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AU COEUR DU METIER

Edito - Sida : « Je me souviens très bien du tout premier patient »

Publié le 07/09/2018
main toile

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une infirmière au pays du sida

une infirmière au pays du sida

A l'Hôpital Antoine-Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine) dans le service accueillant des malades du Sida, des internes, des médecins, des infirmières, des psychologues, des aides-soignantes, racontent ce qu'est, au quotidien, la prise en charge du Sida et reviennent sur leurs souvenirs des tout premiers malades, dans les années 80, à travers un documentaire radiophonique très complet signé Ludovic Sellier pour Grand Angle, diffusé sur France Culture. Une plongée au cœur des "Années sombres". 

« Ces jeunes patients tombaient souvent dans les pommes quand on les prélevait dans le laboratoire, alors il fallait déjà les tenir et puis essayer de les rassurer… »

Certains d’entre eux ont vu arriver le Sida dans les hôpitaux en France. On est alors au tout début des années 80 et les premiers patients sont accueillis tant bien que mal, avec d’énormes précautions puisque les équipes ne connaissent pas encore le mode de transmission de cette maladie effrayante. Qui sont ces soignants, ont-ils évolué au cours de ces dix années de Sida, comment réagissent-ils à l'arrivée en masse de sidéens dans leur service, le changement est-il seulement professionnel ou le phénomène de société Sida a- t-il tout chamboulé des valeurs, des savoirs et des croyances du monde hospitalier ? Autant de questions que France Culture est allé poser à l'équipe de l'Hôpital Antoine-Béclère de Clamart, de l'hôpital de jour au service d'hospitalisation et de réanimation.

Claude et Roselyne, respectivement infirmière et aide-soignante, évoquent leur quotidien auprès de patients atteints du virus : C'est la dégradation qui est pénible. Ici à l'hôpital de jour, vous les voyez bien et au bout de quelques mois, vous les voyez quand même se dégrader, vous les voyez à la limite... Ils peuvent à peine marcher. Vous voyez certains lutter. L’équipe soignante, médecins, infirmiers, aides-soignants, psychologues, kinésithérapeutes s’activent, chaque jour, auprès de malades dont la jeunesse, bien souvent, frappe. Manuela, aide-soignante dans ce service depuis 5 ans, explique que cette jeunesse, reflet de la sienne, l’a d’ailleurs incitée à rester. Moi je suis restée parce que les malades du Sida, bien souvent ce sont des gens qui ont mon âge, entre 25 et 40 ans. Il y a souvent des jeunes et pour l'instant j'ai l'impression que je leur apporte quelque chose (…) Je crois que les gens ne se rendent pas compte de ce qu'est cette maladie... je crois que les gens ne se sentent pas concernés, alors qu'ici on voit bien que ça peut vraiment arriver à n'importe qui. Claude, elle, aime faire les soins en prenant son temps. C'est à dire s'asseoir, parler aussi bien de la maladie que d'autre chose. Tous ceux qui témoignent disent avoir l’impression d’apporter quelque chose aux patients, y compris sur le plan moral.

Il faut le rappeler : "on ne guérit pas du sida"...

Le premier patient ? On croyait qu’il était « dangereux pour nous ».

A écouter les différents témoignages, on s’aperçoit que beaucoup de soignants sont arrivés à ces postes dans les années 80, au début de l’apparition de la maladie en France et qu’ils y sont -pour la plupart- restés. Ils ont dû se former, évoluer au contact de cette maladie qui, à l’époque, était encore méconnue. Jean-François Delfraissy, le « médecin-Sida » du service se souvient : Mes premiers malades datent de 1983 ». Il était alors immunologiste fondamental et passait beaucoup de temps en recherche dans le laboratoire. « En 83/84 sont arrivés les premiers patients et donc, à ce moment-là, j'ai considéré que c'était un élément important en termes de pathologie, sans mesurer du tout, par contre, ce que ça allait devenir, ce que ça allait chambouler au niveau de ma vie personnelle et professionnelle et sans me rendre compte non plus de l'épidémie qu'on allait avoir à gérer…

Le service s'est ensuite « progressivement formé » à cette nouvelle pathologie. Je crois que le Sida, pour toute une génération de médecins qui se situent autour de 40 et 45 ans, a été un véritable révélateur qu'une épidémie ne pouvait pas être uniquement prise en charge -quelle que soit la qualité - dans des structures hospitalières, et qu'il fallait que l'hôpital ai des interactions avec l'extérieur. Pour lui, cette maladie « effrayante », a forcé les équipes à réfléchir sur quelles pouvaient être les interactions entre la médecine et les patients d’une part et entre les médecins et les patients d’autre part. Pour les essais thérapeutiques par exemple : il est clair que les relations que nous avons pour proposer à un patient d'entrer dans un essai thérapeutique sont totalement différentes de celles qu'il y avait il y a dix ans, où le malade était quelqu'un de relativement passif, alors que maintenant, en particulier pour ce type de patient qui est souvent informé (…) les relations sont bien différentes.

