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MODES D'EXERCICE

Entre sorciers et pénurie de matériel

Publié le 07/02/2011

À Madagascar, Jérémie rencontre une très grande variété de pathologies, des plus bénignes aux plus graves. Sa collègue infirmière et lui font des soins de "second recours" :  le premier est bien souvent le sorcier !

La vie suit son cours dans la paisible vallée du Tsaranoro, au rythme des pluies devenues quasi quotidiennes. Comme tous les matins, me voilà en route vers le dispensaire, qui se trouve à une petite vingtaine de minutes de mon lieu d’hébergement, le Camp Catta. Ici, pas de voiture à dégivrer, pas de trafic à anticiper, pas de place de parking à trouver… Je ne m’étais jamais rendu compte à quel point il était agréable de se rendre tous les jours sur son lieu de travail, à pied. Et ces allers-retours quotidiens sont loin d’être lassants, le paysage changeant chaque jour. Je me dirige vers le dispensaire, flânant en chemin, traversant des ballets de criquets et des nuées de libellules et autres papillons multicolores… ici, la nature excelle et c’est probablement le plus beau trésor que Madagascar recèle. Sous l’escorte malicieuse de quelques enfants envoutés par mon appareil photo, je croise chaque matin les villageois à grand coup de « Salama ! »… Je ne m’en lasse pas.

La période est plutôt calme au dispensaire. Nous voyons en moyenne une dizaine de patients par jour, mais ce chiffre peut être très variable. Il est donc fréquent de passer l’après-midi sur le banc, à regarder passer les zébus. La raison de cette période calme, est en lien probable avec la saison des pluies. Quand il pleut, tout le monde s’active dans les rizières, et cela dès les premières lueurs, jusqu’aux derniers rayons de soleil de la journée.

Ensuite, les habitants vivent sur la fin de leurs provisions. Même si les consultations sont gratuites, ils n’ont souvent plus d’argent à cette période de l’année pour s’acheter des médicaments, et son obligé de s’endetter, ou de vendre du bétail. Et puis il y’a la pluie, qui peut tomber plusieurs jours sans interruption, transformant les rivières en torrents, barrant les chemins et sentiers, et empêchant tout accès à certains villages. Les villages sont alors isolés, les enfants ne vont plus à l’école, jusqu’à ce que le niveau de l’eau baisse à nouveau.

Mais malgré cette période tranquille, nous voyons quotidiennement une grande diversité de cas, allant de la bobologie la plus courante à quelques urgences plus sérieuses. Il me serait difficile de dresser une liste des maladies les plus fréquentes, tellement les pathologies sont variées, et parfois complexes. Il y’a par exemple beaucoup de dermatoses comme la teigne, qui est très présente dans le cuir chevelu des jeunes garçons, ou des cas de pityriasis. Il y a aussi beaucoup de soins de pansement, chez des patients que nous suivons en moyenne tous les 2 jours. De la petite plaie due à des blessures avec des outils, ou bien encore des accidents avec un zébu, mais aussi des plus grosses comme cette plaie profonde dans la tête suite à un violent coup recu avec je ne sais quel outil lors d’une bagarre.

Et puis il y a de nombreux cas de patients se présentant avec un abcès, à la limite de la septicémie. C’est une problématique que j’ai rencontrée à plusieurs reprises. Il est quand même de coutume dans la région, de consulter en premier lieu des guérisseurs ou des sorcières, encore très présents dans les villages, pour essayer toutes sortes de cataplasmes et remèdes à base de plantes. Loin de moi l’envie de douter de l’efficacité de la médecine traditionnelle et du réel lien social que cela implique dans ces civilisations, mais il est a priori difficile pour certains habitants de ne pas passer par cette étape.

Cependant, à laisser trainer jusqu’au dernier moment des pathologies au départ bénignes, ils arrivent donc au dispensaire, dans un état critique. Et toute la difficulté que nous avons ensuite, c’est d’avoir les vraies informations. L’anamnèse est donc très difficile, il y a déjà pour ma part, la barrière de la langue, mais c’est aussi les patients qui n’osent pas nous dire qu’ils ont vu un guérisseur et n’hésiteront pas à être le plus flou possible dans leurs explications, voire même à mentir.

