce banc, ils ne voient rien venir. Ils ne voient pas ces gendarmes qui s'approchent à grands pas, ils ne savent pas que cette sortie, leur sortie, sera relatée dans la presse en des termes infantilisants et moqueurs, et surtout, ils sont loin d'imaginer qu'un homme qui voit la femme qu'il aime, quand il a 93 ans, n'est plus qu'un grand-père qui fugue pour retrouver sa petite-amie.

Florence BRAUD Aide-soignante Blogueuse « Soignante en devenir »

Cet article a été publié le 13 août 2017 par Florence sur son blog Soignante en devenir. Merci pour ce partage.


Source : infirmiers.com