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Entretien avec Odessa Dariel, chercheure en soins infirmiers, doctorante

Publié le 25/07/2011

Les journées nationales de FINE Europe (Fédération européenne des infirmières enseignantes), conjointement organisées avec le Comité d'Entente des Formations Infirmières Et Cadres (CEFIEC), ont eu lieu à Paris en mai dernier. Placées sous le thème du partage d’expérience en formation en soins infirmiers, elles ont rassemblé de nombreux participants venus pour tenter de répondre à la question : « Quelle formation des enseignants en soins infirmiers, pour quel développement de la profession infirmière en France ? ». A cette occasion, Julien Lointier, chargé de communication au CEFIEC a réalisé l’interview d’Odessa Dariel, chercheure en soins infirmiers, doctorante.  L'article a été publié dans Info CEFIEC n°24 de juillet dernier 1. Merci au CEFIEC pour cet échange productif.

Odessa Dariel est d’origine franco-américaine. Après une scolarité en France, elle poursuit ses études en économie aux États-Unis. C’est en Afrique où elle exerce une première activité bénévole que va naître son envie de devenir infirmière. Son diplôme en poche, et quelques années d’exercice plus tard, elle prend le chemin de l’université pour obtenir un Master en soins infirmiers (spécialité : formation et pédagogie), puis un doctorat. Aujourd’hui, elle s’apprête à soutenir sa thèse et à rejoindre l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP) comme enseignant-chercheur. Nous lui laissons la parole.

Julien Lointier - Quel est votre parcours ?

Odessa Dariel -Tout d’abord, pour mieux le comprendre, je dois préciser que je suis d’origine franco-américaine et que j’ai été scolarisée dans l’École américaine internationale (American International School) de Nice dès l’âge de 4 ans, jusqu’à ce que j’obtienne mon diplôme (plus ou moins l’équivalent du bac français). Mon école étant orientée vers l’éducation américaine, il était naturel pour moi de me projeter vers des études supérieures aux États-Unis. Mon premier diplôme universitaire (un Bachelor) préparé à l’Université du Texas, à Austin, était en économie. Je suis ensuite partie travailler au Kenya avec le Peace Corps (un organisme bénévole) en tant que conseillère de petites entreprises. Bien que ma mission portait sur le développement économique du village où j’ai été affecté, mes expériences en Afrique m’ont amenée à me réorienter vers une profession de santé. Après quelques années à l’étranger, je me suis inscrite en 1999 dans un programme de formation en soins infirmiers à Hawaii. C’est ainsi que j’ai débuté ma carrière d'infirmière. J’ai ensuite passé cinq ans au sein d’un grand hôpital à Honolulu (Kaiser Permanente) dans une unité périnatale et obstétrique. Puis, j’ai repris mes études universitaires pour obtenir un Master en soins infirmiers spécialisé dans la formation et la pédagogie. J’ai ensuite travaillé en tant que formatrice dans deux écoles à Hawaii. Je suis ensuite revenue en Europe pour commencer un doctorat en sciences infirmières à l’Université de Nottingham où je me trouve actuellement. Le thème de mes recherches vise encore la formation, mais cette fois en soulignant l’adoption des TIC (Technologie de l’informatique et de la communication) dans la formation initiale des infirmières. Je suis maintenant dans la dernière année de mon programme et je compte soumettre ma thèse dans les mois qui viennent. Grâce à ce doctorat, j’ai pu postuler au sein du Département des Sciences Infirmières et Paramédicales (DSIP) de l’antenne parisienne de l’EHESP (École des hautes études en santé publique). Je vais bientôt intégrer ce département en qualité d’enseignant-chercheur.