Mais de quoi ont-ils peur ? qu’on les gronde ? imaginent-ils qu’on ne peut pas concevoir l’utilisation de la médecine traditionnelle ? Ainsi de cette jeune patiente venue pour un abcès très inflammatoire au sein gauche avec deux grosses plaies fibrineuses. Elle nous explique que cela fait 15 jours que c’est comme ça, et que c’est devenu trop douloureux. En insistant un peu, et en la mettant en contradiction avec ses informations, il s’avère que cet abcès avait plus de deux mois, et que depuis ce temps elle était suivie par une sorcière.

Une autre situation, celui de cet enfant, arrivant avec un pied aussi gros que sa cuisse, ne pouvant plus toucher le sol tellement il était algique. Impossible de savoir à quand remonte le début de son abcès et de la plaie qu’il présentait au pied. Mais nous obtenons finalement de très bons résultats avec quelques jours d’antibiotiques, et des pansements au tulle bétadiné. L’enfant peut aujourd’hui courir, son abcès étant parfaitement résorbé et cicatrisé ; la jeune femme est en voie de guérison aussi, l’inflammation ayant disparue, et ses plaies quasiment refermées.

Et puis, comme chez nous, il y a aussi ce rôle social que l’on ressent très bien, chez des patients mutli-plaintifs, qui se sentent déjà mieux après le simple fait de leur avoir pris la tension. Etre à l’écoute, échanger quelques mots en français et en malgache, prendre les constantes, peser le patient, et éventuellement proposer quelques comprimés de vitamine... Les résultats sont étonnants ! Il y’a aussi des pathologies médicales plus locales, beaucoup de dysenterie chez les nourrissons, et quelques cas de paludisme que nous pouvons dépister grâce au test rapide avec une goutte de sang. Ces tests sont distribués par l’Etat, un rapport mensuel devant être fait par chaque dispensaire qui les utilise. Et puis des parasitoses comme le ténia, et quelques cas de bilharziose depuis l’arrivée des cochons dans la vallée.

Le dispensaire est aussi ouvert 24h/24 pour les urgences, Irène habitant juste à côté. Nous en avons environ une par semaine. Nous ne disposons néanmoins d’aucune possibilité d’analyse sanguine, d'aucun appareil de radiographie, et surtout nous ne disposons d’aucun médecin ! Hormis un moniteur de surveillance complet que j’ai pu ramener de France, de quoi perfuser, et quelques médicaments intraveineux, nous restons quand même très limités dans notre champ d’action. Selon la gravité, nous sommes donc fréquemment amenés à organiser des évacuations sanitaires, vers l’hôpital d’Ambalavo, qui se situe à 60 km du dispensaire. Et là encore, la problématique est de taille ! La complexité pour organiser une évacuation…

Tout d’abord, il y a très clairement un problème de coût. Les villageois ont très peu de moyens, et qui dit évacuation, dit payer le transport, payer les frais d’hospitalisation, les médicaments, la nourriture de la personne qui accompagne… Alors il faut argumenter, expliquer et réexpliquer longuement les éventuels risques et conséquences. Et puis en cette saison des pluies, l’évacuation peut s’avérer très périlleuse, le chemin vers la route principale traversant plusieurs rivières… Alors, quand la question de l’évacuation se pose, il faut vraiment peser le pour et le contre, car cela nécessite toute une organisation et engendre des coûts non négligeables pour les familles.

Je me souviendrai toujours de cette patiente de 25 ans, qui est amenée au dispensaire dans un brancard de fortune, pour une hypotonie brutale des 4 membres, et troubles de l’état de conscience. L’anamnèse est toujours très difficile, mais a priori, pas de cause toxique à suspecter. Ses constantes sont stables, le glasgow variant de 10 à 13, nous la perfusons pour l’hydrater un peu. L’examen neurologique est plutôt inquiétant, les membres inferieurs ne réagissent pas aux stimuli. Pour les membres supérieurs, elle semble réagir à la douleur, mais avec absence de tout réflexe. Son état de conscience est très fluctuant, elle est désorientée, avec des épisodes délirants. Sans aucune certitude, et la piste toxicologique ne pouvant être à 100% écartée, j’imagine qu’il y a probablement une cause centrale derrière tout ça, et au vu de la rapidité de l’apparition des troubles, nous suspectons une méningite.

