Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

ETHIQUE

Et si nous devions prendre soin d'un terroriste ?

Publié le 21/08/2017
Sylvie Robillard CNEWS

Sylvie Robillard CNEWS

Infirmier regarde en haut

Infirmier regarde en haut

Comment ferait-on pour soigner son semblable en ayant à l’esprit qu’il a une part de responsabilité dans d'abjectes tueries comme celles qui ont endeuillées Paris le 13 novembre dernier ? Comment ferait-on pour soigner cet homme « comme les autres » sans distinction. Parce que c’est un sacré enjeu. On a beau se targuer d’être des soignants ne faisant pas de différences, comment ferait-on là ?

Sylvie Robillard, infirmière et membre du comité de rédaction d'Infirmiers.com était invitée, le samedi 19 août 2017, sur CNEWS pour aborder ce sujet délicat.

Aujourd’hui, je ne suis plus sur le terrain mais je me souviens parce que j’ai eu un exercice professionnel auprès de criminels, auprès d’hommes et de femmes qui avaient maltraité, voire tué leurs proches, enfants, parents, conjoint… Je sais que c’était difficile mais j’y suis arrivé. Parce que l’empathie, oui, enfin, toutes proportions gardées, parce que le non jugement, enfin le moins possible, parce que l’écoute parce que l’espoir ou la certitude d’avoir en face de moi un être humain. Mais là, dans un contexte où une telle horreur nous a assailli. Comment ferait-on ? Je ne peux pas parler à la place de ces collègues confrontés à ce cas de figure mais si c’était moi, est-ce que j’y arriverai ? Est-ce que je soulagerai de la même manière la douleur physique de cet homme ? Est-ce que j’arriverai à lui faire sa toilette sans dégoût ? Et je reste très pragmatique, je ne parle ni de souffrances, ni d’accompagnement. Soigner cet homme. Prodiguer des soins techniques, peut-être. Mais prendre soin ? Comment ? Et pourtant, c’est ça notre cœur de métier, prendre soin.

Comment fait-on pour soigner un criminel ?

Je n’ai pas la réponse et je suis égoïstement heureuse de ne pas devoir être à la place de ces collègues là. Je sais pour l’avoir fait que je suis capable de soigner des délinquants sans faire de différence, mais là ? Etre empathique ? Mais c’est hors de question, je ne veux pas être empathique c'est-à-dire avoir comme le dit le dictionnaire Larousse en ligne avoir la « Faculté intuitive de se mettre à la place d'autrui, de percevoir ce qu'il ressent. » Et quand je regarde le dictionnaire humaniste de Christine Paillard « Empathie » renvoie à « Relation d’aide » et dans relation d’aide, nous trouvons acceptation, congruence écoute active, empathie, non jugement, reformulation. Mais je ne veux pas être empathique, je ne peux pas me mettre à la place de cet être abject et surtout - oh non - ne pas percevoir ce qu’il ressent. Mais après tout, je préjuge. Qu’est-ce qu’il ressent, je n’en sais rien. J’imagine. Mais alors, quid de l’empathie ? Il a des gens avec qui il faudrait l’être et pas d’autres. Quel maelstrom !

Ce que dit l'article 25 du Code de Santé publique...

L’article R4312-25 du Code de la Santé publique dit ceci : l'infirmier ou l'infirmière doit dispenser ses soins à toute personne avec la même conscience quels que soient les sentiments qu'il peut éprouver à son égard et quels que soient l'origine de cette personne, son sexe, son âge, son appartenance ou non-appartenance à une ethnie, à une nation ou à une religion déterminée, ses mœurs, sa situation de famille, sa maladie ou son handicap et sa réputation.

Je crois viscéralement que la seule chose à faire serait de rester humain, de garder à tout prix notre humanité. Ce sont des hommes, qu’ils soient assassins, organisateurs, complices. Ce sont des hommes, nos semblables. C’est ce que dit, sidéré, avec stupeur, ce jeune homme de 30 ans témoignant : Les assaillants étaient habillés de manière classique comme nous mais armés de kalachnikovs. Nous subissions un carnage par des gens qui nous ressemblaient, des gens de notre âge (…) J’ai grandi en banlieue et j’ai la sensation que les assaillants auraient pu fréquenter la même école que moi (…) des jeunes armés et dénués de tout sentiment, des paumés, endoctrinés, des délinquants passés dans un autre monde, pas le nôtre. Des gens comme moi passés dans un autre monde… des terroristes. Des gens comme moi passés dans un autre monde… des victimes. Des gens qui auraient pu être mes enfants, des copains de mes enfants,  dézingués lâchement. Je suis épargnée, pas de morts, pas de blessés dans mon entourage proche. En revanche, comme tant d’entre nous, je connais des gens frappés et quand je regarde les photos des victimes… la nausée revient. Qu’ils sont beaux et cela m’a frappée mais qu’ils sont beaux, lumineux. Voyez, je n’arrive pas à employer le passé.

Ce sont les proches de victimes qui nous donnent la clé : Je n’ai pas le temps d’être en colère ni d’avoir de la haine  dit l’un deux, je dois m’occuper des miens de mes proches et de continuer à vivre. Vous n’aurez pas ma haine, écrit un autre dans un texte tellement extraordinaire. Et tout est dit. Il s'agit donc de tout faire pour soigner cet homme sans haine, sans savoir s'il sera possible d'y parvenir, mais essayer...

Sylvie ROBILLARD   Infirmière, formatrice, membre du comité de rédaction Infirmiers.com  slr.form@hotmail.fr


Source : infirmiers.com