Quand la séropositivité a commencé à arriver en France, je travaillais avec le professeur Delfraissy au niveau du laboratoire et on a dû mettre en place une technique pour détecter les anticorps - c'était en 1983 - et j'ai eu cet attachement particulier au niveau de la clinique, parce que les patients venaient se faire prélever dans le laboratoire. J’avais donc leurs visages et je me battais d'autant plus pour que l'examen de laboratoire soit le mieux fait possible, raconte Marie-Thérèse, l'une des deux techniciennes d'étude clinique du service chargée de suivre les patients dans le cadre des essais thérapeutiques. J'étais déjà très marquée à l'époque de voir ces jeunes patients (ils étaient souvent très jeunes) qui tombaient souvent dans les pommes quand on les prélevait dans le laboratoire, alors il fallait déjà les tenir et puis essayer de les rassurer quand le prélèvement arrivait puisque c'était une grosse quantité de sang au départ, mais ça m'a donné envie d'être plus proche des patients parce que c'était personnalisé.

Le film « 120 battements par minute » déroule le combat collectif d'une communauté en souffrance, isolée, invisible, qui a choisi de se battre pour exister et pour briser le silence.

Cécile Goujard est attachée de médecine dans le service du Professeur Delfraissy. Elle porte son titre de médecin depuis 10 ans. 10 années de Sida en France. J'ai démarré mon internat en 83, à l’époque où l’on commençait à parler du Sida chez les homosexuels de San Francisco donc j'ai vécu l'évolution, la découverte du virus, la découverte de la séropositivité. Elle n’avait pas, alors, choisi de s'occuper plus particulièrement des patients porteurs du Sida – puisqu'au début de son internat, il y avait très peu de patients atteints - et puis progressivement elle s’est impliquée et a choisi de s’occuper d’eux. Du tout premier patient, elle a gardé un souvenir intact : Parce que c'était le premier, parce que c'était un patient dont on parlait beaucoup, parce que c'était un patient très impressionnant, qu'on prenait beaucoup de précautions pour l'aborder - c'était l'époque où les patients Sida étaient isolés dans des chambres, qu'on se revêtait d'une casaque, d'un masque, d'un chapeau, de bottes pour l'aborder, comme s'il risquait d'être dangereux pour nous.

Quand on a eu pas mal de peine dans la journée, on a envie de pleurer le soir en rentrant, c'est normal, et même parfois de pleurer avec nos patients, ça m’arrive...

« Je m'habituerai donc à une maladie qui m'est inconnue »

Ma collègue m'entraîne dans le couloir. Je m'appuie contre le mur. Je manque d'air. Je respire un bon coup. Calme-toi, murmure Valérie. J'ai éprouvé les mêmes sensations d’étouffement. J'ai fini par m'habituer. Elle a raison. On s'habitue à tout. (...) Je m'habituerai donc à une maladie qui m'est inconnue, à une nouvelle génération de malades. A condition de maîtriser une angoisse qui me pousse à prévoir le pire au lieu d'espérer le meilleur. Il va me falloir de la constance. Dans son livre, « Le Couloir - Une infirmière au pays du sida », Françoise Baranne, infirmière au sein du service des maladies infectieuses d'un hôpital parisien, en 1989, raconte elle-aussi les débuts de la maladie. Voici un ouvrage essentiel pour prolonger ce reportage de France Culture.

Références : « Le Couloir. Une infirmière au pays du sida » de Françoise Baranne, Collection Témoins, Ed. Gallimard ; paru en 1994.

Ne plus penser au Sida une fois chez soi ? Pas si simple

Aujourd’hui, la prise en charge de ces malades du Sida a beaucoup évolué, la relation au patient aussi bien sûr. Et pourtant. Difficile de raccrocher la blouse et de rentrer chez soi le cœur léger, de l’avis de tous les soignants qui les côtoient. C'est difficile de se dire : bon ben voilà, j'ai fini ma journée et je rentre à la maison, je ne pense plus à rien. Ça ce n'est pas possible non plus. Quand on les voit, qu'on se dit qu'ils n'ont que 20 ans, 25 ans et qu'ils ont fini leur vie, parce que bon, il faut être clair... ça c'est dur quand même, confie Manuela. Passer les portes de l’hôpital et ne plus penser au Sida ? Pas si simple. Il faut au moins une heure ou deux, selon Roselyne, qui dit continuer à penser à l'état de ses patients. Il leur arrive aussi d’avoir des coups de déprime, à l’image de Corinne, aide-soignante, au service d'hospitalisation continue : ça arrive même assez souvent en ce moment, pour plusieurs raison… il y a beaucoup de travail, c’est quand-même un service assez lourd, avec beaucoup de responsabilité (…) Et tout ça à un moment donné ben... on craque quoi. Une psychologue, Agnès Lévy, est d’ailleurs présente sur les lieux, à mi-chemin des trois services de l'hôpital Antoine Béclère, hôpital de jour, service d'hospitalisation continue et réanimation. Elle intervient auprès de beaucoup de gens : des patients, de leur famille et des équipes. Je crois que le moment le plus difficile, c'est quand les gens se rendent compte qu'ils vont mourir, mais c'est souvent vraiment avant la fin car à la fin ils sont plutôt inconscients. Les psychologues du service ont d'ailleurs fait une formation de l'accompagnement du mourant auprès du personnel. Ce qui est dur à tous les niveaux, c'est à la fois savoir s'impliquer et être une personne humaine, et savoir aussi se protéger. Se protéger, ça ne veut pas dire justement, rester distant, mais il faut réussir -et ce n'est pas facile- à couper. C'est-à-dire, essayer, en dehors de l'hôpital, d'avoir une vie autre, bien qu'il y ait certains cas qui ne vous lâchent pas..., résume la psychologue.

Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin


Source : infirmiers.com