Avec l’avis d’un ami médecin que j’ai pu joindre par téléphone, nous décidons avec Irène de commencer une antibiothérapie à l’aveugle, et d’organiser au plus vite l’évacuation. Son état empire, avec l’apparition de maux de têtes, et des épisodes de transpiration. Mais il pleut et la famille n’a que très peu de moyens. La mère accepte finalement l’évacuation, voyant bien l’état de santé sa fille s’aggraver. Elle doit cependant vendre leur dernier cochon, pour récupérer de l’argent. L’évacuation ne pourra donc se faire que le lendemain matin. L’état de la patiente s’est passablement aggravé durant la nuit, elle décédera finalement le matin à 7h, au vu de ses constantes, probablement sur un état de choc. Nous apprenons que c’est le 4ème enfant que perd cette famille. C’est dans ces dramatiques situations que nous prenons pleinement conscience de nos limites de soignant dans un endroit si isolé.

Mais il y a heureusement des dénouements plus joyeux ! Cette vieille femme qui arrive elle aussi en brancard, dyspnéique, tachycarde, et passablement déshydratée. L’anamnèse est une fois de plus très difficile à réaliser, et nous décidons de la garder en surveillance pour la nuit. A mon niveau d’infirmier, je n’observe pas de perturbations de l’ECG, les poumons ne semblent pas être noyés… Nous la réhydratons avec quelques solutés de NaCl et de G5 pour la nuit. Et finalement, le lendemain matin, voilà notre vieille dame ressuscitée, qui repart sur ses deux jambes, dans son village qui se trouve à 3 heures de marche. Je pense que même moi, j’aurais eu du mal à la suivre ! Je n’ai à vrai dire pas la moindre idée de l’origine de ses symptômes, toujours est-il que nous l’avons « guérie », telle est la nouvelle qui a fait le tour des villages. « Docteur Vazaha » comme on m’appelle ici (Vazaha étant le nom donné aux étrangers blancs par les malgaches) travaille bien !

Au point que l’autre soir, on vient toquer à la porte de la maisonnette où je suis hébergé, il est 22 h. Voilà qu’on m’apporte en panique un enfant de 9 ans, en probable crise d’épilepsie. Mouvements tonico-cloniques, yeux révulsés, hyper-salivation… qui se calme très rapidement. L’enfant reprend conscience, mais semble très fatigué. Je n’ai cependant pas grand-chose sur moi, juste de quoi prendre une température, de contrôler la saturation et les pupilles. La crise étant passée, et comme je ne suis pas vraiment inquiet, je rassure les parents comme je peux, et leur propose de ramener l’enfant chez lui au calme, en le surveillant régulièrement durant la nuit.

Il ne me semble pas nécessaire de le conduire au dispensaire, en plus les nuits précédentes d’Irène étaient déjà très courtes à cause de son bébé de 6 mois qui est aussi malade. Comme ils habitent à quelques mètres de chez moi, je leur propose de ne pas hésiter à venir me chercher en cas de nouvelle crise. A 5h du matin, l’enfant refait finalement une crise du même type, (il en aurait fait deux autres petites durant la nuit) ; nous décidons alors de le porter au dispensaire, et d’organiser une évacuation sanitaire. Nous lui administrons une dose de valium en intra-rectal, et c’est finalement à 6 h du matin, que l’enfant est évacué… en moto ! Alors oui, je sais bien, en matière de sécurité pour le transport sanitaire d’un enfant à risque de crise d’épilepsie, la moto n’est probablement pas la meilleure idée. Mais en même temps, c’était le seul véhicule à moteur de la vallée qui permettait de joindre rapidement la route principale pour attraper un taxi-brousse jusqu’à l’hôpital d’Ambalavo. Peut être qu’une charrette à zébu aurait été moins risquée… mais le transport aurait été bien plus long !

Dans tout les cas, ces situations qu’on ne peut rencontrer qu’ici, qui semblent des plus atypiques, resteront évidemment mémorables. J’aurais pu aussi vous parler de toutes ces autres situations rigolotes, comme les fois où l’on fait un pansement, et qu’on se rend compte au bout de 5 minutes, que 3-4 personnes sont là, postées à la fenêtre en train de regarder et d’écouter. N’espérez donc pas aborder la question du secret médical, ici tout le monde sait tout, et les informations se propagent à une vitesse inimaginable, mieux que sur Facebook ! Ne parlons pas non plus de la visite des poules pendant les consultations, des vendeurs de poissons ambulants, ou encore des familles entières qui débarquent pour accompagner un patient au point de ne plus pouvoir rentrer dans le bureau… bref, des moments que je ne vivrais qu’ici, et que j’essaye d’apprécier comme il se doit, en prenant juste un certain recul avec mes habitudes occidentales.

Ce récit est le sixième que nous donne Jérémie de son séjour à Madagascar.


Jérémie THIRION
mada.mitsabo@gmail.com
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Source : infirmiers.com