J. L. - Que pensez-vous de la formation de formateur en France au niveau deuxième ou troisième cycle ?

O. D. -  Ma réponse doit être comprise dans le contexte de mon parcours influencé par mes expériences dans des pays où la profession infirmière bénéficie depuis longtemps d’une reconnaissance universitaire. Aujourd’hui, la France s’est engagée dans un reformatage de l’appareil de formation selon le modèle Licence-Master-Doctorat en intégrant un nouveau dispositif de formation initiale en soins infirmiers qui demande que les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) collaborent avec le système universitaire. Je pense donc qu’il serait bénéfique pour les formateurs en soins infirmiers de préparer des diplômes universitaires (master, doctorat) afin d’acquérir une plus grande légitimité auprès des intervenants des Universités mais aussi pour mener des recherches dans le domaine de la formation en soins infirmiers.
Je pense aussi que les formateurs français peuvent bénéficier des enseignements dégagés par d’autres pays qui ont parcouru ce même chemin. Bien sûr, il est important de rester vigilant, des différences existent entre les pays et il est important de respecter leurs cultures. Mais nous pouvons aussi repérer les similitudes et apprendre de ces expériences. Je vous donne l’exemple de l’Angleterre et des États-Unis qui ont organisé très différemment la transition de l’appareil de formation en soins vers le monde académique en intégrant complètement les écoles infirmières dans des facultés (médecine ou sciences humaines), plutôt que de s’associer en GCS (groupement de coopération sanitaire) comme le font en ce moment les IFSI. En Angleterre et aux États-Unis cela a été difficile au départ pour les formateurs qui n’ont pas été tout à fait acceptés en tant que vrai « universitaires ». Ces nouveaux « infirmiers universitaires » devaient en effet prouver qu’ils étaient à la « hauteur », surtout au niveau de la recherche. Malgré ce début difficile, je pense que ce modèle de transition a été une plus-value. La mise en place des GCS en France ne place pas les formateurs face à la pression d’obtenir des diplômes supérieurs ou de s’engager dans la recherche, comme cela fut le cas au Royaume-Uni et aux États-Unis. Il sera donc intéressant de voir comment les formateurs français aborderont le deuxième et le troisième cycle de formation universitaire.

J. L. - Quelles sont les plus-values pour une infirmière de s’engager dans un doctorat ?

O. D. - Je comprends que pour beaucoup, dans cette profession, notre histoire fait qu’il est parfois difficile d’imaginer des « sciences infirmières » car cela peux paraître éloigné des soins que nous prodiguons au chevet du patient. Cependant, il est important de souligner que ce n’est pas uniquement là que nous pouvons apporter une contribution. Nous devons donc accepter que l’infirmier puisse participer à la santé du patient et de son environnement de multiples façons : en faisant de la recherche, en formant de futurs infirmiers, en dirigeant un IFSI, en tant que cadre de santé, ou en prenant part aux décisions politique. L’une des plus-values pour une infirmière de s’engager dans un doctorat serait de contribuer à une pratique infirmière qui est « evidence based », c’est-à-dire fondée sur des preuves scientifiques. Plutôt que de dépendre des bases de connaissance traditionnelles et non scientifiques, nous pouvons (et nous devons) nous servir davantage des connaissances scientifiques sur le soin infirmier. Cela est essentiel, non seulement pour apporter de meilleurs soins aux patients en validant les résultats de nos actes, mais aussi pour mieux identifier la part de ces soins dans l’équipe pluridisciplinaire. Nous gagnerons ainsi en reconnaissance et notre voix sera plus forte dans le monde de la santé. Car l’évolution de la profession impose que nous puissions influencer les décisions politiques relatives à notre pratique (nombre d’infirmières par patient, heures de travail, rémunération...) plutôt que de rester passives face à des décisions prises par d’autres. Je pense donc qu’en développant la profession infirmière sur une base scientifique sans, bien sur, s’éloigner de l’aspect du « caring » (car l’un n’exclut pas l’autre), nous pouvons améliorer les soins apportés aux patients, l’environnement de travail des infirmiers et attirer la prochaine génération vers cette carrière qui peut apporter tant de possibilités de développement professionnel et d’épanouissement personnel.

J. L. - Quel message souhaiteriez-vous délivrer à partir de votre expérience aux nouvelles infirmières ?

O. D. - Mes expériences m’ont montré que, malgré les grandes disparités des systèmes de santé, notre profession évolue à travers le monde, même si cela se produit à différentes vitesses et que les pays n’en sont pas tous à la même étape. Cette évolution a été influencée par de nombreux facteurs qui incluent la technologie, la science et les découvertes médicales. La profession infirmière doit prendre en compte ce changement et s’armer des connaissances nécessaires pour diriger au mieux notre futur. Il y aura toujours des personnes qui résisteront aux changements, car la notion de « progrès» n’est pas définie de la même façon pour chaque individu. Mais je pense qu’il serait difficile de prétendre que l’évolution de la profession n’a pas été un pas en avant pour nos patients. Car en tant qu’infirmières, nous sommes avant tout les défenseurs du patient (patient advocate), et par l’évolution de notre profession et le renforcement de notre voix, nous ne pouvons que leur apporter des bénéfices.


Note

  1. Infos CEFIEC n°24, juillet 2011, téléchargeable sur www.cefiec.fr

    Julien LOINTIER
    Chargé de communication au CEFIEC


    Source : infirmiers.com